Happy Birthday to us. - Ft . Elektra

Au volant d’un bolide criard qui ne lui appartenait pas, Elektra fendait la route, les bras tendus, le regard illuminé d’un éclat d’impatience. Elle avait passé la journée paresseusement allongée dans la planque qu’elle partageait avec ceux qu’elle surnommait ses chaperons. Feulant sur quiconque osait la déranger alors qu’elle ressassait les derniers événements. Oscillant entre rire, trembler ou s’en foutre. Ou alterner entre les trois et finir ses jours dans un asile, confortablement dopée aux antipsychotiques. A travers la cloison fine, elle entendait le bourdonnement agaçant de la télé, les entêtants jingles publicitaires succédant aux émissions débiles et aux séries dramatiques. C’est en entendant la présentatrice du journal du soir annoncer la date que seulement elle se redressa à demi, soudainement plus alerte qu’elle ne l’avait été les derniers jours. Elle arracha presque de son cintre sa nouvelle combinaison et traversa la planque jusqu’à la salle de bain sans un regard pour les occupants de la pièce voisine.

Comment avait-elle pu oublier ? Il faut l’avouer qu’elle avait perdu la notion du temps et des dates, qu’elle était de nouveau véritablement elle-même depuis un peu plus d’un mois peut-être et qu’elle portait encore sur son corps les stigmates de son réveil. Elle avait repensé parfois à Valentyna, son unique amie. Celle qui savait quasiment tout, celle qui avait dû le plus pleurer à son enterrement. Elle n’avait pas osé refaire irruption dans sa vie. Pourtant, elle lui manquait terriblement, sa folie et ses combats,  leur lien si puissant, presque fusionnelle. Des siamoises un peu détraquée. Une fois habillée elle attacha ses cheveux à la hâte et sorti de la planque par le hublo de salle de bain, faussant compagnie éhontément à ses gardiens.
De toit en toit elle avait survolé le quartier jusqu’à ce que son regard soit attiré par une ferrari tapageuse. Conduite par un groom qu’elle avait assommé et trainé jusque dans le coffre avant de prendre le volant. Le rugissement du moteur l’avait délassé des tensions accumulées. Elle avait fendu la nuit jusqu’à un immeuble bien connu.

Derrière le tissu de son col elle souriait en observant la silhouette svelte de Valentyna s’introduire dans le bâtiment. Elle était venue, elle poursuivait leur rituel. Elle abandonna le véhicule  qu’elle gara à la hâte une rue plus loin, avant d’entreprendre l’ascension d’un immeuble voisin, avec la rapidité et l’agilité d’un chat. Elle était en retard. Elektra pu rapidement avoir une vision sur l’appartement en question, dans la cuisine le type était affalé sur ce qui semblait être une barquette de sushi, son téléphone encore dans la main. Elle perdit son sourire au moment où elle aperçut trois types en costard, baraqué et armé faire irruption. Tant pis pour la discrétion, cet enfoiré avait eu le temps de contacter ses gardes privés.
D’un toit à l’autre, d’un bond, elle se réceptionna et descendit par l’escalier de secours, tant pis pour les plans ordonnés. Son cœur battait la chamade et c’était une sensation agréable. Sa course était amortie par l’épaisse moquette des luxueux couloirs. Elle ne crut pas sa chance lorsqu’une porte s’ouvrit tranquillement, laissant apparaître une femme d’âge moyen déjà plus botoxé que la femme de Trump. Vivement, elle bloqua la porte, et lui décocha un coup de poing dans son nez refait, elle s’effondra au sol, Elektra referma doucement la porte en entrant et se pencha pour vérifier que la quadra était bien assommée. L’appartement était parfaitement silencieux si ce n’était un persan qui la regarda paresseusement passer. Elle attacha la femme avec la ceinture de son propre trench à la lourde et hideuse statue contemporaine qui ornait l’entrée et fila jusqu’au balcon situé juste au-dessus de celui de l’abruti qu’elles avaient pris en grippe huit ans auparavant. Elle enjamba la balustrade, s’y accrocha, les jambes pendantes dans un vide vertigineux, mais elle ne sourcilla pas lorsqu’elle lâcha le rebord. Sa chute  fut courte, ses doigts agrippèrent le rebord suivant et elle se hissa sur le nouveau balcon. La porte fenêtre était entrouverte et elle s’infiltra, extirpant ses saïs jusque-là sagement coincé dans son dos.

que font les gardes:

