Find you | ft. Jeff

Face au miroir de la salle de bain, je remets le bandage en place. Enfin seul. Enfin livré à nouveau à moi-même. Depuis l’incident, Aidan s’est montré particulièrement agité. Il m’a forcé à garder le lit plus que nécessaire et m’a couvé d’attentions. Du moins, ça, c’était quand on ne s’engueulait pas sur qui avait la responsabilité de ma mort. Un long frisson me court le long du dos. ‘Ma mort’… Cela fait toujours bizarre. Me dire que la vie m’a quitté un bref moment, que je ne suis ici que parce qu’Hela a accepté mon marché, uniquement grâce à sa bonne volonté… Ça vous change un homme. La vie semble avoir pris un gout différent. Plus complet, plus complexe. Je me sens comme un miraculé. Pourtant mon miracle, je l’ai créé moi-même. Je n’aurais pas pu forcer la main de la déesse mais si je suis ici aujourd’hui, c’est sans doute que mes mots ont su convaincre.

Avec toutes ces journées passées aliter, bloqué dans le fauteuil ou dans mon lit, j’ai eu le temps de penser à pas mal de choses. Je me suis retrouvé piégé de mes souvenirs, de mes regrets. J’ai pensé au retour de Mouse dans ma vie, à celui d’Aidan, à la Confrérie, à Icare, à Jeff. J’ai pensé à toutes ces personnes que je me refuse à m’abandonner. Et le visage du sans-abri s’est fait plus clair au fil des jours qui passaient. Où était-il ? Allait-il bien ? Ses mains tremblent-elles toujours ? Cela avait viré à l’obsession.

Je serre le bandage avant de le fixer, grimaçant comme toujours sous la manœuvre. Je n’en ai plus réellement besoin et le médecin m’a conseillé de laisser respirer la blessure pour favoriser sa cicatrisation totale. Mais sans le bandage, j’oublie que je suis blessé, j’oublie qu’au moindre mouvement trop rapide, c’est une onde de douleur qui irradie de mon estomac. Le bandage aide à me souvenir mais aussi, il m’apaise. Aujourd’hui, il n’y a plus aucune chance pour que la blessure ne se rouvre. Mais avoir ce bandage qui me cercle la taille, ça a un côté rassurant. Savoir que, s’il se passe un truc, il est là.

Aidan est parti faire des courses, me laissant seul pendant ce temps. C’est chose rare. Il s’est mis en retrait de l’organisation d’Icare juste pour moi. Je déteste ça. Je déteste voir le poids de la culpabilité lui peser sur les épaules. J’ai choisi de me placer entre cette balle et lui, j’ai choisi de faire barrage de mon corps. Il n’est en rien responsable pour tout cela. Mais soit. Cette solitude retrouvée, elle ne durera pas. Je le sais. Aussitôt le roux de retour, il me forcera à nouveau à m’asseoir à me reposer. Ce n’est pas cela que je veux.  J’ai besoin de sortir, de chercher après ce visage de mon passé, tenter quelque chose pour l’aider. Lui tendre la main que je n’ai jamais été apte à lui tendre.

Je termine donc de m’habiller en vitesse et c’est mon chien sur les talons que je quitte le logement d’Aidan. Il va gueuler à mon retour mais je n’en peux plus. J’ai besoin de sortir, de bouger. Au moins un minimum. Ma marche est plus lente et plus lourde qu’à l’accoutumé, je décide de m’économiser. J’ai pas mal de marche à faire si je veux espérer trouver Jeff aujourd’hui ou avoir une piste sur l’endroit où il squatte pour le moment.

Et effectivement, je parcours longtemps les rues, commençant par les endroits où nous avions l’habitude de trainer. Il y a quelques temps, j’aurais dû faire des pauses fréquentes mais je suis en bonne voie de guérison, la marche ne pose pas trop de soucis. Et pendant que j’évolue dans ces rues que je connais si bien, je ne peux que me demander ce que je vais bien pouvoir faire pour aider Jeff. Le retrouver est déjà une bonne chose en soit. Mais après… ?

