Devant le miroir, elle passe la brosse pour la centième fois au moins dans ses cheveux clairs. Le regard de Clea est vide, perdu dans le vague de ses pensées. L’objet est redéposé à sa place, Clea s’assied sur le bord du lit refait et passe sa main sur son visage. Elle le sait d’avance, cette journée va être un calvaire et pourtant, c’est elle qui en a pris la décision. Des jours et des jours que la sorcière tourne en boucle la même idée, pesant le pour et le contre. Puis la jeune femme en était arrivée à une seule et unique conclusion : elle devait se faire recenser. Quand bien même cela allait contre tous ses principes, contre sa façon de penser, le statut de Stephen au sein d’ARES est à prendre en considération. C’est, de toute façon, la seule raison pour laquelle Clea accepte maintenant de se faire mettre une de leur chose étrange dans sa nuque, pour Stephen. Qu’il arrête de s’inquiéter et qu’il ne se retrouve pas un jour face à un choix désagréable. D’autant que la sorcière sait pertinemment qu’il choisirait toujours son épouse plutôt que la raison et Clea ne veut pas lui imposer ça. Alors elle se fait violence, s’impose à elle-même cette humiliation comme tant d’autres ont subi pour protéger son mari ainsi que sa famille. Distraitement, la blonde passe une main contre son ventre… Un long soupir s’échappe de ses lèvres, si elle se remet à penser à ça, il se peut qu’elle change d’avis et il en est hors de question. Après avoir attrapé ses chaussures, elle quitte la chambre à coucher pour descendre rapidement les escaliers.
En bas des marches, Wong l’attend patiemment avec une enveloppe dans la main. Dedans, les papiers américains de Clea, n’ayant pas du tout l’habitude de les utiliser, ils sont la plupart du temps rangés quelque part et c’est surtout Wong qui connait leur exacte place. Il y a également un papier avec quelques informations notées dessus, des choses auxquelles Clea n’aurait jamais idée de penser ou de demander mais qu’on risque de lui réclamer pour le recensement. Si elle n’en a pas parlé avec Stephen, elle en a par contre longuement discuté avec le majordome et tous deux en étaient arrivés à la même conclusion. Oh elle aurait pu en parler avec son époux mais la pensée que ce dernier veuille l’accompagner ne lui plaisait pas, elle voulait être seule puis elle ne tenait pas à lui apporter un quelconque souci en se recensant aussi tard. La main de Clea a tout juste attrapé le papier que les pas de Stephen retentissent dans le hall. Avec rapidité et beaucoup de nervosité, la sorcière fourre l’enveloppe dans la poche de sa robe et marmonne une excuse bien bancale, reprise avec plus d’aplombs par Wong. Heureusement qu’il est là d’ailleurs. D’une manière un peu empressée, Clea quitte la maison en évitant d’avoir l’air trop… bizarre/angoissée/nerveuse/stressée. Ce qu’elle est, au final. La boule qu’elle a l’estomac ne cesse de se resserrer à mesure qu’elle se rapproche des bureaux du recensement ; si bien que lorsqu’elle se retrouve devant les portes, Clea en a presque la nausée. Prenant son courage à deux mains, la sorcière finit enfin par les ouvrir et se glisser dans le hall d’entrée.
Il n’y a pas grand-monde, les personnes se faisant recenser aussi tard ne courraient pas les rues à part peut-être les nouveaux mutants ou ceux forcés de le faire. Clea ne sait pas trop où aller, à qui s’adresser et regarde autour d’elle un peu perdue. Elle est bien loin, la meneuse de rébellion, elle est plus une gamine apeurée qu’autre chose. Hésitante, la blonde s’approcher de ce qui semble servir d’accueil et derrière lequel une secrétaire la fixe depuis qu’elle est rentrée, sans pourtant jamais lui dire quoi que ce soit, renforçant un peu plus le malaise de Clea. Elle va ouvrir la bouche quand la jeune femme l’interrompt sèchement :
«
Va falloir attendre. Ils prennent leur pause. »
Elle n’en dit pas plus. Clea se contente de hocher de la tête en murmurant un vague « merci » avant de s’éloigner un peu, bras croisés contre sa poitrine. Tout dans cet endroit la met mal à l’aise, notamment le regard parfois insistant de la secrétaire. Il est hélas trop tard pour fuir, impossible de faire machine arrière. Alors elle attend, début et sans rien dire, pendant un temps qui lui semble interminable. Puis enfin, une porte s’ouvre et un homme en sort. Sans dire un mot, il lui désigne du menton la pièce dans laquelle elle doit rentrer. Une table, deux chaises et des papiers ainsi qu’un plateau en métal avec une chose qu’elle n’a jamais vue. On dirait un stylo mais cela n’en est pas un. Il y a aussi une étrange petite machine que la sorcière ne connait pas. Clea bredouille un bonjour auquel il répond par un « asseyez-vous ». L’amabilité ne les étouffe pas, en tout cas, ne peut s’empêcher de penser la sorcière.
