Multiple Faces [Adelynn]

Multiple Faces

Ethan White & Adelynn Duquesne

Je n’aime pas venir en Amérique. Il y a quelque chose dans l’air et dans les gens qui m’exaspère. Lorsque je foule le territoire américain, on dirait que ma patience, déjà fragile en toutes circonstances, devient une véritable bombe à retardement. Un rien me fait perdre mes moyens. Mais cette fois, les ordres de Dane sont clairs. Je ne suis pas là pour m’amuser ou pour terroriser les occidentaux. J’ai une mission à accomplir. Je dois retrouver une information qui se cache à New York selon nos sources. Normalement, l’Euroforce ne se mêle pas de ce qui touche aux pays hors du continent européen. Cela ne nous empêche pas de nous déployer en Afrique par exemple si la situation l’exige. Sauf que nous laissons l’Amérique aux Avengers, nos alliés. Cette fois, la situation est différente. Dane a demandé une permission spéciale à ce qui reste des Avengers pour procéder à des recherches en leur sol. Si mon leader s’attendait à ce qu’il n’y ait aucun problème avec une telle demande, la relation entre nos deux formations de surhumains étant positive depuis le début, avec le Registration Act les choses ne sont plus aussi simples. Le gouvernement a du être impliqué dans la décision, ce qui nous a tous profondément exaspéré. Finalement, la décision est tombée et nous n’avons eu que l’autorisation d’envoyer qu’un seul représentant de l’Euroforce à New York, pour une période limitée. J’ai déjà vu Dane en colère, mais cette fois il n’a pas cédé à ses sentiments. Il a ravalé ses paroles et il a accepté l’offre, comme nous devons absolument récupérer cette information qui est notre propriété depuis le début. Nos ennemis ont bien choisit leur destination, surtout avec la guerre civile qui est sur le point de secouer les États-Unis. Au moment de choisir qui partirait, je ne sais pas pourquoi les autres ont votés pour moi comme représentante de mission. Ils connaissent pourtant mon impulsivité et mon manque de diplomatie dans certaines situations. Pourtant, le vote fut unanime. Black Knight m’a alors donné les instructions et je suis partie sur le champ. Avec la restriction de temps qu’on nous a alloué avant de lancer une équipe ARES afin de me faire débarrasser le pays, je ne pouvais me permettre d’attendre.

J’atterrie donc à l’aéroport de New York le lendemain. À mon arrivé, passer les douanes est excessivement complexe. Non seulement parce que les douaniers doutent de mon certificat d’autorisation spéciale délivré par le gouvernement américain, mais surtout parce que je suis venue armer. J’ai emmené avec moi une épée longue qui dort dans mon dos, mon épée d’énergie dont seul la poignée est visible alors qu’elle est attachée à ma hanche gauche, ainsi que deux poignards qui sont dans mon sac avec le reste de mes bagages. Bref, j’ai sur moi mon uniforme de l’Euroforce. J’ai beau pointée sur le certificat la close qui stipule que j’ai le droit de porter des armes pour le bien de ma mission secrète, mais les douaniers se sentent obliger de téléphoner à leur supérieur par précaution. Au bout de trois heures à languir dans une salle d’attente, on finit par me rendre mes biens et par me souhaiter froidement bienvenue aux États-Unis. Je reste polie, bien que dans ma tête les pires insultes sont lancées à ces hommes. Je me rends à mon hôtel de Manhattan. Je me change afin de mettre des vêtements plus civils, mais je décide de conserver sur moi mon attirail habituel. Je dois commencer dès maintenant mes recherches. Il faut donc, pour assurer ma protection, que je me balade en pleine rue armé en conséquence. Pourquoi s’embarrasser d’une épée aussi imposante me direz vous. Parce que ma mission n’est pas réellement secrète. On ne me demande pas d’être discrète. On veut que je sois efficace et rapide afin de neutraliser l’informateur et de recueillir ce qu’il sait. J’ai mémorisé dans l’avion les différents lieux susceptibles de le cacher. Je décide de commencer par le plus près d’ici. Ma journée n’est pas encore terminée, même si je suis épuisée par le voyage et le passage aux douanes. Je dois rentabiliser un peu le tout en compensation des trois heures que j’ai perdu par souci administratif. Je suis persuadée que les Avengers ne se seraient pas donné toute cette peine pour agir en sol européen. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont autant blâmés de nos jours. Dane voulait éviter le plus possible un incident diplomatique et je compte respecter son désir.

Je sors donc de mon hôtel et commence à marcher en sachant parfaitement où je m’en vais. Mes années de nomade m’ont apportés beaucoup d’expérience dans l’orientation en des lieux inconnus. Je fais donc confiance en mon instinct. Je me joins à la foule, qui me regarde à peine. L’étui dans laquelle se cache mon épée longue est telle qu’on devine ce que sais, mais qu’on ne voit pas clairement la présence d’une arme de ce calibre. Je ne suis donc en rien exposée ou menaçante. Intrigante peut-être, mais les New Yorkais sont habitués à l’excentricité, non? Je reste donc concentrée à la tâche, ne remarquant pas les visages autour de moi. La circulation est arrêtée par un feu passant au rouge. Je ne m’en fais pas vraiment avec cela, je suis suffisamment rapide pour rattraper de tels perte de temps. Alors, je sens du mouvement à ma gauche. Une personne vient assurément de me scruter. Je ne me tourne vers elle que lorsque l’homme ouvre la bouche. Je fronce alors les sourcils. Sa voix me semble familière, mais son visage m’est inconnu. N’ayant pas le temps pour les devinettes, je ne réfléchis pas davantage sur le sens de sa phrase. Sur le coup, il m’apparaît aussi insignifiant que tous les autres autours de moi.

-Je ne suis pas intéressée.