Je ne sais pas combien de temps de marche cela m’a pris mais, enfin, je finis par apercevoir la silhouette familière. Assise au sol, attendant sans doute que le temps se passe. Ses yeux fixent le sol et je ne peux pas m’empêcher de m’approcher en silence, de m’asseoir à mes côtés comme je l’ai si souvent fait par le passé. « Comment tu vas, vieux ? » Encore et toujours, ma maladresse sociale. Je voulais ardemment le retrouvé et maintenant que je suis assis à ses côtés, je ne sais plus quoi lui dire, je ne sais pas comment engager la conversation. Je suis probablement le pire soutiens possible.

« Comment je vais? Tu t'es vu? C'est à moi de m'inquiéter! »  J’accueille la remarque avec un léger rire. C’est vrai, j’ai toujours des cicatrices sur le visage dues à la fois où Wolverine m’a lacéré la tronche pour nous permettre de fuir chacun de notre côté. Et si je trouve personnellement avoir meilleure mine, je suis quand même mort il y a un mois de cela. Je suppose que les insomnies doivent avoir créées un creux sombre sous mes yeux. Au moins, il ne peut pas voir le bandage qui me cercle le ventre. Pas que j’en ai réellement encore besoin, la blessure s’est refermée depuis le temps. Mais cela me rassure. Je sais que ça ne changera rien mais j’ai eu quelques accidents pendant que je me remettais sur pied et depuis, je serais méthodiquement ce bandage autour de mon ventre. Même si cela ne sert plus à rien. « J'espère que tu vas me raconter dans quel pétrin ces derniers temps. »

Je ris à nouveau alors que je croise le regard de Jeff. Un rire un peu désabusé, un rire fatigué. « Tu ne me croirais pas, même si je te le racontais dans le détail. » Comment y croire d’ailleurs ? Icare, à la rigueur, pourquoi pas… La Confrérie… C’est déjà un peu plus gros à avaler. Mais avoir été ramené de la mort par une déesse nordique ? Même moi je me regarderais presque de travers en me demandant ce que j’ai bien pu consommer comme champignons pour avoir une hallucination pareille. « Ca fait quoi… ? Un an ? Un peu plus d’un an je crois… Qu’on ne s’est plus posé comme ceci tous les deux, juste pour discuter. »

Et, comme il y a un an, je remarque que ses mains tremblent. Cela me serre bien trop le cœur. J’aimerais pouvoir l’aider, y faire quelque chose. Jeff m’a plus que probablement sauvé la vie, j’aimerais être capable de pouvoir l’aider en retour. Je repense à notre dernière rencontre. Je revenais d’un boulot avec Aidan, on était en costumes. Vu la somme d’argent que je lui ai fourré entre les doigts, il a dû penser que j’occupais un job de prestige dans une banque… Ou quelque chose dans le genre… J’ai peur de le décevoir en lui disant la vérité. Peur de voir la déception se peindre sur les traits de cet homme que je considère plus comme un père que mon géniteur.

« Tu ne vas pas aimer ce que je suis devenu… » Juste une mise en garde. Je ne peux pas le cacher à Jeff, je ne peux pas tout simplement le laisser dans l’illusion d’un mensonge, je ne peux tout simplement pas lui mentir par omission. « Le gars avec qui tu m’as vu la dernière fois, c’est un ami d’enfance mais c’est aussi mon patron. Il tient un groupuscule de voleurs et d’arnaqueurs de haut standing. Comme personne ne voulait m’engager, il m’a donné une chance. » Je connais ses principes, je connais ses valeurs. Je sais que mon manque de morale a toujours été un problème pour lui, qu’il avait du mal à accepter de la nourriture ou de l’argent que je lui amenais parce que je ne travaille pas forcément selon son code de conduite à lui, que je n’ai pas de scrupule à voler une mère ou quelqu’un qui semble à peine arriver à joindre les deux bouts.

