Mythology and Reality [Sigyn]

Quand j'avais vu le mail dans ma boite mail, je crois que je ne saurais dire quel sentiment m'a envahi. Lassitude est surement ce qui a dominé mon esprit. Après l'interview qu'a voulu Laura Miller et ce très étudiant pour le moins insistant, voilà une énième personne venant me demander des informations dans un rendez-vous. Non pas que cela me dérange car, en voyant de nombreuses personnes faire sans cesse des allées et des retours à mon bureau pour X ou Y raisons, le doyen me fait quelques primes de temps à autre pour me remercier de faire rayonner l'université. Bien que mon salaire est assez conséquent pour ne pas avoir à me préoccuper de comment je vais payer mes factures (je ne comprends pas pourquoi les humains tiennent tant à payer autant d'impôts. A Asgard, on en a aussi mais ils me semblent bien moins nombreux), je reconnais que cela est toujours agréable de recevoir davantage d'argent que prévu pour son travail. Néanmoins, avoir autant de visite en si peu de temps à ce sujet me donne l'amer sensation que de revivre à chaque fois la même scène.

Cependant, j'ai été aussi curieuse à la lecture de ce courriel. La personne m'ayant écrite est resté pour le moins vague concernant ses motivations à me rencontrer. D'habitude, les e-mails pour ce genre de choses sont très longs et très détaillés. Or, là, il est particulièrement court et ne s'attarde pas sur le fait que, par exemple, Thor l'a sauvé avec Mjonlir ou que mon mari a tué X ou Y de son entourage. Quand il s'agit du deuxième cas, mon coeur se serre souvent. Par chance, j'ai bien plus souvent le cas de figure où mon beau-frère a joué à la superstar. On évoquait surtout mon mari quand j'ai pris mes fonctions ici, à l'université. Les évènements de New-York étaient encore relativement frais dans les esprits. Maintenant, en raison de la discrétion de Loki, on ne me parle plus réellement de ces derniers projets. Cela me désole plus que je ne voudrais l'admettre car ces personnes étaient les seules personnes à me transmettre inconsciemment des nouvelles de mon époux que j'ai quitté en mauvais terme. J'essaye de me rassurer en me disant que cela ne veut pas forcément dire qu'il est en danger ou quoi. Un adage mortel ne dit-il pas : "Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ?"

En chassant mes réflexions sur Loki qui auraient pu dangereusement évoqué nos enfants, j'ai donné mon accord à un rendez-vous pendant l'une de mes permanences à mon bureau. Outre que celles-ci soient obligatoires, elles me donnaient l'excuse pour ne pas avoir à participer à des réunions ou autres projets à la charge des enseignants. En intercalant un possible rendez-vous sur ma plage de permanence, j'étais doublement dispensée.

Pour une fois, je n'avais pas de copies à corriger. Quelques papiers étaient tout de même étalés sur mon bureau. Le seul papier sérieux était une copie de l'e-mail que j'avais imprimé afin de ne pas oublier le rendez-vous. Le reste allait du catalogue des prochaines ventes d'un éditeur à un programme d'expositions à venir.

Avec un sourire, je crie un "entrez" alors que mon rendez-vous toque à ma porte. Mon invitation à entrer est dite quasiment dans la même phrase que la sienne. Point de magie dans tout ça, juste que j'ai appris à aiguiser mon oreille pour reconnaître quand un élève ou un de mes collègues est sur le point d'entrer dans mon bureau.

-Bonjour ! Avant de vous s'assoir, pourriez-vous mettre l'écriteau à la porte ? Cela nous évitera d'être importuné.

Mais surtout de ne pas me faire sortir de force par quelqu'un désireux de me bénéficier de ma présence. Je me garde bien de faire part de ma pensée en la présence de cet homme.

-Je pense que vous savez qui je suis mais, par principe, je me présente : Hedwige Filias, professeur de mythologie nordique. Et vous êtes ?

