So... Who are you again?

So... Who are you again?

Jefferson Lynch & Loreine Marchand

 
Les choses sont compliquées ces derniers temps. Avec mon récent déménagement dans la ville, une multitude de préoccupations monopolise mes pensées. Je suis stressée, je dors mal à cause de cela. J’ai hâte que les derniers détails de l’immigration soit réglés, bien que l’on m’a avertie que cela pourrait prendre un certain temps. Tout ce que je désire c’est un peu de temps pour moi. J’ai peine à me reposer cinq minutes avec toute cette anxiété. Je rêve de pouvoir poser la tête sur l’oreiller et de m’y endormir aussitôt. Aujourd’hui ne fait pas exception à cette succession d’évènements stressants. Je dois me rendre à la banque afin de régler les questions financières qui sont toujours problématiques. Si je ne fais pas attention, mon compte canadien risque d’être gelé ou quelque chose dans le genre et je n’ai pas le luxe de laisser une telle chose arriver. Je dois donc suivre les protocoles à la lettre, faire toutes les démarches dans l’ordre. N’étant pas la plus douée dans ce genre de gestion ou de confrontation avec d’autres personnes, je me retrouve souvent à baisser la tête, approuvant la moindre décision prise par les conseillers. Je dois être plus attentive. Je ne peux pas faire n’importe quoi, surtout pas lorsqu’on parle de mon unique source de revenue actuelle.

Je me suis donc levé tôt ce matin. J’ai mis énormément de temps à me préparer puisque je tournais en rond dans mon appartement sous l’effet du stress. À présent dehors, je dois me rendre à l’autre bout du quartier pour atteindre la banque avec laquelle je fais affaire désormais. Je connais le chemin pour m’y rendre, ce n’est plus un problème à présent. Je me laisse donc guider instinctivement, tournant les coins de rues et traversant les intersections en gardant la tête bien basse. Il y a beaucoup de gens sur les trottoirs aujourd’hui. Je n’aime pas être dans une telle foule. Je reste donc en retrait, suivant le mouvement lorsque nécessaire. Je décide toutefois de dévier légèrement de mon trajet. Je viens de me souvenir qu’il me faut passer à la pharmacie et comme il me reste encore énormément de temps avant mon rendez-vous avec mon conseiller, je décide de m’y rendre maintenant. Je pique donc à travers une rue moins achalandée. La pharmacie n’est pas très loin, cela ne me retardera nullement si je conserve mon rythme actuel. Je presse toutefois le pas par réflexe, tournant un coin de rue rapidement afin d’éviter un passant qui converge dans la direction opposée à la mienne. En prenant mon virage trop court, je remarque trop tard la paire de jambes au sol. Je m’y cogne accidentellement et la surprise fait renverser mon corps vers l’avant. Mes paumes amortissent le choc et je me retrouve à quatre pattes sur l’asphalte. Une vive douleur remonte de mes mains et de mes genoux. Je ne pense pas avoir de blessures, mais je vais probablement me retrouver avec des ecchymoses. Je me remets debout en grimaçant, essuyant les petites roches qui se sont incrustées dans ma peau. Je me retourne vers l’homme que je n’avais pas vu en tournant le coin.

-Désolé, je murmure, sentant la gêne me gagner.

Je ne l’ai pas fais exprès. Je ne voulais pas entrer en collision avec lui. Si ça se trouve, je lui ai fais mal. Sauf que je suis beaucoup trop honteuse de cet accident pour ajouter quoique se soit d’autre. Je garde la tête basse donc, décidant de reprendre ma route vers la pharmacie. Ce n’est pas très loin d’ici. Je fais donc un pas dans cette direction, essayant de cacher mon visage rouge de gêne.