Je lui dis cela sans vraiment me souvenir précisément de son commentaire. En fait, je suis d’opinion qu’il cherche à me vendre ou me proposer quelque chose. Je lui dis donc d’une manière claire qu’il s’adresse à la mauvaise personne. Alors, le feu passe au vert et j’avance, m’échappant habillement à la compagnie de cet homme. Cela ne me prend pas long pour sentir qu’il me suit. Je ralentie graduellement afin qu’il se rapproche de moi. D’un coup, je me retourne et je fonce sur lui, le poussant sans ménagement dans une ruelle sombre. À peine une demi-seconde plus tard, la lame de l’un de mes poignards caresse la peau délicate de son cou.

-Je vous ai déjà dis que je ne suis pas intéressée.

Comme la manière douce ne semble pas fonctionner, j’emploie la manière forte. Même s’il me poserait problème, je ne compte pas le tuer, à moins d’avoir la certitude qu’il soit un ennemi envoyé à mon intention. Dans mes ordres, il y a celui de ne pas s’en prendre à des innocents. Jusqu’à preuve du contraire, ce type est un innocent. Dans tous les sens du terme.

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Je n’ai absolument aucune idée de qui est ce gars et de ce qu’il tente de prouver en jouant au héros. Il n’est pas effrayé par ma menace, malgré le léger enfoncement de la lame dans sa chair. Il me parle, me disant des phrases qui n’ont que peu de sens à première vue. Sauf que justement, mises ensemble, elles me rappellent quelque chose. Je ne sais pas encore clairement, tout est dans le brouillard. Sauf que je commence à comprendre ce qu’il fait. Il veut me faire deviner un truc, une scène qui a déjà eu lieu il y a si longtemps. Si seulement je pouvais mettre le doigt dessus. Pour l’instant, je ne fais que prendre littéralement ses mots. Lorsqu’il me parle de l’épée Espadon, je grogne d’impatience. Pour la phrase suivante, je ne la comprends absolument pas. Enfin, lorsqu’il me dit qu’il s’attendait à ce que je le laisse essayer mes armes, je m’exaspère encore davantage. Je retire la lame de sa gorge et l’agrippe plutôt par le collet pour le soulever de terre. Mes yeux sont bien profondément dans les siens :

-À quoi tu joues, au juste? Si c’est à me faire perdre patience, tu es sur le point de réussir.

Je le relâche et recule, toujours en furie qu’il semble se moquer de moi de la sorte. Je range mon poignard. Je ne peux pas m’en prendre à lui davantage. Je dois poursuivre ma mission et retrouver l’informateur rapidement. Toutefois, je soupire bruyamment et me retourne vers cet homme. Mon regard est sérieux et très menaçant :

-Évite de faire le malin comme ça avec moi. Va droit au but. Qu’est-ce que tu cherches à me dire?

Ma voix est loin d’être sympathique. Ma menace se sent autant dans mes traits que dans le ton que j’ai employé. Il a vraiment choisi la mauvaise personne pour embêter avec des devinettes. S’il y a un truc en ce monde que je déteste, c’est de deviner des choses. Il a déjà de la chance que je ne sois pas complètement à bout de patience devant lui, surtout en sachant la journée de merde que j’ai eu.

-Qu’est-ce que ça veut dire une apparence « post-marathon », je n’ai jamais couru de mar…

Je m’arrête. Je me fige complètement, en plein milieu de ma phrase. J’ai déjà dit cela un jour. Dans une conversation, je me souviens maintenant, je tentais d’utiliser l’humour afin de justifier mon apparence négligée. J’ai alors dis cette expression. Je n’ai fais ce coup qu’à une seule personne et ce n’était pas cet homme. Mais alors, je me souviens de sa voix. Une voix à l’accent américain, certes mais pas que. Il y avait une certaine profondeur à l’intérieure de sa voix, en plus d’une curiosité sans borne. Je me défige un instant, juste le temps de revoir la personne en face de moi aujourd’hui. Je ne sais pas ce qui est arrivé, mais ce n’est pas Ethan. Je baisse les yeux pour observer son corps. Puis, je remonte après mon inspection rapide pour froncer les sourcils une fois de plus sur sa tête. C’est lui, mais ce n’est pas lui en même temps. Comment en être certaine?

Je comble la distance entre nous en une enjambée. Je me retrouve tout près pour le scruter. J’ai toujours un doute quand à son identité. Mais peu importe qui se présente devant moi aujourd’hui, il est au courant de cette conversation passée. De cette rencontre brève que j’ai eu avec ce soldat à Greenwich Park, si je me souviens bien. Il est la raison qui m’a poussé à migrer plus à l’est en territoire européen. Par la suite, j’ai continué toujours plus à l’est jusqu’à atteindre le Japon. Je reviens au présent, à ce jeu qu’il tente de me faire jouer, me lançant mes propres répliques. Cela semble l’amuser grandement. De mon côté, je n’ai qu’une envie. Si effectivement c’est Ethan devant moi, qui me fait un coup pareille, il va le regretter amèrement. Je cesse de réfléchir et de retenir mes impulsions. Le coup part tout seul et atterrie directement sur le nez de l’individu. Le coup de poing est solide, sans aucune retenue. La force de l’impact projette l’homme sur le dos et moi je le regarde de haut, les yeux plus durs que jamais.

Qu'arrive-t-il ensuite:

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Je le vois tomber à la renverse sous l’impact, mais je n’éprouve aucune pitié à son égard. Je ne suis pas ce genre de personne. Celui qui regretterait un tel geste, qui voudrait à tout prix se faire pardonner. Il ne m’inspire aucune pitié, même si mon opinion sur son identité se clarifie un peu plus à chaque seconde. Nous ne nous sommes rencontré qu’une fois, si brièvement que je m’en rappelle à peine. Il m’a surtout marqué pour être une profonde déception. Ayant cette amertume en bouche et réalisant qu’en plus il se moquait de moi aujourd’hui, je n’ai pas hésité à le frapper en plein visage. Les blessures sont superficielles. Elles auraient pu être encore plus dommageables si j’avais orienté mon poing un peu plus à gauche. Son nez semble intact, malgré un peu de sang qui s’en échappe. Je ne l’aide pas à se relever, j’attends plutôt en silence qu’il le fasse par lui-même. Il fait un commentaire sur ma force et je souris à peine à cela.