«
Vous posez vos doigts ici, une main après l’autre et vous attendez que je vous dise de changer. » Explique-t-il en désignant l’étrange petit boitier.
Aujourd’hui, ces appareils sont répandus, utilisés pour les passeports biométriques. Mais c’est une première à Clea qui regarde la chose avec perplexité avant de finalement s’exécuter sans trop poser de questions. Une fois les empreintes relevées, l’homme attrape l’étrange stylo.
«
Votre index droit. »
Elle fronce les sourcils. Que compte-t-il faire avec cet objet ? Clea n’a pas confiance, elle sent d’avance que ce qu’il va faire ne lui plaira pas. La blonde hésite et lorsqu’elle commence doucement à tendre son bras, la main de l’homme attrape fermement le poignet délicat pour aller plus vite et tirer sans la moindre délicatesse le bras. La petite aiguille s’enfonce dans la peau de Clea, une brève seconde, juste pour prélever un peu de son sang puis la main est libérée. La sorcière regarde l’employé avec un air choqué. Ne pouvait-il pas prévenir ? Pourquoi ont-ils besoin de son sang ? Ils n’en ont qu’une très petite quantité mais cela déplait fortement à Clea, pas habituée aux prises de sang et autres gestes médicaux qui sont si habituels pour les humains. Il lui met ensuite devant elle des formulaires ainsi qu’un stylo et sans préciser quoi que ce soit, sort de la pièce en la laissant seule face aux papiers. Clea feuillette rapidement et se rend compte que les quelques informations données par Wong ne seront pas suffisantes. Elle tire l’enveloppe de sa poche, recopie les quelques notes, remplies les choses dont elle connait les réponses comme ses pouvoirs puis ensuite, fixe les lignes vides. Rien que l’âge et la date de naissance lui posent un énorme problème. Elle-même ignore sa propre date de naissance et pour réussir à définir son âge… Oh en général, dans sa dimension, on ne compte pas. Elle laisserait bien des espaces sans réponses mais il est précisé, tout en haut de la première page du formulaire, que tout doit être soigneusement rempli. Alors elle fait de son mieux, ne repose le stylo qu’une fois les pages noircies de son écriture peu assurée. La blonde redresse la tête, et maintenant ? Doit-elle attendre qu’il revienne ? Ou alors prévenir qu’elle a terminé ? Il n’a rien dit. Dans le doute, Clea reste là où elle est.
C’est un homme complètement différent qui entre dans la pièce, ramasse les formulaires en vérifiant les informations.
«
Vous en avez mis du temps, à venir vous faire recenser. Dit-il d’un ton revêche.
Votre époux n’a pas pris la peine de vous prévenir que c’était obligatoire ? -
Si mais… »
Sa voix est coupée par le claquement sec du dossier que l’homme referme. Il ne l’écoute pas. Elle est en retard, est restée de long mois avec un statut de hors-la-loi et aucune excuse ne pourrait être valable. Elle baisse la tête, se mord les lèvres et ses doigts entortillent nerveusement le tissu de sa robe. On la fait ressortir de la pièce pour la conduire dans un petit couloir exigüe et encore une fois, sans rien lui dire, on la laisse là. Clea suppose qu’elle doit juste attendre que la porte à côté s’ouvre. Mais sur quoi ? Ou qui ? De très longues minutes puis une heure avant qu’un médecin en blouse blanche la fasse entrer. Clea s’est figée quelques instants, regardant la blouse avec angoisse. Et maintenant ? Au final, ce ne sont que des questions. Questions qui, encore une fois, lui posent des problèmes. Le médecin la presse, s’impatiente lorsque Clea prend trop de temps pour répondre. Il a le formulaire précédemment rempli par Clea sous les yeux, lui fait la même réflexion désagréable sur le retard de son recensement mais cette fois, la sorcière ne tente pas de dire quoi que ce soit, elle se contente juste de baisser les yeux pour regarder son ventre rond et ses mains. Il lui pose des questions sur les races de ses parents, questions auxquelles Clea répond avec précaution et réticence. Les médecins humains n’ont jamais inspiré de confiance à la sorcière, tous comme les scientifiques. Elle sait pertinemment que certains d’entre eux ne diront jamais non pour examiner des personnes comme elle, venant d’une autre dimension, faisait partie d’une espèce différente. Dieu seul sait ce que certains veulent en faire !
