I am the lie that you believe | Matthew&Elektra

Une heure qu’elle suivait ce type, l’observant du haut des immeubles dans ses déambulations nocturnes. Une heure qu’il devrait être mort. On lui avait dit d’éliminer deux avocats d’Hell’s Kitchen, ça n’aurait surpris personne étant donné leur implication dans la lutte contre la pègre. C’est même étonnant qu’on lui ait confié une mission aussi ridicule.  
Présentement, Nelson prenait un verre avec une jolie blonde dans un bar miteux. Elektra impassible sous son cagoule de tissu pourpre les scrutait, surtout lui, parce qu’il y avait un truc avec lui, un truc qu’elle s’expliquait pas. Ce blond un peu pataud à la bonhomie insupportable, lui nouait le ventre.
Son esprit travaillait mais ne rencontrait rien à quoi se raccrocher. Il était un contrat, un pauvre type qui avait mal choisit son côté, elle devait aussi retrouver son associé, mais il ne s’était pas pointé au bureau aujourd’hui. Elle aurait pu attendre. Elle s’était contentée de le suivre, s’offrant le prétexte qu’il pourrait tout à faire rejoindre son associé. Son associé. Il y avait quelque chose d’étrange aussi avec lui, elle s’était surprise à être soulagé qu’il ne soit pas là. Depuis elle était perchée sur ce toit, engoncée dans un costume pourpre, ses saïs coincés dans sa ceinture, à comprendre le dilemme étrange qui semblait se jouer en elle sans qu’elle n’en comprenne le sens.
Il ressortait enfin, sans se presser avec une nonchalance nerveuse, Elektra suivait leur progression. La blonde s’engouffra dans une bouche de métro tandis que Nelson continuait son chemin, un sourire un peu idiot aux lèvres. Il était presque à son immeuble. Elle descendit et força une fenêtre dont le battant légèrement vermoulu ne lui offrit aucune résistance. Sans un bruit elle se glissa à l’intérieur et s’approcha de la porte d’entrée. Alors qu’elle l’entendait monter les marches, son regard tomba sur une photo. Celle de toute évidence d’une remise de diplôme, ils portaient ces chapeaux qui donnent au plus brillants des humains l’air d’un imbécile heureux. Elektra fronça les sourcils, d’aussi longtemps qu’elle se souvenait, elle n’avait jamais hésité et avait accompli toutes ses missions avec le sang-froid exemplaire des guerriers de sa race.
Alors pourquoi ce soir était différent ? Elle s’arracha à l’observation de cette photo en entendant le cliquetis de la serrure. Avec toute l’insouciance d’une proie inconsciente il alluma la lumière et jeta ses clés sur une table basse ou reposait un fatras de documents, avant même de refermer la porte. A quelques pas derrière lui, elle le suivit dans un parfait silence, le parquet ne grinçait même pas sous ses pieds.

Il mit quelques trente secondes avant de se retourner. La pointe de son saï  posée contre sa gorge, elle posa son index contre ses lèvres en lui intimant le silence. « Un mot et t’es mort ». De la surprise, à la peur, ses yeux tournèrent dans ses orbites à la recherche d’une solution qui ne viendrait pas. Elle pouvait le tuer, immédiatement, d’une simple pression elle transperçait sa tranchée et il s’étoufferait dans son sang. « Prends ton téléphone et demande à ton partenaire de te rejoindre ici ». Tandis qu’il dégainait son téléphone précipitamment, son regard s’éclaira d’un espoir insolent. Sa voix chevrotante, lui tira un soupir exaspéré. Il eut à peine le temps de faire sa demande, qu’elle lui arracha le téléphone des mains. Bizarrement un peu fébrile, presque souriante sous son cagoule : « Ce que ton charmant collègue essaie de te dire, c’est de te ramener au plus vite sur le toit de son immeuble, avant que je m’ennuie et que je le tue » sa voix était légèrement trainante, un peu étouffée par le tissu, certainement impatiente.
Ses muscles étaient tendus comme si elle s’apprêtait à un combat. Pourtant ce n’était qu’un petit avocat qui devait venir. Un petit avocat aveugle. Elle raccrocha et lança le téléphone sur un fauteuil hors de portée direct, puis attrapa le blondinet par le col de son costume, il semblait réfléchir et demeura mutique tandis qu’ils traversaient le couloir, jusqu’à la porte qui menait au toit. Ça lui avait semblé important que ça se passe sur le toit, d’une logique implacable. Cette impression que chacun de ses actes se faisait l’écho d’une étrange parodie devenait source de frustration. Agacée, impatiente et fébrile, elle poussa brutalement l’avocat au sol. Le ciel orangé des lumières artificiels projetait une lumière glauque sur le toit. Sans attendre un moment de plus, elle lui décocha un coup de pied dans le ventre, sa plainte lui arracha un intolérable sentiment de culpabilité, alors elle brandit son arme. Il fallait en finir.