-Ce n’était qu’une petite frappe d’avertissement, ça.

Il s’approche et plonge ses yeux dans les miens. J’accepte le défi sans broncher. Je soutiens son regard sans être impressionné. Il n’a toujours pas compris qu’il ne réussira pas à me faire plier de la sorte. Il faudra qu’il fasse beaucoup plus pour espérer me faire douter un peu de ses capacités. Et si en me regardant ainsi il compte me faire frissonner de peur, c’est parce qu’il me connaît mal. Rectification, il ne me connaît pas du tout. Sinon, il aurait pu éviter de ce faire frapper de la sorte. Il s’approche alors un peu plus, afin de me chuchoter quelque chose à l’oreille. Ma main agrippe discrètement la poignée de mon épée d’énergie, toujours endormis. Si jamais il tente quoique se soit, il va subir une blessure assurément mortelle avec la plus puissante de mes armes. Sauf qu’il dépose à mon oreille des paroles qui m’explique pourquoi son visage est différent. Il s’éloigne et je le regard toujours avec méfiance. Je lâche mon arme lorsqu’il m’évoque le Tate Modern. Il y est allé finalement. Qui l’aurait cru. Cela ne m’attire aucune sympathie.

-Évite de faire ça à l’avenir, je déteste les devinettes.

Je ne compte pas m’excuser, mais mon ton est déjà moins hostile. J’ai renoncé à exécuter ma mission ce soir. Même si je partirais maintenant et que je ferais le reste du chemin au pas de course, je ne vais pas pouvoir atteindre mon objectif avant que le Soleil ne se couche. Certes, je pourrais agir sous le couvert de la nuit. Sauf que je ne veux pas courir le risque. Il ne s’agit pas d’une exécution. Cette mission est très différente. Et je compte bien la réussir de la même manière que toutes les autres avant. Voilà que je retrouve le Marine américain qui s’amuse à changer de visage. Je n’ai pas vraiment envi de lui demander ce qui l’a poussé à se camoufler de la sorte. Il a probablement fait quelque chose de grave. De toute façon, ce n’est pas de mes affaires. Tout comme le but de ma mission n’est pas des siennes. Il va se heurter à un mur s’il me demande ce que je fais aux États-Unis. J’ai beau avoir la certitude de son identité, je ne lui fais absolument pas confiance. Surtout pas avec une mauvaise impression à notre première rencontre et une seconde qui s’ajoute à la liste en jouant avec mes nerfs. Il devra faire énormément d’efforts désormais pour se rattraper à mes yeux. Si seulement c’est possible, puisque je sais me montrer très difficile quelque fois. Obstinée même. Rancunière également. Il n’a vraiment pas joué au malin avec la bonne personne.

-Cette tête ne te va pas du tout.

Je baisse les yeux sur son complet.

-Et l’habit c’est pour le personnage aussi j’imagine? Personnellement, je te préférais en uniforme.

Je jette un coup d’œil vers la sortie de la ruelle. Les gens passent au loin sans nous voir. Ils ne tournent même pas la tête dans notre direction. Et avec la légère pénombre du lieu ou nous sommes, nous avons un camouflage supplémentaire. L’endroit un peu humide et sale ne me dérange absolument pas. Je localise donc une vieille caisse en bois. Je décide de m’y assoir, ayant le dos contre le mur d’un bâtiment de briques. Je croise ensuite instinctivement les bras sur ma poitrine et je regarde à nouveau Ethan.

-Ça dure depuis longtemps ton mensonge?

Je fais référence à son changement de visage, évidemment. Si ça se trouve, il fait ça depuis des années. Si c’est le cas, ce qu’il a fait doit vraiment être épouvantable pour agir de la sorte. Je me souviens si peu de son vrai visage. Si c’était le vrai. Dommage qu’il ne puisse pas me le montrer. Cela me fait bizarre de parler avec un autre à la place de celui que j’ai connu autrefois.

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Pour quelqu’un qui vient de se faire frapper au visage, il est plutôt joyeux. Je me contente donc de hausser un sourcil à son rire, suivant un commentaire comme quoi j’étais curieuse. Évidemment que je l’étais. Cela faisait huit ans que nous ne nous étions pas vu et il a entre temps décidé de changer complètement d’apparence afin de se faire passer pour un autre. Nous avons du rattrapage à faire. Je dois dire que je suis assez surprise d’apprendre qu’il ne modifie les traits de son visage que depuis hier. C’est donc particulièrement récent. Tout comme l’évènement qui l’a conduit à se procurer l’objet coûteux qui lui permet de devenir quelqu’un d’autre.

-Je vois, je me contente alors de répliquer, de plus en plus pensive.

Malgré son statut précaire et son camouflage parfait, il a tout de même prit le risque de s’adresser à moi. J’aurais pu complètement griller sa couverture en public si je l’avais voulu. Pourquoi a-t-il désiré à ce point me parler alors que le hasard nous réunis une fois de plus au même endroit? Surtout après autant de temps. C’est à y rien comprendre. Je ne cherche pas davantage d’explication. J’ai l’habitude des impulsions, mon corps réagissant souvent avant mon esprit. Je saisis donc parfaitement ce qui aurait pu le pousser à agir de la sorte, même si je ne pourrais pas en être certaine à moins de demander. Ce que je n’ai que peu envi de faire pour l’instant puisqu’il a attiré mon attention ailleurs. Il vient de m’avouer ne plus être militaire. Je dois dire que cela me fait un choc de l’apprendre. En voyant son regard se détourner un instant, comme si la nouvelle était trop dure à supporter pour lui, je comprends que c’est sérieux.