Il vaudrait peut-être mieux que je taise le fait que je suis à la Confrérie, que je me bats pour les mutants tous les jours mais pas de la manière la plus douce possible. Un choc à la fois, ça peut être suffisant je pense. « Pour le moment, les choses sont un peu plus calme… C’était vraiment les mois passés que le monde semblait être devenu fou… Et c’est là que tu vas commencer à me regarder de travers et te demander ce que je peux bien fumer pour le moment… Il y a plusieurs mois, j’ai manqué perdre un bras à cause d’un mutant qui se changeait en dragon qui avait l’air de penser que c’était un bon os à ronger. S’il n’y parait rien aujourd’hui, c’est uniquement parce qu’un ami a prié la divinité qui a mis New York à sac il y a des années et qu’il nous a extirpé de cette situation difficile pour nous soigner ensuite. Plusieurs mois après, je me suis pris une balle pour protéger un ami, le gars avec qui j’étais la dernière fois, et j’ai été faire un petit tour dans le monde des morts avant de revenir miraculeusement à la vie. J’ai été surpris à une conférence aux côté d’un X-Man recherché et j’ai dû lui demander de me lacérer le visage pour que les gardes comprennent que je n’ai rien à voir avec ce psychopathe. Et… Et j’ai retrouvé ma petite sœur… Et j’ai été faire un tour sur la Lune aussi… » Mes épaules ce soulèves, au même titre que mes sourcils. « Je t’avais dit que tu n’y croirais pas… Et toi ? Quoi de neuf ? »

Lorsque le rire de Jeff résonne dans mes oreilles, je me rends compte à quel point il m’a manqué, à quel point son absence m’a pesée pendant tous ces mois. Jeff, c’est un homme vers qui je peux me tourner quel que soit la situation, un gars à qui je peux tout dire, chez qui je peux toujours venir chercher conseil. Un peu le père que j’aurais aimé avoir lors de ma jeunesse. Je ne sais pas s’il rit de moi ou s’il s’amuse du côté rocambolesque de ma vie mais je m’en fiche. Ca fait du bien d’entendre à nouveau ce rire. Je ne peux d’ailleurs pas m’empêcher de sourire. Ainsi assit à ses côtés, j’ai l’impression de gouter à nouveau à cette vie si simple et à la fois plus compliquée. Je ne dirais pas que cela me manque mais, parfois, j’ai la sensation que les choses étaient effectivement plus simples en ce temps-là. Trouver de quoi manger, dormir, avoir chaud, boire. Pas de réflexions sur ce qu’il faut faire ou pas pour le bien de la mutanité.

« Le pire c'est que je te crois. Mais n'empêche que tu devrais écrire un livre sur ta vie. » C’est mon tour de rire. « Sérieusement ? J’ai même parfois du mal à y croire moi-même alors que, pourtant, j’ai vécu toutes ces choses. » Mais il est vrai qu’avec l’invasion Chitaurii d’il y a quelques années, certains s’étaient retrouvés avec un esprit beaucoup plus ouverts que d’autres. Jeff a toujours eu un esprit très ouvert sur toutes ces choses. Cela m’avait un peu posé à question par le passé mais j’avoue que, après avoir vécus tant de choses et croisé tant de monde, je comprends qu’on puisse être un peu blasé par toutes ces choses… Mais que Jeff avale toutes ces histoires sans sourciller, cela me surprends tout de même au moins un peu. Mais mon mentor est quelqu’un d’exceptionnel. Cela doit sans doute venir de là… « J'ai rencontré une fille que je trouvais plutôt jolie. Anna qu'elle s'appelait, mais quand je l'ai revu, elle m'a dit qu'elle me connaissait pas et qu'elle avait une double personnalité. Pour l'instant je ne sais pas si c'était pour se débarrasser de moi ou si c'était vrai. Avec ses mutants, ses dragons et ses dieux, on ne sait plus différencier le vrai du faux de nos jours. »