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Jefferson Lynch & Loreine Marchand

Je ne pensais pas être retardé aujourd’hui. Surtout pas aussi idiotement. Je n’ai pas dû porter assez attention et j’ai bousculé une personne sans le faire exprès. Je me décourage moi-même parfois. Je me remets donc debout en vitesse afin de ne pas perdre davantage de temps. Je me retourne vers l’homme qui est à présent juste devant moi. Je n’ose pas le confronter du regard, toujours gêné par mon geste accidentel. Une odeur particulière d’alcool remonte à mon nez et j’aperçois alors l’humidité sur ses vêtements. Il a tenté de les essuyer en vitesse du liquide qui les imbibait, mais l’odeur est toujours forte à cet endroit. Je me sens alors encore plus mal. Il s’est visiblement retrouvé de la sorte à cause de moi. Il a renversé son breuvage sur lui au moment où je l’ai bousculé. Il a beau me pardonner et s’excuser à son tour, j’ai envie de partir pour cette pharmacie et de poursuivre ma route dès que possible. Je me retourne donc et je m’apprête à le faire, motivée par mon embarras dans cette situation et mon angoisse de régler ces derniers détails avec la banque. Sauf qu’il me retient. Je ne panique pas face à son geste, mais je n’apprécie pas. J’accepte de me laisser retenir, sans toutefois savoir pourquoi cela est nécessaire. Il me demande soudain si je vais bien, si je suis blessé. La question me surprend. Je m’arrête donc un instant et me concentre sur mon état physique. J’ai certes mal aux mains et aux genoux, mais je ne saigne pas. Un bref coup d’œil à mes jambes me le confirme d’ailleurs.

-Non, non. Je vais bien.

Je demeure toujours gênée et je n’ose pousser la conversation plus loin. Sauf que m’enfuir en courant serait une mauvaise idée, vraiment. Je me calme donc, me concentre pour éviter de dériver vers des pensées malsaines qui me feraient paniquer inutilement. Je ne suis pas du genre à avoir des préjugés face les SDF, sauf que je ne connais rien de cet homme. Je ne sais pas s’il est méchant, s’il a des intentions mauvaises à mon égard. Le fait qu’il se soucie de mon état pourrait être une réponse à cette question. Mais je ne peux pas baser entièrement ma perception de lui sur cette simple phrase. Il pourrait fort bien jouer la comédie afin de m’amadouer. Mon regard se relève dans sa direction lorsqu’il parle à nouveau. Je suis dérouté une fois de plus par ses paroles. Comment pourrait-il me connaître? Je suis une étrangère à ce pays, y résident depuis un temps infime. Il ne peut tout simplement pas me connaître. Je rougis malgré moi.

-Vous devez me confondre avec une autre.

Ma voix est fébrile. Le stress ne m’aide pas à me faire comprendre clairement. J’inspire donc afin de me calmer. Il n’y a rien à craindre. Il ne tente rien contre moi pour le moment donc pourquoi avoir autant de méfiance à son égard. Sa façon de me regarder est ce qui me perturbe le plus. Il semble vraiment voir en moi une personne qu’il connaît et cela me dérange beaucoup, je dois dire. Je ne veux pas paraître impolie, mais plus je le regarde et moins il m’apparaît possible que nous nous connaissions. Je secoue même la tête pour moi-même, croisant son regard alors.

-Je ne vous connais pas, Monsieur.

Ma voix est plus faible, mais suffisamment claire pour qu’il l’entende. À la base, cette dernière phrase sert plus à me convaincre moi que je ne le connais pas, mais il me semble évident désormais qu’il fait erreur.

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Jefferson Lynch & Loreine Marchand