-Il s’en est passé des choses en huit ans, on dirait.

Mon commentaire n’a pas grand intérêt. Qu’est-ce qu’il peut logiquement répondre à ça? Sauf que la surprise est pour moi totale, je ne sais pas offrir de meilleures répliques que cela en apprenant la nouvelle. Je me ressaisis un peu, juste au moment où il semble me complimenter sur mon apparence. Voilà qu’il me désarçonne une seconde fois. Je n’ai pas l’habitude qu’on me fasse de commentaire à ce sujet, en bien ou en mal. À vrai dire, je ne m’en préoccupe pas d’ordinaire. Mais il vient de glisser ça dans la conversation d’une telle manière que ça me fait en perdre mes mots à nouveaux. J’en ai peine à me relever. Sauf que je le fais. Il faut bien que la réalité me frappe. Je n’ai pas entendu parler de lui durant une éternité, alors il est normal que sa vie ne soit plus du tout la même. Sauf que je m’attendais tout de même à ce qu’il demeure jusqu’à la fin d’un service classique avec l’armée. Il faut croire que comme moi, il n’est pas fait pour suivre une route toute tracée.

-Peu importe ce qui t’a amené à ce que tu es aujourd’hui, il ne faut pas en avoir honte.

Mes yeux sont posés sur lui. Ma phrase avait des accents d’encouragement, mais mon ton est trop dur pour être perçu de la bonne matière. Je suis effectivement très dure avec cet homme, comme je le suis avec tout le monde. Sans raison apparente, seulement par pure réaction instinctive. Et Ethan ne fait pas exception. Il cherche alors à connaître le motif de ma présence aux États-Unis. Comme anticipé, il frappe un mur qu’il n’arrivera pas à franchir ou contourner.

-Je suis ici pour le travail.

Ce qui n’est pas un mensonge. Mais ce qui lui en dit suffisamment pour qu’il élabore ses propres scénarios sur la chose. Je ne compte pas lui en révéler davantage toutefois. Peu importe les questions que cela peut lui engendré en voyant que je me ferme à ce point sur le sujet. Il ne fait pas partie de l’entourage de ma mission, celui qui est dans la confidence. Malheureusement, il devra se contenter de cela.

-Comment dois-je t’appeler, désormais?

Je pense qu’il souhaite garder le nom Ethan secret et je n’ai pas d’objection à le faire. Le fait qu’il conserve son masque devant moi et qu’il évite d’en dire trop sur lui est qu’il pense être surveillé. Et d’après ce que je comprends, c’est pour éviter de ce faire tuer qu’il agit de la sorte, alors je veux bien lui éviter les ennuies à ce niveau là. Ne m’a-t-il pas dit que son camouflage lui permettait de survivre à présent… Je ne souhaite pas ça mort, mais alors là absolument pas. Voilà pourquoi il lui faut une nouvelle identité complète.

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Il m’accorde les honneurs de le baptiser et cela cause un rire spontané de ma part. Rien de blessant. C’est seulement la surprise de cette offre qui entraîne cette réaction chez moi. Je hoche donc la tête, acceptant d’y réfléchir bien que je n’avais absolument aucune idée sur un nom approprié pour une fausse identité temporaire. Même Ethan s’accordait pour dire qu’il ne souhaitait pas garder ce masque bien longtemps. Tant mieux, je n’aime pas du tout l’apparence que ça lui donne. Pour moi, il est toujours ce visage que j’ai rencontré il y a huit ans et j’ai du mal à le regarder en face aujourd’hui à cause de cela. Mon cerveau est incapable d’accepter que c’est le militaire qui est devant moi, le visage étant trop différent. Sans réfléchir, je lui propose une solution évidente à mes yeux :

-Le plus simple serait de changer d’air, de quitter le pays. À mon avis, tu dois laisser le temps à la poussière de retomber avant de reprendre ta vie en mains. Et le mieux c’est de le faire à l’abri des regards.

C’est sans prétention que je lui donne ce conseil. Je lui dis seulement ce que moi j’aurais fais à sa place. Je ne connais absolument pas le contexte, donc la raison qui le pousse à devoir cacher ainsi son identité. Toutefois, si comme je le pense c’est à cause d’un crime, il doit envisager de quitter l’Amérique, au moins le temps qu’on l’oubli un peu. Changer de visage c’est bien comme solution à court terme, mais il y a trop de risques qu’on le retrouve malgré tout. Il ne peut pas se permettre de jouer ainsi à être quelqu’un d’autre sans envisager la fuite, aussi dur cela puisse être.

Je relève mon regard vers lui au moment où il attire mon attention. Il vient de me proposer de poursuivre la discussion dans un restaurant. Si au début j’ai un gros doute sur ses intentions réelles en m’invitant de la sorte, je réalise rapidement qu’il semble sincère dans sa demande. Étrange, surtout en considérant que je l’ai frappé en plein visage sans même hésiter. Il propose également de payer le repas pour moi. Si cela ne m’apparaissait pas comme une nécessité, c’est une preuve supplémentaire de sa bonne foi. Je réfléchis encore un instant avant de me jeter sur mes pieds, me retrouvant debout face à lui :

-Pourquoi pas, je n’ai effectivement pas mangé depuis ce matin.

Je m’étire les bras, un peu rouillé par l’inactivité des dernières heures.

-J’ai justement vu en chemin un restaurant français. Je te propose ceci: on se rejoint là-bas dans une demi-heure, le temps que je range mes armes et toi que tu nettoie le sang de ton visage. Le restaurant s’appelle La Bastille, si ma mémoire est exacte.