La curiosité est plus que perceptible dans ma voix. Que ce soit dans son mail ou dans les quelques mots qu'il a prononcé, rien ne me laisse indiquer son identité. Cela m'enchanterait de la connaître, au moins pour savoir à qui j'ai peut-être affaire.

-Quelles sont ces questions que je suis la seule à pouvoir vous répondre ?

Assise derrière mon bureau, je le fixe poliment en attendant qu'il me réponde. Je fais quelques suppositions concernant ce qu'il va me demander avant de faire un choix. Aujourd'hui, je vais surement devoir expliquer ce qu'est mon beau-frère... Ou pas ?

Si je suis satisfaite de voir mon interlocuteur me dire son nom, je le suis encore plus de le savoir ancien étudiant de notre faculté. J'avais en effet écouté avec un certain scepticisme le doyen quand il vantait la renommée de l'université et sur les liens de nostalgie des anciens élèves qui poussent à revenir ici. Voir l'homme en face de moi démontre que mes doutes par rapport à la sincérité de mon chef était infondés. Cependant, même si je suis depuis plusieurs années sur Midgard, je n'ai pas encore acquis toutes les subtilités de l'enseignement universitaire. Un comble alors que c'est là où je travaille, me direz-vous. Mais bon, à mon corps défendant, je doute que tout le personnel du campus sache qui est qui. Même pour le doyen, j'ai des doutes donc bon.

Cependant, je ne laisse rien paraître de mon ignorance face à la discipline évoquée. Il s'agit de l'une des choses que je suis fière d'avoir apprise auprès de Loki : le fait de pouvoir "mentir" sans que cela soit trop visible.

-Je suis enchantée de voir que mes collègues ont su vous donner un souvenir des plus agréables de votre passage ici au point que vous souhaitez revenir ici pour rechercher des informations.

Puis, j'en viens à l'objet de cette visite : les questions par rapport à la mythologie nordique. Intérieurement, j'ai fait le pari de deviner quel sera le sujet. Heureusement que je n'ai pas parié car j'y aurais laissé quelques dollars. Contrairement à ce que j'aurais pu pensé, il ne tient pas à parler de mon beau-frère ou encore moins de mon époux. Pourtant, il s'agit bien d'un membre de ma famille qui va être sujet de notre conversation. Il s'agit de ma belle-fille, la reine d'Hellheim et déesse de la Mort, Héla.

Au fur et à mesure qu'il m'explique ce qu'il a déjà trouvé sur la fille de mon époux, je m'enfonce dans mon fauteuil pour être plus à mon aise. Quand l'homme a fini de parler, je reste quelques secondes muettes pour réfléchir à ce qu'il me semble le plus approprié à dire.

-Thor a depuis toujours été au centre de l'attention de beaucoup de personnes, explique-je alors que j'ajoute en pensée un "surtout en ce moment". Loki aussi à la réflexion, certains textes l'évoquant sont particulièrement ancien.

Ancien pour l'homme me faisant face. Pour moi, cela est plus relatif comme notion. Avant de continuer, je me lève pour prendre un ouvrage.

-Je ne pense pas vous surprendre que le concept de mort est aussi ancien que le monde. La figure d'Hel apparaît dans les écrits vers le XIIIe mais on sait que ces écrits sont issus de traditions orales, donc antérieures à cette date.

Ce qui est, de mon point de vue d'Asgardienne, assez logique. La reine de Hellheim a 2000 ans, il est normal que les récits la concernant soit plus anciens que les textes que j'évoque sans les nommer.

Je feuillette les pages du livre que je viens de prendre à la recherche d'une illustration médiévale (et donc peu réaliste) d'Héla. Au cours de ma recherche, la curiosité quant à la volonté de savoir qui elle est grandi.

-Je ne sais quelles croyances, Nate, mais si vous venez à rencontrer Hel, vous ne pourrez pas vous tromper sur son identité : son corps est à moitié-vivant, à moitié-mort, explique-je en montrant l'image du livre.

