Anna Decker ϟ Every rose has its thorn

« Tu sais Tom, tu ne devrais pas te tuer autant à la tache. Pourquoi tu ne prends pas quelqu’un pour t’assister ? Tu es complètement épuisé… »

Tom était le gérant du seul bar-grill de Krotz Springs en Louisiane et il considérait ses employés comme de la famille, un sentiment largement réciproque. Il y a quelques mois, il avait eu la chance de devenir le papa d’une petite blondinette dont il était particulièrement fier seulement… Cette vie avait eu un coup, un prix terrible à payer : la vie de son épouse. Mais Tom n’était pas du genre à déprimer, il savait que sa fille avait besoin de lui et il s’était donc remit au travail dès leur sortie de l’hôpital. Il avait vendu la maison pour s’acheter un mobil home qu’il avait installé près du restaurant afin de pouvoir continuer à travailler tout en s’occupant de sa fille. Impossible d’engager quelqu’un d’autre, il avait déjà assez de mal à joindre les deux bouts comme ça. Alors il travaillait tous les jours comme si de rien n’était, le berceau de sa fille installé dans son bureau, un baby phone à la ceinture.

« Je ne peux pas me le permettre et tu le sais très bien… Il est hors de question qu’elle galère comme nous, je veux lui offrir une belle vie et de grandes études si c’est ce qu’elle souhaite. Et puis elle n’est pas malheureuse comme ça, on gère, tout va bien. »

Il n’avait pas tort, Anna n’était pas malheureuse : Elle avait plein de super mamans et un papa extraordinaire. Et puis il y avait toujours des choses à voir au restaurant, des gens gentils pour lui parler. Son père travaillait dur pour son bonheur et la petite fille lui rendait bien car elle était un véritable amour. Toujours sage comme une image, souriante et sociable. Mais le personnel était très inquiet pour Tom qui ne dormait que très peu et travaillait beaucoup trop. Il ne passait pas un instant à s’occuper de lui, pas une minute sans rien faire. Il lui arrivait même de s’endormir sur son bureau, Anna tranquillement installée près de lui dans son berceau…

Heureusement, Tom avait tout d’un battant et sa fille était partie pour devenir comme lui. Quand elle fut capable de marcher correctement, elle s’amusait souvent à faire le ménage après le service de midi. Plus tard, elle aidait avec les tables quand elle n’était pas à l’école. Sans qu’il ait eu besoin de le dire, avant même qu’elle ne soit capable de parler couramment, Anna avait comprit et elle faisait de son mieux. Tout le monde était impressionné par sa maturité et par sa capacité à s’adapter. Sans compter qu’elle était une excellente élève à l’école : une petite fille modèle. Au fond, Anna voulait simplement que son père soit fier d’elle, qu’il soit soulagé, qu’il ne soit plus aussi inquiet et fatigué. Et ça marchait un peu…

Mais ce qui le rendait réellement fier n’avait rien à voir avec le restaurant, c’était même la seule chose dont il ne pouvait parler à personne. Le jour même de ses quinze ans, Anna fut prise de forte fièvre qui aurait pu inquiéter n’importe quel parent mais que Tom ne connaissait que trop bien. Installé calmement près de sa fille sur son grand lit, il attendait calmement que la transformation se fasse. Leur chat était couché près de la petite, conscient que quelque chose n’allait pas, ronronnant pour tenter de la calmer. Puis soudain, ses traits changèrent. La première transformation était toujours longue et désagréable puis les choses s’accéléraient pour finalement devenir parfaitement indolores et presque immédiates. Tom passa la nuit avec elle, accompagnant au mieux sa transformation, une chance qu’il n’avait pas eu.

Après ce jour, le père et la fille furent plus proches encore. Le soir, avant l’arrivée des clients ou après leur départ, ils partaient courir dans la forêt ou nager dans l’Atchafalaya. Parfois, ils prenaient l’apparence d’un chien, parfois celle d’un chat ou même d’une loutre. Les premières transformations étaient toujours un peu longue. La peau changeait d’abord de couleur puis des poils ou des plumes apparaissaient ça et là, les dents changeaient, les oreilles puis les doigts. Ce n’était jamais des heures mais souvent de longues minutes. Le plus souvent, elle ressentait des picotements un peu partout, comme des chatouilles. Tom savait qu’il fallait qu’elle se transforme un bon nombre de fois pour maîtriser parfaitement cet art. Ces jeux n’étaient qu’une opportunité pour l’entraîner. Imiter ce qui l’entoure, se servir d’un modèle connu loin des yeux. Il avait la chance d'avoir le même don que sa fille là où lui avait apprit seul car sa mère l’avait donné à l’adoption alors qu’il n’était qu’un nourrisson. Et d'ailleurs, quelles étaient les chances que cela remonte aussi loin ? Tom n'y connaissait rien, il avait apprit seul, douté, craint. Aujourd’hui il s’acceptait pleinement et aimait même ce pouvoir qu’il avait longtemps vu comme une malédiction. Grâce à sa passion, à ses conseils, Anna fut rapidement capable de passer de sa forme humaine à une forme animale en quelques secondes mais c’était tout de même un effort conséquent. En général, elle s’endormait dès qu’ils étaient rentrés, épuisée.