J’ai confiance en ma mémoire, mais au cas où elle aurait fait défaut pour une raison X, je m’accorde le bénéfice du doute. Une fois le rendez-vous fixée, je lui fais un sourire de défi avant de marcher sans attendre sa réponse hors de la ruelle. Je replonge dans les marcheurs, prenant une route différente de celle empruntée précédemment. Je m’assure de ne pas être suivit par personne avant de finalement piquer vers mon hôtel. Je monte à ma chambre et je range mes armes en sécurité. Je décide de changer de tenue également. J’en adopte une plus décontractée. Cela ne me prend pas plus de cinq minutes, mais je décide de respecter le temps que j’ai instauré avant de nous retrouver au restaurant. J’en profite donc pour envoyer un bref rapport par message texte au téléphone privée de Dane. Je lui indique que je suis bien arrivée et que je compte débuter les recherches demain, suite à un contretemps aux douanes. Par la suite, je retourne à l’extérieur et j’arrive au restaurant en moins de deux, pile à l’heure. Il y a une chance qu’Ethan ne s’y présente pas. Cela ne me perturberait absolument pas. En entrant dans l’édifice aux allures de chez moi, je commence à scanner la salle à manger du regard, à la recherche de cet homme au visage s’y différent que ce que j’ai l’habitude.

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Ethan m’indique sa position dans le restaurant et en le voyant me faire un signe de la main, mon cerveau hésite de lui-même. Je pense que je ne m’y ferais jamais à ce visage d’emprunt. Mais bon, quand faut y aller, faut y aller! Je fais donc un geste au maître d’hôtel pour lui indiquer que je suis avec cet homme et l’employé approuve d’un hochement de la tête. Je marche donc jusqu’à la table et je souris à ses paroles. Il me préfère en fille normale, c’est bien ça? J’espère qu’il ne s’y habituera pas parce que ça ne risque pas d’arriver souvent. Il tire la chaise pour moi et je ne fais aucun commentaire sur sa soudaine galanterie. Il applique un protocole qui n’a jamais eu grande valeur à mes yeux, ayant été de nombreuses années vagabondes du monde et dormant fréquemment à la belle étoile. Sauf que j’apprécie le geste et je le laisse faire. Une fois assise, je l’observe une nouvelle fois. Il a nettoyé de son visage le sang qui a coulé de son nez. Toutefois, sa peau est toujours gonflée et j’ai bien peur qu’une ecchymose va se former au cours des prochaines heures. Je me demande si en choisissant un autre visage sa blessure sera camouflée elle aussi? J’en doute à vrai dire, mais cela me fait sourire tout de même. Ça aurait pu être bien pire, il a de la chance que j’aie manqué ma frappe de quelques millimètres. Sinon, il aurait l’os du nez en morceaux. Et ce petit moment dans un restaurant n’aurait pas lieu, à moins d’aller à la cafétéria de l’hôpital. Le pire avec un nez cassé ce n’est pas la douleur ou le sang, c’est la difficulté de respirer correctement. Sans compter les magnifiques yeux au beurre noir qui accompagnent une telle blessure. Ça vous fait une jolie tête de raton-laveur.

Un serveur nous apporte le menu et je le remercie d’un regard. Je me saisis du tout et suis contente d’y lire des noms français. La description de chaque plat est en anglais, heureusement pour Ethan. Presque aussitôt, l’ex-marine me demande si j’ai des recommandations pour lui. Après tout, je suis une référence en culture française apparemment. Je plonge à nouveau dans le menu en réfléchissant à ce qui pourrait être bon.

-À première vue, je te conseillerai le tartare ou l’agneau. Mais, tout me semble intéressant.

Personnellement, je suis très attirée par le plat de poulet au menu. Le prix est de plus raisonnable, ce que je considère comme une condition primordiale dans le choix d’un plat dans un restaurant. Quelque chose à un prix exorbitant aura d’ordinaire comme effet de me repousser. J’imagine que ça me vient de cette époque où chaque Euro comptait et où je devais vraiment surveiller mon budget pour arriver à la fin de chaque mois. Désormais, avec mon rôle au sein de l’Euroforce, les soucis financiers ne sont plus un problème. Même chose pour se procurer des armes. Je tiens encore férocement à entretenir mes épées, donc à les polir et les effiler. Mais tous les autres laissent cela à des employés de notre organisation. Je suis un peu borné à ce niveau là, il ne faut pas chercher à comprendre. En fait, personne ne peut toucher à mes armes à moins que je leur en donne l’autorisation. Être ainsi déchargé d’autant de soucis fait en sorte que je peux consacrer presque cent pour cent de mon temps à l’entraînement en dehors des missions. C’est la vie dont j’ai toujours rêvée. Lorsque le serveur revient afin de prendre notre commande, je lui indique mon choix et je lui nomme aussi un vin que je me souviens être excellent avec le type de viande des plats que nous avons commandé.

-Excellent choix, madame, me dit alors le serveur avant de nous débarrasser des menus.

Je regarde ensuite Ethan en faisant la grimace, toujours perturbé par le masque qu’il arbore.

-J’ai besoin d’alcool pour me faire à ce visage.

Ce n’est pas l’unique raison ayant motivé mon choix de demander une bouteille de vin, mais cela va certes aider. Je dis cela toujours avec ma manière crue de dire les choses, mais sans vouloir offenser dans le fond. Il commence à me connaître, il va donc deviner que ce n’est pas pour me moquer que je lui fais un tel commentaire. Le vin nous est servi avec un grand respect du produit, versant le liquide doucement dans les coupes avant de nous laisser la bouteille sur la table suite à mon indication. Je prends ma coupe et la porte à mon nez pour sentir les arômes un peu. Oui, c’est bien le vin dont j’avais le souvenir. Le goûter me le confirme un peu plus. Je redépose ensuite mon verre sur la table, me mettant à observer le décor un instant. On dirait l’ambiance d’une terrasse française et ça me fait un bien fou de sentir cette impression. Je me retourne ensuite vers Ethan, le sentant lui-même calme. Ce que je m’apprête à lui demander risque de le mettre sous tension par contre, j’en ai conscience :

-Alors, que comptes-tu faire après notre rencontre? Envisages-tu l’idée de quitter le pays?