Dos à dos et armée, les deux jeunes femmes réunies étaient imbattables. Elektra pris une inspiration, elle ne l’avait pas réalisé, mais elle était en apnée depuis que sa mémoire était revenue. Elle avait arrêté de respirer depuis ce soir-là quand elle avait tenté de tuer Foggy, quand Matthew était intervenu, quand il lui avait dit qu’elle ne pouvait pas être là. Elle avait arrêté de respirer. Valentina n’était pas choquée, pas horrifiée, elle souriait. Elektra laissa échapper un rire léger, amusé au pique de son amie. Ce n’était pas le moment de poser des questions et Elektra n’était pas certaine d’avoir envie de donner des réponses, même à Valentina.

Celle-ci s’élança d’ailleurs la première, suivit de peu par Elektra qui vit le premier garde s’effondrer dans un bruit sourd. Le second allait tirer. D’un coup de pied, elle envoya valser son arme. D’un coup de pied le garde percuta son troisième collègue et ils tombèrent pesamment renversant au passage un guéridon et le vase qui était posé dessus, dans un fracas de bois et de porcelaine brisés agrémenté de juron. Amateurs. De toute évidence leur souffre-douleur avait pris cette année la menace plus au sérieux, mais pas assez pour leur envoyer un service d’ordre digne de ce nom. C’était des mastodontes, mais sans doute plus habitués à  faire flipper des petites frappes ou à servir de force dissuasive qu’à affronter deux adversaires entrainés. Peut-être que l’année prochaine s’introduire ici représenterait un véritable challenge.

Alors qu’ils essayaient maladroitement de se dépêtre des fleurs sécher et de leurs propres corps pour se relever, Elektra élança à nouveau sa jambe, son pied heurta puissamment la tempe d’un des types qui s’effondra inconscient sous l’impact, le second coincé sous lui se figea, oscillant entre la rage et une crainte respectueuse pour son adversaire. Elle rangea ses saïs, ils n’étaient pas des menaces assez graves pour avoir  à la tuer, pour qu’elle ait seulement besoin de les utiliser. Elle se tourna vers Valentina et d’un regard éloquent l’invita à se servir de son arme sur celui qui restait et qui gesticulaient pathétiquement pour s’extirper de sous le corps assommé de son collègue. « J’ai besoin d’un verre » annonça-t-elle après avoir abaissé le col qui camouflait la moitié inférieur de son visage. Son sourire était un peu fané, son allégresse ternie par les immanquables questions qui viendraient. Elle n’aurait pas dû venir, Valentina ne méritait pas d’être impliqué à l’immense bordel qu’était sa vie, cette seconde vie que lui avait imposé un foutu démon dont les projets s’apparentait au scénario d’une série Z.

Un peu fuyante elle se rendit au salon et son attention se porta sur la bouteille de whisky qu’avait déjà étrenné Valentina. Elle se saisit d’un des verres posés là dans un soucis purement esthétique, elle l’emplit largement et le tendit à son amie avant de faire de même pour elle. Le fait que ça ne soit pas son appartement, que trois types soient assommés et qu’il était possible qu’ils aient appelé les flics avant d’intervenir ne la stressait pas outre mesure. Elle s’en inquiéterait si cela devait arriver, jamais avant. Pas de raison de rusher leurs retrouvailles, elle retrouvait un semblant de normalité et ce même si son normal était éloigné de la définition de la plupart des gens. « Je ne pouvais pas réapparaître plus tôt. » dit-elle d’un ton presque léger « Et je ne peux toujours pas vraiment…. Mais je ne voulais pas rater notre petit rituel. » Son masque souriant se fissura un peu, elle but une longue rasade de son verre, le vidant à moitié. « Je suis désolée. » Ses mots elle ne les prononçait quasiment jamais, Elektra ne s’excusait pas, mais à ce moment, il y avait une certaine détresse chez elle, une peur tapie au fond de son regard, qui faisait vaciller l’éclat tranchant de ses prunelles noires  et qui jamais avant ces derniers jours n’avait été présent.  