Ils chérissaient ses instants souvent trop courts. Rapidement, la petite Anna devint une vrai métamorphe, capable de se transformer rapidement et sans douleur. Petit à petit, la fatigue causée diminuait et ses transformations pouvaient devenir plus longues et plus diverses. Avant cela, la fatigue l’engourdissait et la faisait reprendre forme humaine malgré elle. Malgré les longues heures passées à s’entrainer, Anna ne pouvait alors pas garder sa forme animale plus de deux heures. En parallèle, elle était entrée au lycée où elle faisait aussi des merveilles. Il faut dire que la jeune femme travaillait beaucoup quand elle n’aidait pas son père. Tout ça en plus du long trajet qu’il lui fallait faire pour aller de son école au restaurant… Mais Anna n’en avait cure, elle était heureuse.

Néanmoins, quand elle eu l’âge d’entrer à l’Université, Anna refusa. Elle était consciente du coup et savait surtout que ça l’éloignerait beaucoup trop de son père et du restaurant. Elle décida donc de devenir serveuse à plein temps tout en apprenant plus sérieusement les rouages du management. Son père était un bon patron et un bon gestionnaire, il lui apprit sûrement plus que n’importe quel enseignant ! Surtout qu’elle était sur le terrain, face à des réalité et pas des théories futiles. Ça lui plaisait vraiment, elle aimait cette vie et ce malgré les hauts et les bas, malgré les difficultés. Puis ils courraient toujours, s’amusaient tellement dans ses moments là. Elle n’aurait échangé ça contre rien au monde, elle n’y aurait absolument rien changé.

Malheureusement, quand elle eu vingt deux ans, son père succomba d’une crise cardiaque. Face au deuil et aux dettes, Anna préféra vendre le restaurant à l’une des plus ancienne serveuse pour quitter la Louisiane. Il lui fallait changer d’air, changer de vie, la Louisiane c’était son père et elle ne pouvait pas continuer ainsi sans lui. Il fallait reprendre à zéro, recommencer sur de bonnes bases. Ayant récupéré une somme raisonnable d’argent, la jeune femme se dirigea vers le Nouveau Mexique ou plus exactement à El Paso. Là, elle apprit l’espagnol qu’elle réussit rapidement à parler couramment. Pour survivre, Anna était redevenue serveuse ce qui lui permettait de louer un petit appartement en collocation avec une autre fille et deux hommes.

En moins d’un an, ils étaient devenus très proches et commençaient déjà à arrondir leur fin de mois avec quelques larcins. Anna ne s’était plus changé en animal et cet aspect de sa personnalité lui manquait. Parfois, quand elle était seule, elle reprenait son apparence de chat favorite. Les transformations étaient toujours aussi rapides et indolores, elles duraient presque quatre heures à présent. Il faut dire qu’elle avait subit un entraînement intensif que l’absence de pratique n’avait pas affaibli. Heureusement, quand elle commença à sortir avec son colocataire, elle réalisa qu’il y avait d’autres personnes comme elle, d’autres mutants avec d’autres pouvoirs. Lui aussi était différent, il pouvait voir à travers les murs. Avec leurs pouvoirs combinés, ils pouvaient taper plus haut dans les cambriolages. Il cherchait les maisons rentables, elle se changeait en mouche pour récupérer les codes des coffres. L’autre jeune femme était extrêmement souple et pouvait facilement se faufiler dans les maisons… Le dernier n’avait pas de pouvoir mais il conduisait bien et avait une voiture.

Le groupe s’engagea dans des cambriolages de plus grosse envergure et cela fut d’abord très lucratif. Malheureusement, un an après leur début, un cambriolage hors de la ville tourna mal… Son amant fut tué par la police en tentant de fuir et les deux autres furent arrêtés sur place. Anna réussit à s’enfuir en reprenant une apparence de mouche et eu à peine le temps de rentrer chez eux pour récupérer une belle somme de liquide. Grâce à une connaissance d’Albuquerque, la blonde obtint de faux papiers et une nouvelle identité histoire de pouvoir se déplacer tranquillement. Elle devint aussi brune le temps de se faire oublier… Et quel meilleur endroit que New York pour disparaître dans la foule ?

À vingt-quatre ans, Anna Decker (anciennement Jones) s’installa donc à New York, dans un petit appartement du Bronx. Elle redevint serveuse pour gagner sa vie. Il lui restait pas mal d’argent de ses rapines mais il était hors de question de le claquer ou même de le déposer sur un compte. Elle devait faire profil bas et l’idée de reprendre ses études trottait dans sa tête. C’est ce que son père aurait voulu après tout… Mais il fallait d’abord se faire une place, reprendre une vie normale. Sous forme de chat, il lui arrivait de voler quelques bijoux pour arrondir ses fins de mois. Elle aurait pu faire sans mais sa cagnotte comptait beaucoup pour elle.

Ne souhaitant plus fuir ou courir, Anna accepta de se recenser sans problème. Être hors la loi ne lui avait jamais vraiment plu, elle avait un peu honte, consciente que son père n’aurait pas voulu ça… Mais il fallait bien vivre, il fallait prendre des risques pour ne pas finir dans les caniveaux… Une battante, une vraie. Et elle n’était pas au bout de ses surprises puisque le virus X1R1 fit son apparition. La peur parmi les humains était de plus en plus grande et elle ne pouvait que les comprendre. Ne souhaitant pas s’isoler d’eux ou risquer de les contaminer, Anna a encore fait les choses dans les règles. Étant déjà recensée, ce ne fut pas bien compliqué. Une petite piqure pour être vraiment tranquille. Mais combien de temps ce pseudo calme allait durer ? Anna voulait la paix, le respect entre les espèces mais, plus le temps passe, plus elle préfère être un animal, loin des conflits et des problèmes. Il lui arrive d’ailleurs souvent de passer une journée entière transformée en chat. Une si longue transformation l’épuise mais elle se sent tellement plus libre comme ça…