Comme toujours, je suis un peu froide dans mes mots. Sa réponse m’intéresse grandement. Je ne sais pas s’il compte m’avouer en toute honnêteté son plan. S’il choisit de ne rien me dire à ce sujet, je comprendrais. Sauf que j’espère silencieusement qu’il compte partir rapidement des États-Unis, avant qu’il soit trop tard pour lui.

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Le fait qu’il accepte aussi facilement de boire avec moi me fait sourire derechef. Je ne me gêne donc pas pour finir une première coupe avant même que le repas ne soit servi. Il y avait beaucoup de monde autour de nous, leurs paroles singulières se mêlant dans un murmure collectif. J’imagine donc qu’avec une pareille clientèle ce soir, que nous aurons le temps de bavarder un peu avant d’avoir nos assiettes. Ethan semble pensif depuis que je lui rappelle la terrible réalité qui l’accable. Je le laisse donc tranquille un instant, lui permettant de se constituer une réflexion à ce propos. Je relève toutefois vers lui mon regard au moment où il s’exprime. Il est visiblement attaché à son pays. Ce qui se comprend, surtout qu’il a été un soldat au service de sa nation durant plusieurs années. Ce qu’on lui demande de faire et de sacrifier est considérable. Son peuple est contre lui, l’accusant d’un crime qu’il n’a semble-t-il pas commis. Je ne dispose pas des connaissances pour le confirmer, mais je lui accorde le bénéfice du doute. Jusqu’à preuve du contraire, il est donc innocent à mes yeux. Tellement de détails ne me sont pas révélés. Sauf qu’au fond de moi, je ne m’en fais pas trop. La nouvelle de la faute qu’il a commise est publique et je pourrais surement me renseigner quelque part sur la nature du crime. Par contre, les journalistes ne sont bien souvent pas si objectifs que cela, faisant en sorte qu’on ne peut pas se fier entièrement à leur version des faits. Au moins, leur rapport doit être assez fidèle pour me faire une tête sur ce dont on accuse l’ex-soldat. Ce qu’il m’expose vient chercher une fibre patriotique en moi. J’ai rejoins l’Euroforce en partie parce que ce groupe de super-héros tentaient de faire une différence dans la vie du continent européen et de défendre les plus faibles. Si j’ai toujours été égoïste de nature, je ne suis pas insensible non plus. Je me suis permis à ressentir des choses en ouvrant mon cœur à mon environnement, peu de temps après mon intégration dans l’Euroforce. J’ai alors pris graduellement conscience de l’importance de notre rôle aux yeux des citoyens et cela m’a fait apprécier davantage l’Europe et ses beautés. Regarder Ethan réaliser qu’il doit renoncer à son identité américaine réveille cette compassion chez moi. Je peux vraiment m’identifier à lui à cet instant et même si je ne dis rien d’abord, je soutiens le contact visuel entre nous. Il se demande finalement où il pourrait aller et c’est là que je décide d’intervenir :

-Et bien, il y a tellement de pays discrets ou lointains. Logiquement, je te conseille d’éviter les grandes villes puisque l’information circule quand même d’une métropole à l’autre. Les autorités pourraient te retracer malgré tout. Si tu choisis un endroit plus calme et avec des gens qui ne poseront pas de questions, se serait l’idéal. Mes connaissances en la matière ce limite à l’Europe, je dois dire. Mais, le monde s’ouvre à toi. Tu peux aller absolument n’importe où, à condition de garder profil bas les premiers temps.

Je me saisis de ma coupe et entame un second verre de vin rouge. Je n’ai pas peur de la quantité que je pourrais ingérer à ce rythme. Je sais me modérer, donc je ne m’inquiète pas trop. De toute façon, j’ai conscience que je ne suis pas en Amérique pour m’amuser. Je dois demeurer en pleine forme pour demain. Voilà pourquoi j’ai l’intention de ralentir un peu le débit et ensuite me contenter d’un verre au moment du repas. Peut-être d’un dernier par la suite. Mais pas plus, sinon je vais avoir de la difficulté à être aux meilleurs de mes capacités demain. Je repose donc la coupe sur la table, observant de nouveau mon interlocuteur.

-Avec un peu de chance, les gens auront oubliés dans un an et tu pourras revenir aux États-Unis à ce moment là. Évidemment, ce qu’il y a dans ton dossier criminel ne s’efface pas aussi facilement, donc tu devras toujours faire attention. Changer légalement d’identité probablement, pour plus de sureté. Mais, pour ce qui est du visage, tu devrais être en mesure de garder l’original.

J’aperçois notre serveur sortir des cuisines avec nos plats à la main. Je me redresse donc, le remerciant lorsqu’il les dépose en face de nous. Le service a été plus rapide que je ne le pensais. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de rythme avec les restaurants français typiquement de chez moi. Leur service est toujours d’une lenteur incroyable. L’odeur de mon plat me chatouille les narines, me donnant l’eau à la bouche. Mais avant de commencer à manger, j’insiste pour terminer mes pensées :

-La vie de fermier, ça t’intéresse? Je plaisante. Parce que c’est probablement ce qui t’attends quand tu vas revenir en Amérique. Il n’y a rien de mieux comme couverture qu’un fermier. Qui pourrait soupçonner un type pareil?

Je ris avant de me saisir de ma fourchette et de piquer dans mon assiette. La première bouchée est excellente, me motivant à poursuivre, me concentrant sur la nourriture en face de moi plutôt que sur Ethan.