Relevant la tête de l'ouvrage, je lui sourie pour ajouter :

-Rassurez-vous, je suis certaine que vous ne la rencontrez pas dans les années à venir.

Mes mots sont une vaine tentative d'humour. Certains étudiants sont mal à l'aise quand on parle d'elle pendant les cours. Peut-être est-ce son cas ? L'humour est des fois un excellent moyen pour essayer de détendre l'atmosphère. J'ose espérer que celle-ci fonctionnera.

A mesure que la conversation avance, un affreux doute m'envahit. Les réponses aux questions qu'ils me posent ne sont pas un soucis. Même en tant qu'Hedwige Filias, je peux être en mesure de répondre quand bien même les références à cette autre religion me semblent étranges. Je ne m'y risquerai pas à le détromper en lui déclarant que je ne suis pas la plus experte à ce sujet (ce qui n'est absolument pas un mensonge après tout).

Non, ce qui me dérange, ce sont les questions en elle-même. On pose des questions pour avoir différents types d'informations. Cependant, à mesure qu'il me questionne, elles ne semblent pas être à la recherche d'information. C'est comme si... Comme s'il cherchait une confirmation.

Mon malaise du à cette pensée se renforce au moment où il évoque le changement d'apparence d'Héla. Qu'il décrive de manière aussi précise cette possibilité de ma belle-fille me perturbe au plus haut point. Cela laisse envisager une possibilité pour le moins... dérangeante à savoir qu'il a véritablement rencontrer la souveraine d'Hellheim.

En soit, la présence d'Héla sur Midgard n'est pas surprise : nous sommes mutuellement au courant de nos présences dans ce Royaume. En revanche, la possibilité qu'Héla révèle son identité à quelques personnes me fait craindre le pire. Ma belle-fille tient par certains côtés de son père mon époux et j'ai appris avec les siècles qu'il valait mieux ne pas se retrouver à leurs sombres histoires pour ne pas avoir d'ennuis.

Cependant, ce ne sont que des suppositions : après tout, qui me dit que l'homme me faisant face n'a pas, tout simplement, été confronté à un danger mortel et qu'il craint simplement ce qu'il se passe après ? Cette hypothèse est aussi plausible que l'autre. N'étant sûre de rien, je vais devoir essayer de comprendre les motivations sans essayer de me trahir. Jeu délicat mais nécessaire pour maintenir ma tranquillité.

Je sursaute une fois que le fil de mes pensées s'est reporté sur mon interlocuteur. J'adresse un sourire pour m'excuser :

-Pardon, je réfléchissais à ce que vous disiez.

Je passe une main dans mes cheveux avant de continuer :

-Dans les textes, il n'est fait à aucun moment allusion à un changement d'apparence. Hel est toujours décrite comme étant mi-morte, mi-vivante quand elle apparaît.

Je marque un temps d'arrêt. Le plus dur va être d'expliquer ce que je compte dire sans faillir. Ce ne sera pas la première fois que je le fais depuis que je suis Midgard puisque je l'ai déjà évoqué durant mes cours. Toutefois, cela est toujours difficile de paraître détaché.

-La déesse de la mort apparaît en fait à deux moments dans la mythologie nordique : la mort de Baldr qui précède le deuxième moment, Ragnarok, la fin des temps.

La mort de Baldr avait été l'évènement déclencheur de la mort de mes propres enfants. Quant à Ragnarok, Loki le déclenchera, c'est une certitude. Quand ? Je ne le sais pas. Seules les Nornes savent. Mais tous à Asgard savent qu'on s'achemine vers ce moment depuis l'aube des temps.

Faisant fi de mes pensées sur la fin des Temps, j'ajoute dans une dernière réflexion :

-En fait, pour avoir pu en discuter avec quelques uns de mes collègues, Hel ne rencontre que peu de mortels dans les écrits, au contraire d'Hadès par exemple.