L’homme insiste auprès de moi et cela commence à me faire peur. Je lui ai assuré ne pas le connaître et pourtant, lui est borné dans son idée. J’écarquille les yeux lorsqu’il affirme qu’il me connaît avec certitude. Cette situation crée un malaise en moi. Je ne sais plus comment réagir, comment lui dire non. Je pense qu’il se trompe, mais de son côté il est persuadé du contraire. Peut-être souffre-t-il d’un trouble mental, lui faisant insister autant? Je pourrais le comprendre, étant moi-même atteinte d’une maladie de l’esprit. Ce n’est pas un préjugé de ma part, c’est une préoccupation. Si je ne m’éloigne pas rapidement, va-t-il finir par se fâcher en me voyant nier ses paroles? Pourrait-il me blesser? Je ne sais plus comment agir : rester pour ne pas le contrarier ou partir au risque de l’insulter. Voilà un dilemme qui ne trouve jamais de réponse. Tout simplement parce qu’il vient de me déstabiliser une fois de plus dans mon processus de réflexion. Il me décrit alors une scène particulièrement plausible avec ma situation récente. Comment peut-il être au courant de tout cela? Il dirait donc la vérité alors, il me connaît de toute évidence. Mais pourquoi moi je suis persuadé de ne l’avoir jamais vue de ma vie? Ça n’a aucun sens. Un nouveau conflit de pensées a lieu. Je fronce les sourcils, cherchant une nouvelle fois dans ma mémoire le souvenir qui pourrait me faire défaut. Rien ne vient. Ce qui me frustre cette fois.

Alors que je suis sur le point d’abandonner et de repartir à nouveau malgré ce mystère qui me ronge de plus en plus, l’homme ouvre la bouche. Cette fois, la réaction qui accompagne ses paroles est des plus authentiques. Il vient de se souvenir d’un détail capital. Un nom. En l’entendant, ma mâchoire se décroche. Mon cœur semble manquer un battement alors que je comprends tout, reconstituant les pièces du puzzle. Voilà la fameuse explication. Jefferson, qui vient de se présenter à moi, a rencontré Anna, l’une de mes personnalités. C’est pour cette raison que moi je ne le connais pas. Puisque ce n’est pas moi qui avait le contrôle à ce moment là et qui a reçu l’aide de cet itinérant avant de partager un repas avec lui. Mon Dieu, j’espère qu’Anna n’a pas fait trop de bêtises avec mon corps à cette période là. Elle a prit le contrôle au moins trois jours puisqu’il y a un gros trou dans ma mémoire qui correspond ce nombre de jours. Je n’avais jamais réfléchis plus que ça aux gens qu’elle a pu rencontrer, aux choses qu’elle a pu faire avec mon corps. Il faut dire que sa mentalité enfantine la préserve des actes indécents, mais tout de même. Elle est tellement candide et influençable!

Je ferme les yeux et soupire de découragement, malgré le sourire de Jefferson. Comment lui expliquer les choses pour qu’il comprenne? Je ne peux pas non plus continuer comme ça à lui dire que c’est un fou et qu’il se trompe. Non, je suis convaincu à présent qu’il a raison, qu’il a fait connaissance avec Anna. C’est son genre de décidé de traîner avec le premier venu, sans se poser de questions. Il faut croire que j’ai de la chance que Jefferson soit gentil et l’ai aidé à trouver un appartement aussi convenable pour le prix. Je n’ai rien à redire là-dessus. Je devrais peut-être même le remercier. J’ouvre mes yeux, ne sachant toujours pas comment lui expliquer les choses. Mon regard est toujours remplis d’incertitude, mais la gêne à fait place à un certain regret que la situation se soit passé de la sorte pour cet homme. Il n’a rien demandé, Anna est probablement responsable de ce malentendu. Voilà pourquoi je dois être honnête avec Jefferson :

-Non, je ne suis pas Anna. Je lui dis calmement en le regardant dans les yeux. Je suis Loreine. Toutefois, Anna habite bien dans ce corps.

Je fais un geste des mains pour englober mon corps. Je lui fais un sourire navré. Mes paroles sont maladroites, je le sais. Je n’ai aucune idée de comment expliquer les choses sans en venir à lui avouer ma maladie. J’imagine que je n’ai pas le choix. Je soupire une nouvelle fois :

-Anna est l’une de mes personnalités. C’est avec elle que vous partagez ce souvenir… pas moi.

Je retiens une nouvelle excuse. Même si je le faisais, ça ne changerait rien à ce malaise.