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Ethan White & Adelynn Duquesne

Son imitation de l’accent français me fait rire. Entendre un anglophone tenter de s’exprimer avec la langue de Molière est une éternelle source de divertissement. Pour ma part, à force de côtoyer un monde bercé par l’anglais, j’ai presque entièrement perdu mon accent typiquement français. Lorsque je retombe dans ma langue natale par contre, l’accent revient au galop. Mais autrement, on pourrait presque me prendre pour une britannique avec mon accent s’y rapprochant. D’une manière ou d’une autre, je suis loin de son accent américain à lui. Il n’y a même pas de comparaison possible. Tout en mangeant, je m’amuse beaucoup de ses paroles. L’idée de devenir un fermier ne lui plait définitivement pas. Dommage, je trouvais qu’il avait le corps idéal pour adopter le look d’un cowboy. Ça ne semblait pas être son truc et c’était très bien comme ça. Libre à lui de trouver ce qu’il voudra faire le moment venu. Il me mentionne également qu’il n’a commis qu’un crime mineur, donc il est persuadé que résider en Europe quelques temps sera suffisant pour que les gens de son pays l’oubli. C’est lui qui sait.

-Dans ce cas, je te conseille le Nord ou l’Est européen. La Suède ou l’Ukraine par exemple. Ce sont des pays avec des petits villages idéals pour la tranquillité et avec des habitants qui ne sont pas du genre à vouloir se mêler de la vie de leurs voisins. Si tu tiens absolument à résider en ville, évite le Centre. Va dans le coin de l’Espagne et du Portugal, par exemple. Il y fait beau et le coût de la vie n’y est pas aussi dispendieux qu’en France ou en Allemagne.

Mes conseils me viennent naturellement. S’il est vraiment décidé, pourquoi ne pas l’orienter correctement pour ne pas qu’il soit trop perdu dans le processus de sélection d’un endroit où se cacher. Déjà qu’il n’apprécie pas l’idée de changer de nom, il n’aura probablement pas le luxe de faire autrement. Je poursuis la dégustation de mon plat, fronçant les sourcils lorsqu’il me demande si devenir vétérinaire serait dans mes cordes.

-Non merci, je ne suis pas assez patiente pour dévouer ma vie aux animaux.

Je préfère ne pas m’étendre d’avantage sur le sujet, n’ayant pas grand-chose à rajouter. Ethan décide alors de tenter de me faire parler de mon boulot. Enfin, je me demandais quand il allait aborder le sujet. Seulement, je refuse de lui en dire trop, bien évidemment.

-La passion et le plaisir sont définitivement là. Côté argent, c’est un job bien rémunéré, si on veut.

Je prends une nouvelle bouchée, laissant le suspens planer encore un peu.

-Disons que je suis sponsorisé pour manier l’épée. Appel ça travailler comme épéiste.

Ce n’est pas complètement faux. Mais c’est toujours trop vague pour qu’il devine dans quoi je suis depuis les cinq dernières années. Le fait que j’insiste pour garder le tout secret est surtout parce qu’il demeure une possibilité que nous soyons toujours sur écoute et que nos ennemis apparaissent à tout moment. Il m’est aussi difficile de lui accorder ma confiance au point de lui dire la vérité dans les moindres détails. Un trop grand laps de temps s’est écoulé depuis notre dernière rencontre et je le connais trop peu pour simplement lui balancer des informations cruciales de ma vie de justicière. Il ne faut pas non plus oublier que sous l’identité de Swordswoman, je suis anonyme. Je ne peux quand même pas déroger à cette règle juste parce qu’il me le demande. Mon assiette se termine par la suite en quelques bouchées. La nourriture est exquise. Je ne pouvais pas en attendre moins d’un restaurant de ce type.

-Ça fait du bien, je dis en souriant. J’en avais besoin.

Mon corps avait certes faim mais je l’ai ignoré aux profits de la mission. Ce qui est normal pour moi, mais peut-être pas pour le commun des mortels. Cela ne m’empêche pas d’être satisfaite de ce repas, remerciant silencieusement Ethan de cette proposition. Je ne pourrais toutefois pas faire cela dans les jours à venir, ma mission ayant priorité sur tout.

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Ethan White & Adelynn Duquesne

Il apprécie mes conseils et cela me fait sourire une nouvelle fois. Ça me fait plaisir de l’aider, surtout avec des paroles qui me demandent peu d’effort de réflexion, l’Europe étant devenu davantage une spécialité en ayant joint l’Euroforce. Nous voyageons constamment d’un pays à l’autre du continent, faisant en sorte que je connais presque chaque recoin comme ma poche. Lui parler de ce genre de choses n’est donc que monnaie courante pour moi. Contente que cela lui soit aussi utile. Si ça peut l’aider à se cacher un moment de ce qui le force à changer d’identité, cela est tant mieux. Étrange non pour une justicière d’avoir ce genre de réaction. D’inviter littéralement un criminel en Europe. En ce moment, je ne vois pas Ethan comme dangereux. Surtout pas avec la marque de mon poing encore visible dans son visage. Je ne fais pas ça par amitié ou pour le mettre de mon côté. Je me dis seulement qu’il a passé un dur moment déjà et qu’un peu de repos dans un endroit un peu plus calme lui serait bénéfique. Après, si j’apprends qu’il commet un crime en territoire européen, je ne serais absolument pas clémente à son égard. Il redirige mes pensées avec une nouvelle question. Cette fois, il veut savoir si je compte rester longtemps et si j’ai du coup un peu de temps pour visiter la ville.

-Je suis ici pour affaire, malheureusement. Je vais rester moins d’une semaine, ça c’est certain. Pas de temps pour le tourisme, donc.

Pour moi, il n’y avait rien de mal à ne pas pouvoir visiter un peu. Lorsque je suis en mode mission, je ne pense à rien d’autre. Si je suis devant lui aujourd’hui et que je me comporte plutôt normalement, c’est à cause que je ne me suis pas mise dans ce mode. Si demain il tente ce genre de chose avec moi, il recevra plus qu’un coup de poing sur le nez. Je carbure à mon travail et je déteste déroger à une mission. Ce repas au restaurant n’a été possible que par la surprise que m’a causé de retrouver Ethan après huit années. Il a bien choisit son moment pour tomber sur moi, je dois dire. Je ne garantie pas que j’aurais réagis de la même manière une heure plus tard, en pleine chasse de l’informateur.