   

Un coup et c’était terminé. Le destin de ce type, elle le tenait au creux de sa main, il avait la forme d’une fourche qu’elle s’apprêtait à planter. Une seconde d’hésitation, une inattention impardonnable et une douleur fugace à la main. Elle lâcha son arme et tourna vivement la tête vers son agresseur. Dans son rutilant costume c’était le diable de hell’s kitchen. Elle sentit ses entrailles se tordre. Sa voix brisa le calme relatif. Cette voix, moralisatrice, accusatrice, interrogatrice. Elle se pencha souplement pour récupérer son arme. Elle s’apprête à se battre, son corps est tendu dans cette attente, mais il parle encore. Ses paroles n’ont aucun sens. Elle ne dit rien, le toise, il adresse un geste au tremblotant blondinet. Il est incapable de bouger, derrière le tissu son sourire est sardonique.
Elle se sent fébrile, plus qu’elle ne l’a été ces derniers mois. Daredevil, il est son ennemi. Cette certitude sonne faux, mais elle s’en moque. Elle veut se battre, elle a besoin de se battre contre lui. C’est impérieux, elle fait tourner ses saïs dans ses mains. La tension est palpable, elle la ressent, s’en gargarise. Puis s’élance, dans une euphorie agressive, elle ressent le combat comme une chorégraphie, la grande première après des répétitions oubliées.

Ses coups sont précis, ses esquives adroites. Se battre est aussi naturel pour elle que respirer, la violence trop ancrée en elle, et chez son adversaire aussi. Elle a oublié le blondinet, elle a même oublié La Main. Elle reçoit les coups avec autant de plaisir qu’elle les envois, c’est parce que c’est lui, elle le sait. Elle ne veut pas que le combat s’arrête, alors par moment elle s’écarte, c’est un jeu. Elle doit le tuer, il est l’ennemi numéro un de La Main, son ennemi. Un ennemi intime. Il la connait. Il connait sa façon de se battre. Et elle sait qu’il ne tue pas. C’est un combat qui pourrait durer éternellement, du moins jusqu’à ce qu’ils tombent tous les deux. A bout de souffle, le cœur sur le point d’exploser.
Son cœur, tragiquement silencieux. Pourrait-elle le sentir à nouveau ? Peut-être pendant ce combat, peut-être qu’il exploserait. Et tournait dans son esprit la dernière phrase du démon. tu es morte Elektra, c’est impossible . Cette  manie d’utiliser son prénom. Personne n’utilisait son prénom. Pas même elle.

La colère supplanta, l’exaltation. Elle se faisait l’effet d’un robot, elle agissait, sans réfléchir. Un robot idiot labellisé : La Main. Alors Elektra porta un coup plus violent, un coup de frustration. Puis se recula lestement. Alerte comme un chat prêt à bondir. Son esprit tournait pour recoller des morceaux qu’elle n’avait pas conscience d’avoir perdu.
Du coin de l’œil elle aperçut Foggy, qui avait rampé jusque dans un coin. Il les observait, un peu hagard. Foggy ? Ce surnom ridicule avait jaillit dans son esprit. Foggy, le meilleur ami de Matthew. Matthew. L’homme sous le masque.  Elle le savait, c’était juste enfoui avec tout le reste. Une protection de sa psyché meurtrie. Elle le savait et réalisa qu’elle n’avait aucune intention de les informer. Cette constatation la priva, peut-être pour la première fois de sa vie, de toute envie de se battre. Comme elle ne savait pas quoi faire d’autre, elle exhorta son diable, un ton sec, agressif « Déjà fatigué ? », puis de rajouter enjôleuse ou railleuse « je t’ai connu plus endurant » son naturel l'étonna et la rassura et lui fit peur tout à la fois. Elle eut envie de fuir, mais Elektra ne fuyait jamais, toute cette situation provoquait chez elle comme un réveil, un réveil après un coma peuplé d'horreurs, un coma provoqué par quelque chose de terrible et elle n'était pas certaine d'être prête à l'assumer. tu es morte Elektra, c’est impossible .



