Should I flee from you? ft. Kassy

Dès que la première heure fut terminée, Kassandra déserta l’amphithéâtre en coup de vent et sortit. Elle avait prévu de sécher les cours aujourd’hui car la Confrérie l’avait appelé pour une mission et elle avait dit oui sans hésiter. Une mission, une vraie de vraie. La jeune femme n’en revenait pas, elle était excitée en même temps qu’inquiète. L’idée qu’elle allait travailler avec quelqu’un lui semblait étrange, à vrai dire c’était la première fois qu’elle faisait équipe, en plus avec une personne du genre de Graham Johnson : réputation de diva et étalage de soi au maximum, ça commençait fort. Enfin c’était les échos qui lui étaient parvenus, et elle savait bien quoi penser des gens qui l’entouraient, mutants comme humains : on regarde l’extérieur ou ce qu’on croit voir de l’intérieur. Mais le plus intéressant était la profondeur de l’esprit, ce n’était qu’à partir de là qu’elle pourrait émettre un jugement et adapter son comportement : une femme consentante pour ceux qui le méritaient, une saloperie de manipulatrice pour les autres.

A peine eut-elle passé la porte qu’elle entendit une voix l’appeler derrière elle. Eh merde, pas lui. Si pourtant, le type collant de sa promo. Elle leva les yeux au ciel alors que le sentiment de l’autre en sa présence, la rendait folle de rage. Kassandra se retourna avec le plus faux des sourires qu’elle put afficher tandis qu’elle luttait contre la nausée.

- Ben Kassy, où tu t’en vas ? On a cours encore là…
- J’ai pas le temps, il faut que j’aille. On se parle une autre fois si tu veux.

Ou pas. Le lourdingue de service prit à peine ses paroles en compte, et en plus elle ne supportait pas qu’il l’appelle par ce surnom là. Ce sentiment qu’il avait pour elle la dégoûtait au plus profond de son être, elle avait envie de lui cracher au visage, de lui hurler qu’elle n’était pas son amie et qu’il devait l’appeler Kassandra. Ou non… qu’il ne l’appelle pas, se serait encore mieux.

- Tu as vu ce qu’il s’est passé hier au fait ? continua-t-il en la suivant. Un de ces mutants a menacé un humain, heureusement l’autre était armé…
- Oh mince, j’espère que le mutant n’a rien… fit-elle inconsciemment.

Allez, il fallait qu’elle fasse un effort. D’ailleurs si elle pouvait… Oui elle le pourrait. Il suffisait de créer une faille émotionnelle de quelques millisecondes pour qu’elle prenne le contrôle, elle l’avait déjà fait. Surtout que celui là était influençable, ce serait presque un jeu d’enfant. Son acte la dégoûtait d’avance, mais il fallait faire ça. Alors un sourire radieux se dessina sur le visage de la jeune femme, et l’humain perdit immédiatement le contrôle. Sans perdre de temps, elle saisit cette faille émotionnelle en lui touchant le bras et là, la mutante fit passer en lui une peur intense aussi forte et incontrôlée qu’elle put lui transmettre.

- Tu vas être en retard au prochain cours, voyons, murmura-t-elle en se délectant de l’instant.

L’expression du jeune homme changea immédiatement et il tourna les talons, saisit d’un effroi démesuré. S’emparer de l’émotion des gens était jouissif, il fallait l’avouer. Pour la simple et bonne raison que ces moments étaient les seuls où elle ne subissait pas les autres mais plutôt l’inverse. L’image de son arrivée en panique au cours arracha un sourire à Kassandra, dommage qu’elle ne puisse pas voir ça. C’était sympa de se venger de temps en temps. Elle regarda son portable. Mince, elle allait être en retard à cause de tout ça… Un milkshake, il lui en fallait un. Décidemment cette saleté américaine la rendait accro. C’est au pas de course qu’elle traversa les rues pour s’arrêter au premier stand croisé.

- Un milkshake au chocolat, le plus amer que vous avez, déclara-t-elle en tendant un billet au vendeur.
- On n’en a plus, répondit-il avec l’un air blasé de l’américain moyen.
- Quoi ? Il est même pas dix heures du mat’ et vous n’en avez plus ? Bon laissez tomber, la cerise fera l’affaire.