J'ai effectivement eu cette conversation par le passé. Cependant, l'évoquer ici est une manière pour moi d'essayer de savoir s'il a rencontré la personne que nous évoquons depuis tout à l'heure ou non...

La vitesse qu'il me répond me confirme un peu les doutes concernant le fait qu'il ait potentiellement pu rencontré ma belle-fille. Je ne suis pas encore totalement sûre de ce que j'avance mais... Cela serait l'explication la plus logique concernant sa nouvelle question. A moins qu'il envisage de faire un pacte avec Hela ? Après tout, les actions de Thor et de Loki ont prouvé à tous que nous, Asgardiens, existons et que ce que leurs mythes racontaient sont vrais. Il est donc tout à fait possible que l'homme ait supposé que la déesse de la mort soit également réelle et qu'il y ait un possible intérêt à lui demander son aide.

-A ma connaissance, non, déclare-je posément en réponse à sa question sur les possibles pactes de Hela. Comme je l'ai dit, elle n'interagit que très peu avec les mortels et quand cela est évoqué dans les mythes, les sources sont vraiment très lacunaires ou varient sensiblement pour en tirer des ressemblances.

Je lui donne la réponse que je prononcerai si j'étais effectivement une mortelle, comme lui. Celle que je pourrais lui donner en tant que Sigyn est tout autre. Hela, comme son père, peut faire des pactes avec les gens qu'elle cotoie. Après tout, c'est un mode d'interaction comme un autre qui est assez décrié quand il est employé par Loki à cause de la roublardise de ce dernier. J'ai déjà fait des pactes avec les deux d'entre eux.

Avec Loki, je suis liée en tant qu'épouse.
Avec Héla, c'est en tant que mère désespérée que je lui ai demandé de protéger l'âme de son petit frère dans la mort.

Jamais je ne regretterai mon geste avec ces deux personnes. Mais mon interlocuteur n'a pas besoin de savoir tout ça. Ceux qui le savent ont déjà bien du mal à l'accepter, ce n'est pas pour que j'essaye de faire comprendre ceci à quelqu'un qui n'est pas au courant.

Je lâche un rire nerveux alors qu'il me pose la question concernant les éventuelles partisans de la déesse de la mort.

-Vous n'êtes pas familier avec les mythes nordiques.

C'est un constat plus qu'évident. S'il l'était, la question n'aurait pas lieu d'être.

-Je vous ai parlé de Ragnarok il y a quelques minutes. La plupart des versions s'accordent à dire qu'à ce moment-là, l'armée de Hel viendra pour combattre.

Sous le commandement de son père, après que son frère Fenrir ait brisé ses chaînes et que Jormundgand, le serpent de Midgard qui provoquera les raz-de-marées en vue de la bataille. Je ne l'ajoute pas à haute voix. Ce n'est pas vraiment ce qui l'importe le plus en ce moment, s'il souhaite exactement cela, il lui faudra trouver lui-même les informations.

-On peut dire en quelques sortes qu'elle a effectivement des partisans.

Après tout, c'est la Reine d'Hellheim, celle qui a conquis le royaume alors que tout le monde souhaitait la voir mourir. Il est normal de voir des personnes jurer allégeance à Hela qui a réussi à braver le destin qu'on voulait lui imposer.

-Ce n'est rien, vraiment ! Ecarte-je d'un revers de main ses excuses. Vous n'êtes pas la première personne à se montrer particulièrement curieuse sur un sujet.

Après quelques instants d'hésitations, je finis par lui demander :

-Pardonnez ma curiosité, mais, j'aimerai beaucoup savoir pourquoi vous vous intéressez à Hel. N'ayez crainte, je ne dirais rien, m'empresse-je de le rassurer.

Demi-mensonge. Si cela venait à nuire à ma belle-fille, je l'avertirai de la curiosité maladive de cet homme à son égard. Même si je ne partage pas son sang et que je prends soin de ne pas être considérer comme complice de ses agissements, je tâcherai de la protéger (ou au moins de la mettre en garde) comme si elle était véritablement ma fille.