Je joins mon rire au sien. « J’avoue que ça ressemble à une mauvaise excuse pour te mettre sur la touche, mec. » Ensuite, il se passe quelque chose d’étrange. Nos regards s’accrochent et on reste là à s’observer un moment sans un mot. Et le silence semble se prolonger. Il y a quelque chose dans l’air, une sorte de tension qui s’est installée. Je sens que la suite de la discussion ne va pas plus me plaire que cela. Encore une leçon de moral ? Cela ne m’étonnerait pas. J’y goûtais souvent par le passé. Et je suis ai clairement avoué que je vivais toujours de vols mais… à une échelle plus grande. Et, comme je m’y attends, cela ne manque pas. « Tu vois où ça t'amène? Toutes ses petites arnaques, ça te fou un mauvais karma, et tu payes pour ça. »

Je lève les yeux au ciel. Je ne sais pas si ce côté moralisateur et droit chemin m’avait manqué ou pas. Cela fait partie des choses que j’admire chez lui. Cette capacité qu’il a à rester droit même si cela implique d’être mal pour lui. Contre vents et marées, la moralité de Jeff est impliable. C’est quelque chose dont je ne suis pas capable. Tant que je fais un effort pour gagner ma vie, même si c’est en volant les autres, cela me suffit. Et puis, les riches que nous volons n’ont pas besoin de tout cet argent. J’en fais un bien meilleur usage qu’eux alors, pourquoi s’en priver ?

Mais lorsque je vois le tas de billets froissés être agité devant moi. J’aurais dû m’en douter. Foutue tête de mule. Pire que moi parfois. Foutu moralisateur qui refuse mon aide. Je me renfrogne malgré moi. J’aimerais tellement être apte à lui tendre la main, à l’aider comme il m’a aidé par le passé. J’aimerais pouvoir lui rendre la pareille, lui montrer que j’ai pris ses enseignements pour en faire quelque chose. Mais, je vol pour vivre. Et, à côté de cela, je suis considéré comme un terroriste pour mon affiliation à la Confrérie. Alors que je ne fais que ce qui doit être fait pour protéger mes frères et sœurs mutants. Je n’ai rien qu’il puisse accepter. Rien qu’il puisse tolérer. Je n’ai pas de foyer à moi, je ne gagne que de l’argent ‘sale’ et je vis constamment sur le bord du rasoir. Ma situation n’est pas stable et je sais que Jeff refusera toute aide de ma part à cause de cela. Et, bizarrement, cela me brise le cœur de savoir que je m’en suis tiré et pas lui. Que j’ai réussi à me sortir de la rue en l’abandonnant derrière moi. Je suis parfois le dernier des égoïstes.

« Déjà, je voulais te le redonner, mais maintenant que je sais que c'est de l'argent sale, je n'en veux pas. Offre-le à une œuvre de charité, ou à quelqu'un dans le besoin. » Voir cet argent tendu vers moi, c’est douloureux. Tout sourire a disparu de mon visage et un étrange pincement a pris possession de mon torse. « Laisse-moi au moins faire ça pour toi. Tu en as tellement fait pour moi. » Je n’aime pas ce genre de séquence émotion. Je déteste sortir mes sentiments et les exprimer à voix hautes. A mes yeux, les actes ont plus d’importances que les mots et les mots… Les mots sont trompeurs car facile à dire lorsqu’ils sont faux mais tellement difficile à prononcer lorsqu’ils sont lié à un sentiment, à une émotion. D’habitude, je préfère garder tout cela pour moi. Je repousse la main de mon mentor, relativement mécontent de le voir refuser mon aide. « Fais pas ta tête de mule. Tu as besoin de cet argent. Je… Laisse-moi au moins faire ça. Sinon, je vais me sentir comme le dernier des connards. Je… J’aurais pas dû partir comme ça sans me retourner. J’ai la sale manie de partitionner ma vie, de tourner des pages et d’essayer d’oublier ce qu’il y avait dans les chapitres précédents. Mais mourir, même un bref instant, ça m’a fait me rendre compte de pas mal de choses. Entre autre que tu fais partie des personnes que je ne remercierais jamais assez pour tout ce que tu as fait pour moi. Alors, s’il te plait. Fais pas ta tête de mule et accepte cet argent. »