Quand elle récupéra son gobelet, elle fila rapidement en cherchant dans sa tête où pouvait être l’endroit dans lequel on lui avait donné rendez-vous. Lorsque la mémoire lui revint, elle se redirigea et arriva devant un bâtiment décrépit. Sérieux ? On aurait dit un endroit de mafieux qui débutaient la magouille… Bon elle se contenterait de ça, tant pis. Kassandra poussa la porte et analysa les lieux. Ce devait être cette pièce là, à sa gauche. Elle prit une inspiration, préférant chasser toute pensée ou appréhension parasite et ouvrit la porte.

Graham était là, et il la salua sur un ton enjoué. Enjoué mais forcé. Kassandra sentit une vague d’émotions lui arriver comme une gifle en plein visage. Elle dût avouer qu’elle perdit le contrôle durant presque une seconde. Confusion, vulnérabilité, négativité… que savait-elle encore… Elle ne comprit pas, il fallait qu’elle fasse le vide. Il ne lui laissa pas le temps. « Kassy », elle avait juste entendu « Kassy ». Le mutant avait beau jouer la comédie avec son milkshake, il fuyait son regard, tentait une maîtrise désespérée de lui et enchaîna directement sur la mission.

Abasourdie, la jeune femme s’assit dans un des fauteuils. « Kassy », c’était la seule preuve qu’elle n’était pas complètement un monstre aux yeux de Graham. Il était tellement mal à l’aise qu’elle en avait pitié. Qu’est ce qu’elle sentait ? Il fallait qu’elle se concentre. Un type dévoué, il parlait de sa cause avec le cœur. Et il y avait eu « sweet heart » après ? Pas très réussi comme approche faussement détendue mais elle décida qu’elle l’aimait bien, et elle se promit de le rassurer sur son compte.

- Désolée, articula-t-elle enfin. Je… Enfin, laisse tomber. Oui j’avais des idées. Enfin je fonctionne de manière particulière. Tu as besoin du virtuel, j’ai besoin de l’émotion brute. Je vais devoir te le dire franchement, mais si on veut de la matière il faut que j’approche ce type… Je serais inutile sinon. On peut même espérer qu’il est une faille émotionnelle, dans ce cas je pourrais lui faire ressentir ce que je veux, mais c’est pas Noël tous les jours hein.

Elle marqua une pause alors qu’une idée lui vint. Ce serait marrant.

- J’ai une stratégie d’approche je crois… Mais je préfère que tu commences, c’est toi le pro, déclara-t-elle.

Première phase du chemin vers une ambiance plus détendue. Kassandra préférait rester confiante.

Durant une seconde ou deux Kassandra crut à une miraculeuse réconciliation entre Graham et son empathie lorsqu’il esquissa un sourire sincère. Mais il disparut intérieurement alors qu’il semblait comprendre le problème. Bien sûr c’était évident qu’il avait un flot de secrets à couvrir tout comme elle d’ailleurs, bien qu’elle sentait un passé plus sombre de son côté. Cependant elle se voyait mal en faire une quelconque remarque, elle qui cachait à ses propres parents sa vraie nature de peur qu’ils ne la rejettent. Ils étaient les seuls humains qu’elle aimait et qui comptaient pour elle.

Graham bougea dans son fauteuil afin de la regarder dans les yeux. Enfin il s’était décidé à l’affronter. Kassandra serra son milkshake dans sa main et sentit sa peau se glacer. Elle ressentit tout à coup de la part du mutant, un meilleur point de vue d’elle alors qu’il se concentrait plutôt sur la mission et relâcha un peu son gobelet.

« J'ai besoin d'un accès direct à l'ordinateur de ce mec. Ou à une salle réseau qui y a accès. Mais comme tu dois rencontrer le bonhomme, disons qu'on vise son bureau. Il y a plusieurs manières de faire. Soit je nous programme un rendez-vous avec ces cher monsieur et on entre par la grande porte, en faisant tout ce qu'on peut pour se faire remarquer. Je peux facilement nous contrefaire des identités de journalistes. »

Il avala un peu de son milkshake et Kassandra l’imita en attendant qu’il réfléchisse.