   

Son sourire, son foutu sourire. Il n’a pas le droit de sourire. Pas cette fois. Elle repousse l’apaisante chaleur qu’il fait naître, elle la repousse l’enseveli. Pas encore. Il lui rappelle les moments volés d’un bonheur à l’insouciance cruellement naïve. Elle était tombée amoureuse et la chute avait été vertigineuse et l’atterrissage douloureux. Elektra n’avait jamais aimé auparavant et elle s’était promis de ne plus aimer à nouveau. Tout ça lui revient comme une gifle, ça la sonne, ça lui fait mal, la douleur d’une plaie ré-ouverte. Une plaie trop fraiche. C’était hier, non ?

Son masque tombe. Elle sait déjà. Elle sait, mais ça l’atteint, ce visage, ses yeux aveugles. Son sourire fâné. Elle, elle sourit toujours, Elektra a toujours trop sourit, trop pour être heureuse. Son rire est amer quand il demande, quand sa voix brise le silence. Elektra ravale la boule qu’elle a dans la gorge. Il la rend faible. Il entache ses certitudes de son insupportable morale. Sa voix claque encore, froide. Elle tourne la tête vers Foggy, elle l’avait déjà oublié. Elle le regarde hésiter, puis disparaître. La porte se referme dans un grincement, ils sont seuls.  « Tu le sais, ce qui m’est arrivé, Matthew ». Sa voix est atone, comme désintéressée par la question. Elle n’est pas prête à mettre des mots sur ça, pas même prête à y réfléchir.
Trop tard. Une tempête se déclenche dans son esprit. Les derniers mois se rejouent, elle prends conscience de tout ce qui n’allait pas. Quelques secondes à peine, assez pour développer la furieuse envie de fuir et être gagné par la certitude qu’il la suivrait. Cette fois, il la suivrait.

Elle lâche ses saïs, le bruit métallique résonne un instant, puis réduit la distance entre eux « Tu gères la situation ? » répète-t-elle, un peu moqueuse, un peu acerbe. Elle est trop proche. Elle lève son point  et frappe son torse à l’endroit ou chez elle s’étends désormais une hideuse cicatrice. Pas assez pour lui faire mal. Ou peut-être que si. Elle déplie ses doigts et laissa sa main reposer sur le pourpre de sa cuirasse. « Tu gérais la situation aussi ce soir- là ? » Elle lève son regard vers lui et  scrute le sien, aveugle. Ses cheveux secoués par la brise, il est comme toujours, irrésistible.
Il était là. Elle se souvient, il était là sur ce toit, mais elle ne veut pas de ses souvenirs. Elle tremble, fébrile, elle frappe à nouveau, rageusement. Elle l’avait oublié. La Main a réussi à  lui faire oublier Matthew Murdock, un temps. La Main a réussi à lui faire croire qu’elle voulait tuer Matthew Murdock. Alors qu’elle avait préféré se sacrifier plutôt que d’affronter la perspective sa mort.
Il y’a chez elle de la fureur, elle a envie de le blesser, elle a envie qu’il la prenne dans ses bras, qu’il lui fasse des promesses qu’il ne pourra pas tenir. Elle a envie qu’il se batte, qu’il la traite en l’ennemie qu’elle devrait être, elle a envie de l’embrasser. Tout se bouscule dans son esprit, les souvenirs anciens et nouveaux, elle les balaie  elle y songera plus tard. Toutes les implications de sa présence ici ce soir, tous ses derniers mois, les missions, plus rien en compte. Parce qu’il est là.