Un sourire amusé se dessina les lèvres d’Elektra suite à la remarque de son amie. Valentina n’avait rien perdu de son mordant, pas plus qu’elle. « C’est pour ne pas sentir ton parfum bon marché » répondit-elle du tac au tac. Leurs joutes verbales, aussi puériles soient-elles, lui avaient manqué. Elle termina son verre et l’abandonna sur le comptoir contre lequel elle s’était nonchalamment appuyée. Elle sentie le regard perçant de Valentina sur elle, son sourire se fana. C’était l’heure de parler. Valentina ouvrit le bal et Elektra soulagée que celle-ci ne sombre pas dans le drame se sentie gonflée de gratitude, elle ne lui en voulait pas, elle ne comprenait pas mais elle ne lui demandait rien. Ce qu’elle pouvait aimer cette fille ! Ses yeux noirs s’éclairèrent d’une étincelle de joie sincère qui ne demandait qu’à faire naitre un plus grand brasier. Prise d’un élan elle encercla de sa main son poignet avant que celle-ci ne puisse s’éloigner et l’attira dans ses bras.

Elle n’était pas une câlineuse, mais Valentina était la première personne qui la faisait à nouveau se sentir normale, qui ne posait pas de question. Elle ferma les yeux et s’intoxiqua de son odeur, de sa présence. « Tu sauras tout. Pas ce soir. Mais tu sauras tout. » souffla t-elle en se détachant d’elle sans se presser, ses bras paresseusement noués derrière sa nuque. « Tu m’as manqué V ». Elektra déposa un baiser fugace sur ses lèvres, elle souriait. Un véritable sourire, sincère et malicieux, pas les sourires de façade qu’elle adressait au reste du monde. « Tu sais ce que je veux ? » Elle n’avait aucune envie d’aller battre le pavé, d’évoquer la solitude des derniers mois. Elle était fébrile comme une gamine face à ses cadeaux, lorsqu’elle s’exclama : « Danser ! » Toute fatigue et inquiétude s’étaient soudainement gommées de ses traits.

Elle avait envie de sortir, de s’enivrer de cocktails hors de prix au son d’une musique aussi prétentieuse que saturée. Mais surtout de danser, de feindre l’insouciance et peut être de la trouver quand son cerveau baignerait dans un champagne trop cher. Peut-être de tout lui dire quand elle serait assez déconnectée pour prendre du recul sur l’horreur absurde des derniers mois. Peut-être en rire, peut-être s’en foutre. « On a besoin de tenues » continua-t-elle, elles ne pouvaient pas sortir comme ça. Connaître Elektra, c’était comprendre pourquoi les tornades portent des prénoms, elle était aussi dévastatrice qu’instoppable. « Mais d’abord…. » reprit-elle son regard passant dans le décor, elle semblait chercher quelque chose. Son sourire se fit carnassier lorsque qu’elle s’arrêta sur une batte de baseball suspendue par deux crochets, elle traversa la pièce presque gaiement pour aller récupérer la batte, un autographe l’ornait mais elle n’en avait rien à foutre.

La télé y passa la première, puisque cet enfoiré n’avait rien laissé, elles démoliraient tout ce qu’il y avait autour avec une allégresse insolente. Statuettes, écran plat, verres et vaisselier. Elle fracassait, éventrait le mobilier avec une joie presque palpable. Ses cheveux noirs retenus par un élastique battaient la cadence. Elle était consciente que le refus alerterait probablement les voisins, mais elle avait besoin de se défouler. Et les pauvres gardes n’avait pas rassasié son besoin de violence. La batte posée contre l’épaule elle déambulait au milieu des ruines de ce qu’il fut un appartement de luxe, probablement arrangé par un décorateur trop payé, elle laissa glisser sa main contre le mur blanc et balança tous les cadres qui se trouvaient sur son chemin. Dans une penderie Elektra trouva quelques affaires féminines. Cet enfoiré c’était trouvé une meuf et elle avait des goûts douteux songea-t-elle en tirant sur le tissu stretch d’une robe à fleurs. Elle haussa un sourcil et échangea un regard éloquent avec son amie. Au loin le son d’une sirène la fit se figer, alerte comme un félin « On s’tire » Elle attrapa un large cabas et arracha de leur cintres quelques robes qu’elle fourra dedans. Elle abandonna presque à contre cœur sa batte de baseball
Heureusement, sortir était dans ce cas précis plus facile que d’entrer. Elle entraina Valentina dans son sillon, ouvrit la porte à la volée et fonça jusqu’à l’ascenseur, qu’elle fit monter. Les portes ne s’étaient pas encore totalement refermées qu’Elektra commençait déjà à retirer sa tenue de criminelle. Elle pouffa de rire en extirpant une robe d’un vert criard. Elle l'enfila hilare et pressée avant que les portes de l’ascenseur ne s’ouvrent sur un couloir désert. Cette fois elle sélectionna le rez-de-chaussée.