« Mais ça à l'inconvénient que, on aura beau être sur l'agenda, il peut toujours nous refouler. Enfin, je suppose que tu peux faire quelque chose pour ça... De toute manière, je pense pas que nous la jouer ninja soit une bonne idée. C'est en passant à la vue de tous qu'on aura le plus de chance de passer inaperçus. Même, plus on se fera remarqué, moins il y a de chance qu'on se fasse attraper. Les gens qui ont des trucs à se reprocher ne passent pas par la porte d'entrée. Et surtout, ils essaient de se faire discret, ce que nous ne ferons pas. Maintenant, la suite, c'est juste une historie de contexte. Il faut voir quel angle serait le meilleur pour rencontrer le type dans son bureau. Il faut aussi que je puisse toucher n'importe quelle partie de son pc pour faire mes petites recherches. Je suis pas encore au point quand il s'agit de faire ça à distance... »

L’empathe écouta attentivement tous les points en réfléchissant à la manière dont elle pourrait agir. Entrer ne lui semblait absolument pas compliqué, c’était rester qui lui semblait plus dur. Les dernières paroles de Graham conduisirent celui-ci dans une réflexion plongée dans le milkshake, où elle pût sentir un reproche personnel et un manque de satisfaction. Puis quand il revint à la réalité, Kassandra ressentit de sa part la même crainte qui l’étreignait depuis le début. Il la regarda et sourit de nouveau. Décidemment, elle ne s’ennuierait pas avec lui.

« Mais j'aimerais savoir ce à quoi tu avais pensé ma jolie. »

Oulà, elle allait devoir entrer en scène, imaginer un plan avec quelqu’un d’autre et non pas seule comme à son habitude. D’un autre côté ça la rassurait de ne pas agir en solitaire, incertaine de ce qu’il adviendrait. S’inquiéter en équipe paraissait plus amusant. Mais comment lui expliquer son idée de manière la plus normale ? Elle n’en avait aucune idée. Elle vida donc son gobelet de milkshake en ressemblant mentalement ses bouts de plan.

- Un politicien on a dit ? Et la Confrérie, ou du moins les mutants, doivent se faire un ami ? Je vais être franche alors. La séduction. La séduction d’abord. Ils aiment tous les jeunes femmes. Au pire j’ai uniquement besoin d’une déstabilisation émotionnelle pour prendre le contrôle et hop, il verra la vie en rose. Ensuite tu fouilles son ordinateur, on trouve des choses peu conventionnelles et on le fait chanter. S’il est clean on continue la première approche, même si à vrai dire, ce n’est pas mon habitude. Je suis plutôt du genre on frappe et ensuite on cause.

Kassandra posa son gobelet vide à ses pieds.

- Après pour ce qui est d’entrer, si tu dis que le mieux est de se faire remarquer je te suis, c’est toi l’ancien. Je n’ai pas l’habitude là non plus mais je suis là pour apprendre d’autres trucs alors ça me va. Et ouais je peux arranger les choses si ça ne passe pas, mais il me faudra une déstabilisation qui rende la personne vulnérable et manipulable. Je nous vois bien nous faire passer pour des personnes importantes afin d’être sur de pouvoir entrer dans son bureau. Ensuite je fais mon manège. Mais je parle trop, c’est toi qui amuse la galerie d’habitude à ce que j’ai entendu dire, alors quel est le meilleur rôle à jouer pour notre entrée ?

L’empathe se mit à sourire quand elle prononça sa dernière phrase. Comment montrer qu’elle n’était pas un monstre ? Les monstres ne souriaient pas, si ? Kassandra se détendit enfin un peu plus depuis qu’elle entrée ici.

« La séduction est une bonne approche. Ça comporte juste le risque qu'il veuille se retrouver seul avec toi. Mais si ce n'est que ça, je devrais pouvoir gérer. Tu es encore très jeune, je peux me faire passer pour ton père, ton grand frère, ton oncle n'importe quel membre de ta famille s'il le faut. Mais encore une fois, ça dépendra de l'angle qu'on choisira. »

Kassandra préféra passer outre le moment de réflexion dérangeante qu’il avait eu vis-à-vis de son problème avec elle, pour tenter de nouveau de se concentrer sur la mission. Ensuite elle eut un sourire quelque peu blasé quand elle entendit qu’il mentionnait son « jeune » âge. Depuis qu’elle était entrée à la Confrérie on la prenait pour une gamine en plus de craindre son pouvoir. D’un autre côté la situation paraissait ironique, au point de croire qu’on la considérait de cette manière pour mieux dissimuler le problème relationnel. En réalité, sur le nombre infime de personnes qui avaient connaissance de sa mutation, une seule semblait à l’aise : son amie de lycée infiltrée à Hydra.