Retour dans le couloir. Longtemps, très longtemps. Debout, le dos appuyé contre le mur, Clea patiente presque trois heures. Trois heures ou personne ne vient lui dire quoi que ce soit, elle a bien essayé de poser une question mais la mine fermée de l’homme lui fait changer d’avis. Sont-ils tous ainsi ? Ou certains ont un tant soit peu de considération pour les personnes venant se faire recenser ? Ont-ils mis que des gens détestants les mutants et autres, manière de renforcer ce sentiment déjà cuisant d’humiliation ? Ou alors est-ce seulement pour les retardataires ? Stephen a-t-il eu droit à tous ces visages froids et ces manières brusques ? Une infirmière pas très grande, aux cheveux grisonnants finit par ouvrir la porte d’une énième salle pour la faire entrer. Les yeux verts de l’inconnue détaillent avec attention Clea, le regard s’arrêtant un peu trop longtemps sur son ventre. Sachant qu’elle le regrettera mais le faisant quand même, la blonde se met à écouter les pensées de l’infirmière et ce qu’elle y entend lui donne la nausée. La sorcière s’installe sur le tabouret, regardant avec hostilité les instruments médicaux posés sur un plateau stérile. Dans son dos, elle entend le claquement des gants stériles et Clea ferme les yeux avec force en récupérant ses cheveux pour dégager sa nuque. Elle se concentre pour penser à autre chose, elle a bien vu le petit scalpel, sait à quoi il va servir. Puis sans savoir si c’est de la provocation, de la pure méchanceté ou encore de la stupidité mais l’infirmière laisse échapper un :
«
Vous savez, des gens comme vous ne devraient pas avoir d’enfants, ce n’est pas raisonnable. »
Avec un naturel déconcertant. Ca fait sursauter Clea qui a un vif mouvement de recul, faisant tomber le petit plateau sur le sol dont le bruit surprend l’infirmière qui entaille la nuque de Clea au mauvais endroit. La blonde s’est relevée dans un bond et éloignée de la femme, les yeux écarquillés.
«
Regardez ce que vous avez fait ! Il va falloir tout stériliser à nouveau. »
Voilà la seule chose qui inquiète l’infirmière. Pas sa façon de traiter une personne vivante sans la moindre considération. Clea pose une main sur sa plaie qui continue à saigner et dont le rouge a tâché le col de sa robe. Elle regagne son tabouret, et seulement là, l’infirmière daigne nettoyer le sang pour reprendre sa tâche première : injecter la puce. Le couteau du scalpel appuie contre la peau de la nuque de Clea qui est complètement crispée. A mesure que l’infirmière incise plus profondément, les yeux de la blonde se remplissent de larmes qui dégoulinent rapidement le long de ses joues pâles. Elle ressent le petit objet qui est inséré dans sa chair. Le corps de Clea, absolument pas habitué au moindre corps étranger, n’aime pas ça. Tout comme sa magie qui frémit en sentant cette chose inhabituelle dans la nuque de Clea. La douleur est cuisante, la tête lui tourne et une violente nausée la prend. Elle a tout juste le temps d’attraper une bassine posée non loin avant de vomir le contenu de son estomac. Elle a cette foutue impression d’avoir perdu toute sa dignité, transformée en un vulgaire numéro de dossier, en des informations sur des formulaires. Jamais, jamais ils ne feront subir ça à ses enfants. Elle les tuera tous s’ils tentent de s’approcher d’eux, de les pucer comme de vulgaires animaux, de les humilier et les rabaisser. Qu’on tente de toucher à un seul de leurs cheveux et elle les massacrera. Elle, pourtant si douce, n’hésitera pas un seul instant à faire couler le sang alors que cette idée la répugne en temps normal. Pas après ça. Pas après ce qu’elle a vécu. Elle repose la bassine, s’approche de l’évier pour se rincer la bouche et se passer un peu d’eau sur le visage. Clea ne demande pas son reste, elle a sa puce dans la nuque et ils ont tout ce qu’ils voulaient. Sans même un au revoir, Clea sort en claquant la porte avec force.
Lorsqu’elle passe les portes pour quitter les bureaux, Clea ignore l’heure qu’il est, combien de temps elle est restée entre ces murs hostiles et froids, auprès de gens abjectes. Ses longs cheveux cachent le col souillés par le sang écarlate, elle marche d’un pas un peu pressé mais ralentit finalement l’allure alors qu’elle se rapproche du Sanctum. Elle n’a pas envie de rentrer, pas envie de tomber sur Stephen, elle se demande seulement si elle parviendra à le regarder dans les yeux. Elle fait un détour, finit par errer dans un parc pour finalement s’asseoir sur un banc isolé, son visage caché dans ses mains pour cacher ses larmes. Le jour se couche, les lampadaires s’allument mais Clea ne bouge pas. La nuit s’est installée, le parc s’est vidé de ses occupants à l’exception de la sorcière qui, ne bougera sûrement pas avant encore plusieurs heures.
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