Il a du sang sur les lèvres, un bleu qui se forme sur sa pommette. Il a à peine riposté. Elle a toujours dû le pousser pour se battre et elle n’a jamais su communiquer autrement. La Main ne lui a pas enlevé ça. Il n’y a qu’au corps à corps qu’elle se livre un peu. Alors prise d’une impulsion elle…

Spoiler:

Lovée dans son étreinte, Elektra ressentait avec une certaine violence la brutalité de leur séparation. Elle s’était élancée vers lui sans savoir si elle voulait le frapper ou l’embrasser. En quelques mots il avait fait s’effondrer les barrières mentales qu’elle avait elle-même dressée pour se protéger. Il avait crevé le déni dans lequel elle vivait. Il avait allumé un brasier et ses flammes révélaient les détails les plus sordides.

Leur baiser avec le gout amer d’une rupture et la douceur des retrouvailles.  Elle repoussait les questions et l’horreur que représentait sa présence, elle repoussait les souvenirs des derniers mois et ne se focalisait que sur la chaleur de ses mains, la tension de son corps et son abandon presque lascif. Il y avait des sourires dans son baiser et de la détresse. Les sourires fanèrent quand elle sentis ses doigts qui couraient le long de son bras et le changement subtil de son attitude. La parenthèse était presque terminée. Il posa son front contre le sien, un petit répit encore, Elektra glissa ses doigts contre sa joue, ses ongles glissant dans sa barbe de quelques jours. « Tu ne pouvais pas nous laisser un peu plus longtemps » souffla-t-elle un peu lasse du prochain combat. Elle n’avait pas les armes pour celui-ci.

Il s’écarta un peu, c’était terminé. Elle laissa retomber sa main le long de son corps. Il serrait son poignet mais elle n’avait pas l’intention de s’enfuir, pas tout de suite. Sa question lui fit l’effet d’une gifle, balayant toute mélancolie chez elle. Une question qui appelait une réponse simple qu’elle n’avait pas. « C’est plus compliqué que ça » rétorqua-t-elle sèchement.

Il insiste. Il est borné. Elle aussi.

Agacée, elle tire mollement sur son poignet, sans parvenir à lui faire lâcher prise et sans même faire mine d’essayer de s’éloigner. Elle devrait se libérer, s’enfuir, mais elle n’en a aucune envie, elle veut profiter de sa présence. Même s’ils doivent se frapper, même s’ils doivent crier. Elle a besoin de ça. Elle se sent vivante, il l’a toujours rendu plus vivante. Elle repose sa main contre sa joue, avec une tendresse qu'elle n'a jamais eu pour personne d'autre, ses prunelles scrutent ses traits et son pouce passe doucement sur le bleu qu’elle lui a infligé. « Tu ne peux pas m’aider Matthew. Et tu ne peux pas m’arrêter non plus ». Sa certitude insolente a les intonations de la vérité. De sa vérité. « Et je t’interdis d’essayer » souffle-t-elle dans une inflexion un peu plus douce, déjà certaine de la réponse. Il s’inquiète et il a raison de le faire, à quelques minutes prêt Foggy était mort, elle était mortifiée à cette pensée. Pas qu’elle ait une quelconque affection pour cet ami pot de colle qui avait tout de suite vue qu’elle était mauvaise pour Matthew. Elle lui en voulait même de sa clairvoyance, mais pas au point de le tuer.

Foggy s’était fait le miroir de ce qu’elle représentait, de l’image détestable qu’elle avait d’elle-même. Dans son regard, elle n’avait pas été différente d’une seringue d’héroïne et tel avait été son but, lui faire perdre sa lucidité, le conduire à sortir de sa petite vie rangée. Ce soir, il l’avait regardé comme un monstre et elle ne se sentait pas différente. Elle était morte et elle travaillait pour ses meurtriers à perpétuer plus de meurtres. La fiancée de Frankenstein qui soudain se rappelait de qui elle avait été.
Elle n’avait aucune envie de se justifier, de s’excuser, d’expliquer. Elle n’était même pas certaine d’en être capable. « Ce qui s’est passé ce soir ne se reproduira plus » énonça-t-elle durement cherchant d’avantage à se convaincre qu’à convaincre Matthew.

A partir de ce soir elle allait reprendre le contrôle, mais elle avait besoin qu’il ne se mêle pas de ça, elle avait besoin de ne pas avoir à s’inquiéter pour lui. « Laisse-moi partir, maintenant. » finit-elle par lui demander sans conviction. Après un long silence, d'un geste brusque elle s'arracha à sa poigne et s'enfuit sans jamais se retourner.