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Jefferson Lynch & Loreine Marchand

 
J’observe sa réaction avec une certaine anxiété. Il ne réagit pas négativement. Il semble plutôt traverser une gamme d’émotion avant de finalement tomber sur une fixe et m’observer à travers elle. De l’incompréhension teinte ses traits, mais une lueur de compassion éclaire ses yeux. Il semble saisir ce que je lui ai expliqué avec délicatesse. Voilà qui me soulage, n’aimant pas répéter éternellement les choses. Il m’explique donc qu’entre lui et Anna il ne s’est rien passé. Même si je ne m’attendais pas à cette révélation, je suis soulagé de l’entendre. La naïveté de ma personnalité enfant est inquiétante en présence d’individus mal intentionnés. Je l’observe en silence, regrettant que cela soit tombé sur lui. Si cela avait été moi plutôt qu’Anna qui avait croisé son chemin ce jour passé, tout aurait été tellement différent. Je l’aurais probablement fuit et je n’aurais jamais eu mon appartement présent. Cet homme était responsable de quelque chose de bien dans ma vie et je ne pouvais donc pas lui en vouloir pour cela. Il a remarqué que j’étais pressé et semble vouloir me libérer de sa présence. J’hésite à exécuter sa demande. Je me sens toujours mal à cause de toute cette histoire. Je ne peux tout de même pas partir comme ça sans lui montrer toute ma gratitude. Il fait preuve d’une telle compréhension à mon égard. M’indiquant même que je ne suis pas obligé d’entendre ses souvenirs avec Anna si je ne le souhaite pas. C’est lorsqu’il recule que je ressens le besoin de m’exprimer. Je brise donc le silence, faisant un pas vers lui de mon côté, touchant son bras pour le retenir doucement.

-Je suis vraiment navrée de cette situation, je vous assure. Mais, je tiens tout de même à vous remerciez. Pour votre compréhension aujourd’hui, mais aussi pour ce que vous avez fait pour Anna. L’appartement que vous avez trouvé pour elle est parfait. Je tenais à vous le dire. Merci beaucoup pour votre aide.

Lui dire me procure le plus grand bien. Je suis soulagé d’avoir osé lui parler et lui dire que ce je pensais vraiment. À vrai dire, je n’ai pas une mauvaise opinion de lui, je le connais trop peu pour ça. Mais je sens en lui un être bon et ce qu’il a fait pour Anna, donc pour moi, mérite des remerciements. Sauf qu’il a raison, je dois repartir. Il y a toujours un malaise entre nous que je n’aime pas. Voilà qu’il fouille dans la poche de son manteau pour en sortir un téléphone. Je ne comprends pas immédiatement ce qu’il compte faire avec. Mais alors, il me propose de me remettre son numéro. L’idée me semble bien, même si un peu précipité. À tête reposée, je vais probablement avoir une meilleure vision de la situation et être en mesure de lui parler sans me sentir mal à l’aise. Je secoue donc positivement la tête.

-D’accord, c’est une excellente idée.

Je sors de mon sac à main mon propre téléphone portable, beaucoup plus récent que le sien. Je crée un contact en y inscrivant les chiffres qu’il m’indique. Une fois que c’est fait, je range mon téléphone à sa place et je pose mon regard sur le mendiant. J’ai encore des regrets à son sujet. Je sens que j’ai réagis trop violemment au début et je m’en veux de ne pas avoir compris plus vite qu’il avait rencontré Anna.

-Je vais vous appelez. Je ne sais juste pas quand. Mais oui, nous avons des choses à nous dire.

Après un ultime regard, je me décide à m’éloigner afin de poursuivre ma route. Je me sens toujours mal de le laisser ainsi. Ne sachant pas comment lui dire au revoir d’une manière approprié aux circonstances, je me contente de le remercier à nouveau avec un salut de la main. Par la suite, je traverse la rue et je marche sans me retourner durant un moment. En tournant un coin de rue. Je me rends compte que je suis de retour devant mon appartement. Je soupire bruyamment et décide de rentrer. Je demeure perturbée par cette rencontre, beaucoup de regrets s’ajoutant à cela. Je rentre donc chez moi et verrouille la porte derrière moi, par peur soudaine que d’autres connaissances de Anna sache où j’habite.