Orgueil et Conséquences
"le premier qui demande si j'ai mal, je lui redéfinis les entrailles"
La nuit précédente
Le ciel de la ville était d’un noir bruyant, teinté par l’orange des lumières nocturnes et par le chant urbain de la nuit. Base sonore de voiture qui filent, rythmé en syncope par les bars encore actif, silencieux jusqu’à ce qu’un client n’en passe la porte, délivrant dans les rues leurs mélange ouaté de conversations bruyante, de musique et de bruits de verre qui claque. Jazz se serait bien lové au creux d’un de ces pub, emmitouflée de personnes bruyantes et de conversation au goût de bière. Mais elle était trop occupée à courir en silence sur les toits… Pas que ce soit pratique, et sûrement très stéréotypé, mais se balader dans sa tenue actuelle, armée d’un pied-de-biche, aurait le désagréable effet d’attirer l’attention. Jean, veste, chaussures et sweatshirt, tous noirs, recouvrait son corps en action. Son visage, maquillé de noir sur la partie supérieur, Furiosa style, était couvert de sa capuche, dissimulant ses traits dans l’ombre. L’avantage d’avoir des chaussures à semelles de vibranium, c’était qu’elle y gagné en équilibre, et que le son de ses pas courant sur les graviers des toits d’immeuble était totalement absorbés. Elle devait faire vite, elle aurait adoré se rendre à sa destination en voiture, mais elle ne pouvait pas risquer de mettre sa couverture en doute.
Jazz se dirigeait vers un restaurant, fermé ce soir-là, où devait se discuter dans l’arrière-boutique des décisions importante de la mafia irlandaise. Elle enquêtait en secret depuis quelques temps sur de possibles flics corrompus dans son service, et elle espérait pouvoir en attraper un la main dans le sac. Au moins elle foutrait le bordel dans l’organisation des Irlandais et augmenterait un peu la pression sur ces derniers. Sautant au dessus d’un immeuble, elle fit un mouvement vif du bras droit, son pied-de-biche se séparant en deux, relié par un fil d’acier, et allant se ficher dans l’immeuble en face comme un grappin. Elle se balança en travers de la rue jusqu’à heurter de ses deux pieds la façade. Aucun bruit, aucun tremblement, ses bottes étaient parfaites pour amortir les chocs. Elle commençait à se faire à se mode de déplacement. Elle ne l’apprécierait jamais, mais elle s’y faisait petit à petit. C’était bien plus intéressant qu’un simple footing.
S’accrochant d’une main au manche de son pied-de-biche/grappin, elle se déplaça en rappel jusqu’à la fenêtre la plus proche, avant de se placer sur le rebord. Effectuant un mouvement sec de la main pour détacher le grappin et le rembobiner, elle reforma son arme de prédilection et s’en servit pour forcer la fenêtre. C’était l’avantage d’un pied-de-biche en vibranium, bien que purement absurde sur le papier, il était notamment capable d’ouvrir de nombreuses portes…
Se faufilant dans la pénombre de la pièce, une sorte de dépôt à mi-chemin entre le grenier et une chambre, elle se dirigea à pas de loup vers la porte et l’ouvrit avec précaution. Le couloir était sombre, mais il filtrait à son extrémité une pâle lumière orangeâtre, indiquant un escalier. Diffus, des voix lointaines et indistinctes infusaient l’air du vieil appartement. L’immeuble tout entier était un repaire pour les Irlandais, ce n’était un secret pour personne, et le restaurant-pub était une façade à peine dissimulée. Sans preuve, ils se sentaient bien à l’abris, et Jazz les soupçonnait même de narguer les flics. Mais elle voyait les preuves, leurs liens avec la police, en touchant des contraventions, en effleurant des pièces à conviction inutile, elle percevait par bribe depuis quelques temps qu’il se tramait quelques fourberies.
Elle avança prestement jusqu’à l’escalier, le corps tendu. Ce n’est pas parce qu’elle faisait ça depuis quelques temps avec de plus en plus d’assiduité qu’elle en perdait l’angoisse. L’adrénaline n’était pas vraiment du goût de Jazz, ni même la raison qui la poussait à tabasser clandestinement du malfrat. C’était la frustration. Ce sentiment de rage qu’elle ressentait quand elle découvrait des choses qu’elle ne pouvait pas prouver.
Elle allait descendre et faire ravaler leurs air narquois et leurs fierté à ces ahuris bercés dans leur illusion de sécurité.
*
* *
Maintenant
Le jour pointait un doigt blafard par dessus les immeubles, éclairant un hideux matin grisâtre au ciel nuageux, dénonçant dans sa froideur la silhouette de Jazz, accroupis dans une ruelle. Elle se tenait la hanche avec douleur, un semblant de bandage enserrant son corps, fait de morceaux de rideaux arrachés. N’eût été pour le noir total de ses vêtements, on aurait pu voir sur eux la même tache rouge qui marquait l’emplacement de sa blessure par balle sur le tissu à fleur du rideau. La saloperie l’avait traversait, la balle était loin derrière elle, mais les Irlandais, eux, étaient encore sur sa trace.
Erreur de débutante. C’était elle, l’ahurie narquoise et fière, bercée d’illusion de sécurité. Sa prescience lui avait sauver la vie, enfin presque, mais vu le nombre qu’ils étaient, une balle à travers l’abdomen c’était encore de la chance. Elle avait pu s’enfuir miraculeusement, errer à travers la ville, mais ses agresseurs (enfin, c’était un peu la blague de l’agresseur agressé pour le coup) l’avait toujours retrouvée. Et elle savait qu’ils surveillaient le quartier. Les boutiques commençaient à ouvrir, et elle allait manquer d’option. La sueur dégoulinait sur son front alors qu’elle serrait les dents, pleine de colère, surtout contre elle-même. Prenant appuis sur le mur, elle se releva dans un râle de douleur et se dirigea vers la sortie de la ruelle.
Alors même qu’elle faisait un pas dehors en tentant tant bien que mal de camoufler son état, elle distingua du coin de l’œil, à une centaine de mètres, deux mecs en blousons de cuir qui réagirent immédiatement à son apparition. Shit ! Marchant dans la direction opposée, elle entra dans la première boutique ouverte sur sa route. Une odeur de plastique imbiba ses narines quand elle poussa la porte avec son pied-de-biche, son autre main pressant sur sa blessure. Un jeune homme se tenait derrière le comptoir, mais elle ne chercha même pas à le dévisager, et alla se jeter derrière l’angle du comptoir, se laissant glisser jusqu’au sol, cachée du point de vue de la vitrine. Elle fit tomber divers boitiers de plastique, comprenant brièvement qu’elle était dans une boutique qui vendait au moins des jeux vidéos.
« Fermez votre boutique ! Vite ! »Aboya-t’elle faiblement en jetant un coup d’œil vers la rue du coin du comptoir, guettant la moindre apparition des bâtards à ses trousses.