Toujours était-il que Graham replongea dans une réflexion mêlée de cette sensation poignante qu’il lui transmettait toujours. Mais encore une fois il sembla se défiler. Si Kassandra avait d’abord cru qu’ils pourraient passer outre ce problème, elle comprit que ce n’était pas possible pour lui et donc pour elle également. Cependant elle se voyait mal en parler, c’était à lui d’aborder le sujet.

« Comme tu dis, c'est moi qui amuse la galerie. Mais on ne pourra passer aux yeux de tous que si nous respirons tout les deux la confiance. Si tu ne pense pas pouvoir le faire sans avoir l'air nerveuse, il faudra qu'on intègre ça dans notre mascarade. Encore une fois, tu es fort jeune que pour occuper un poste important. Un journaliste et sa stagiaire ? Les politiciens adorent les journalistes. Un riche donateur, qui aimerait financer sa prochaine campagne, accompagné de sa charmante belle-fille ? Ça pourrait être amusant, j'adore me pavaner. Et sinon, la déstabilisation émotionnelle, je m'en charge... »

Kassandra réfléchit à tous les points de vue qu’il proposait, outre passant le fait qu’il l’accablait encore de sa jeunesse apparemment problématique. La première option du journaliste était possible, elle passerait en effet encore plus pour une femme que l’on peut aborder facilement, ce que leur cible apprécierait. Après le donateur était toujours le mieux accueillit dans ce genre d’endroit et elle pourrait tout aussi bien jouer la minette facile qui accompagnait son beau père. L’empathe s’apprêtait à formuler une réponse après réflexion, mais son confrère la devança avec une question qui semblait le préoccuper.

« Continuer la première approche ? Donc... Tu es capable d'influer sur les émotions des gens à long terme ? »

Kassandra fut interloquée par cette question mais ne répondit pas tout de suite. Elle sentait qu’il allait enfin se jeter à l’eau quand il gigota sur son fauteuil.


« Je... Je suis désolé. Tu dois parfaitement sentir ma méfiance. Sache que c'est certainement pas dirigé contre toi. J'ai un soucis avec les empathe et les télépathes. Je peux même pas imaginer à quel point je dois être un bordel sans nom pour toi. Je ne peux pas et je ne veux pas. J'suis juste pas doué avec les émotions je crois. »

A ses mots il la regarda dans les yeux et l’empathe fut ironiquement touchée par tant de progrès à la fois, de la part du mutant. Elle savait comment elle avait tendance à être avec les gens qui lui avouaient explicitement la faiblesse qu’ils avaient avec son pouvoir : manipulatrice et vicieuse. Mais pour son confrère, elle avait plutôt pitié parce qu’elle n’avait aucune envie de se comporter méchamment avec les siens. Comment lui expliquer les choses ? Kassandra baissa les yeux et réfléchit quelques secondes. Secondes qu’elle sentait insoutenables chez Graham.

- Euh, franchement je ne sais pas quoi te répondre. Je sais tout ça, je le sens et j’interprète ce que les gens ressentent. Quand on habite dans une ville comme New York on s’en prend plein la vue tous les jours, des centaines d’émotions qui affluent, je n’y fait même plus attention des fois. Mais là tu es un cas isolé, je ne sais pas comment te faire comprendre que tu n’as pas grand-chose à craindre de moi. On est dans le même bateau, des émotions secrètes j’en ai ressentit tellement de fois que tu n’es qu’une personne de plus dans ce schéma. Seulement je n’ai pas envie d’être un problème. Il y a peu de gens que je respecte vraiment dans ce foutu monde, et je ne sais pas si ça peut te rassurer si je te dis que tu en fais partie malgré tout.

Elle marqua une pause en se demandant ce qu’elle pourrait rajouter.

- Pour ce qui est de mon pouvoir, son influence n’a pas de durée précise dans le temps, ça dépend de uniquement de la force d’esprit de la personne. Selon ça ils se remettent plus ou moins rapidement de ma manipulation.