-Pourquoi cette question, tu voulais m’inviter à nouveau quelque part?

Je pose cela plus par curiosité que par réelle envie de recevoir une invitation dans le genre. Mes paroles précédent cette question-ci étant direct et sans possibilité de négociation. Je ne suis pas là pour jouer au touriste, c’est une évidence pour moi qu’il devra apprivoiser d’une manière ou d’une autre. Je ne laisserai personne d’autre me distraire avant d’avoir accomplis ce qu’on me demande. Le verre de vin trouve naturellement le chemin de ma main droite. Puis, je plonge mes lèvres dans le breuvage à quelques reprises avant d’en atteindre le fond. Je dépose la coupe et la laisse vide. Je ne compte pas boire davantage. Je dois être en forme pour demain et cela commence par une consommation raisonnable en alcool. Je ne fais aucun commentaire, mais je ne le cache pas non plus à Ethan. Je ne l’empêche pas de poursuivre de son côté, mais moi je vais me contenter d’eau pour le reste de la soirée. Le serveur nous débarrasse de nos assiettes vides. Je crois qu’il y avait un dessert d’inclus avec le plat principal, mais je ne me souviens plus. Comme le serveur n’en a pas fait mention au moment de nous desservir, j’imagine que c’est parce qu’il nous laisse le temps de finir notre vin ou parce qu’il compte nous faire la surprise du moment où il nous l’amènera. Peu importe le scénario, je ne suis pas pressé de recevoir le dessert, ayant déjà très bien mangé. Après l’avoir finis par contre, je compte repartir à mon hôtel et me préparer pour demain. Est-ce qu’Ethan va me laisser filer aussi facilement au risque de cette fois effectivement plus jamais me revoir? Voilà une question silencieuse que je me pose en l’observant à nouveau à travers son faux-visage. Je n’ai absolument aucune idée de ce que je représente pour lui. Pour moi, il n’est qu’une connaissance, une curiosité à l’occasion. Cela m’intrigue de découvrir la définition qu’il a de moi.

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Ethan White & Adelynn Duquesne

Plus j’écoute ses paroles et ses justifications, plus mon sourire grandit. Voilà qui est intéressant comme revirement de situation. Qui aurait-pu le prédire, surtout après un coup volontaire sur son nez et le fait que nous ne nous connaissons que si peu. Il aimerait garder contact avec moi cette fois. À notre première rencontre, je ne lui avais même pas donné la possibilité. Cette fois, c’était très différent. Si mon esprit était ailleurs, concentré sur la mission, j’avais suffisamment conscience de ce que cela impliquait. De lui offrir ainsi une place dans ma vie. Je pourrais ignorer ses appels ou même lui donner un faux numéro pour facilité les choses. Mais à quoi bon, Ethan m’intriguait trop pour lui faire un coup pareil. Cela m’intéresse de voir si effectivement il va m’appeler, à quel moment et donc quel sera son prétexte pour me parler.

-Si je comprends bien, tu ne m’en veux pas pour le coup de poing?

C’est évident que non, sinon il n’aurait pas demandé à manger avec moi et encore moins à vouloir me revoir dans le futur. Sauf que l’entendre de sa bouche me serait très amusant. Ethan n’est pas le genre qu’on peut déstabiliser si facilement et ça tombe bien puisque je suis du genre déstabilisante. Une futur rencontre dans un contexte plus calme, donc lui réfugié quelque part et moi hors d’un contexte de mission, pourrait être intéressant à vivre.

-Je te donne mon numéro à une condition…

Je suis arrêté par le serveur qui vient déposer devant nous un dessert. Il s’agit à première vue d’un soufflée au chocolat et à la framboise. J’attends que nous soyons à nouveau que tous les deux pour poursuivre. Je prends la cuillère et la plante dans le dessert. Après avoir goûté le soufflée, je pointe l’ustensile dans la direction du visage de l’homme.

-… Je ne veux pas revoir cette apparence. Si on se rencontre à nouveau, c’est avec ton vrai visage.

Je rapporte toute mon attention au dessert qui est absolument délicieux, comme le plat principal. Je le termine assez rapidement, mon surprenant à pouvoir toujours accueillir de la nourriture dans mon estomac. Il faut croire que j’ai toujours de la place pour des aliments sucrés. Une fois terminé, je sors un stylo de mon sac à main, en traînant toujours un sur moi en plus de bon nombre de petits objets essentiels. N’ayant pas de papier, je cherche un instant un support sur lequel écrire. Je constate alors le serveur et je lui demande la facture. Lorsque finalement il nous l’amène, je lui vole des mains et inscrit une série de numéro à l’endos. Le serveur ne fait aucun commentaire, indiquant plutôt à Ethan que pour payer il doit se rendre au comptoir de l’entrée. Je termine d’écrire les numéros et je lui remets la facture, après en avoir remarqué le montant, évidemment. J’espère qu’il a suffisamment d’argent pour payer cette petite fortune, parce qu’utiliser une carte de crédit pourrait lui attirer des ennuies à mon avis, avec ses petits problèmes avec les autorités.

-C’est mon numéro privé. Un numéro européen évidemment.

Je lui spécifie puisque la différence entre un numéro américain et européen est importante et sème la confusion quelques fois. Je me fis à son bon jugement pour ne pas qu’il le donne à n’importe qui ou pour lui dire d’éviter de m’appeler aux cinq minutes. Si c’est le cas, d’un claquement de doigts je vais remédier à la situation en me procurant un nouveau numéro. Le repas vient donc de toucher à sa fin, avec la facture entre les mains de l’ex-marine. Rien ne nous empêche de demeurer assis ici à papoter. Sauf que mon intention est clair depuis le début : un repas et rien d’autre. J’attends de voir sa réaction et je compte me lever afin de rentrer à mon hôtel.