Kassandra releva les yeux car il lui semblait qu’elle n’avait plus rien à ajouter. Elle voulait connaître sa réaction avant d’aborder de nouveau la mission, car elle sentait qu’il avait besoin que ce point soit clair avant toute chose.

A son tour, l’empathe ne su plus où se mettre. Il lui semblait qu’elle s’appropriait le sentiment inconfortable de son confrère et qu’elle le ressentait de la même manière que lui. Un instant elle ne fit pas la différence entre les deux et frissonna. Ca ne lui était pas arrivé depuis un moment et en un instant d’inattention elle était retombée à l’âge de pierre de sa mutation. Cette pensée acheva de la mettre mal à l’aise, bien qu’elle savait que ce n’était qu’une illusion, qu’elle n’avait à aucun moment totalement perdu la maîtrise qu’elle avait durement acquis pendant des années.

Préférant ne plus y penser parce que ça n’arrangerait rien, Kassandra se concentra sur son interlocuteur : assimilation, réflexion… incompréhension. La jeune femme sentit ses épaules tomber. Elle avait presque envie d’effacer ce passage, qu’il n’ait pas osé lui en parler et qu’ils soient restés sur leur mission. Elle avait l’impression qu’ils étaient deux fois plus mal à l’aise que tout à l’heure et en était dépitée parce qu’elle avait tout de même tenté de détendre l’atmosphère. Elle se sentait tout à coup coupable, coupable d’avoir ce pouvoir. Cette sensation familièrement insoutenable qu’elle avait réussi à éteindre il n’y avait pas si longtemps. Entrer à la Confrérie lui avait semblé miraculeux. Qu’avait-elle cru ?

- Je... Tu me respectes ? Loin de moi l'idée de douter de toi mais je ne vois pas trop pourquoi. On se connaît depuis peu et à peine on passe un peu de temps juste tout les deux que tu ressens tout de suite à quel point je suis pas à l'aise avec ton pouvoir.  Alors même que je prône l'égalité des mutants. Je devrais être la dernière personne que tu respecte.

Kassandra tomba des nues et tomba dans son fauteuil, définitivement achevée. Comment l’exprimer ? Euh… C'est-à-dire que niveau réponse nulle et plus basse que terre on faisait fort là. L’expression « toucher le fond » s’appliquait particulièrement bien à cette situation, aussi ironique que cela pouvait paraître. Le relationnel était à présent aux yeux de la jeune fille, un obstacle infranchissable pour son confrère et elle avait sous estimé cette impression qu’elle avait ressentit de lui. En même temps ça la mettait hors d’elle. Un mutant de la Confrérie, organisation sacrée pour elle, avec des gens comme elle qui ont le même but qu’elle… Ca, ça inspirait une confiance et un respect direct les uns envers les autres normalement, non ? Elle fut tout à coup déçue. Peut-être s’était-elle trompée sur ce point aussi ? Le rêve d’une égalité mutante était-il lui aussi faux ?

Son côté manipulateur et vicieux pris soudainement le dessus en elle sans qu’elle ne comprenne pourquoi. Le mutant venait de se planter en beauté devant elle sans qu’il ne s’en doute un seul instant. Et pourtant Kassandra n’avait jamais ressentit l’envie de profiter de la faiblesse d’un des siens. Mais que pouvait-elle ? Il s’était volontairement mis en position de faiblesse, appuyant bien ce fait et couronnant à présent le tout par une incitation au non respect de lui-même. Tant mieux s’il le voyait comme ça, ça serait plus facile pour elle de ne pas l’estimer… Kassandra coupa cours à ses pensées. Elle ne se reconnaissait même pas dans cette attitude. Décidemment, sa mauvaise partie prenait facilement le dessus en ce moment.

La jeune femme soupira pour éviter de carrément hurler.

- Ecoute, arrête juste. Je te dis clairement les choses parce que ça me gène aussi que tu sois comme ça, je t’assure. Là ça me bouffe, ton émotion est contagieuse je t’assure. Je fais des efforts, je viens de t’expliquer par a + b ce pourquoi j’avais de l’estime, mais apparemment on n’a pas la même façon de voir ça. Reprenons tranquillement donc.

L’empathe soupira, croisa les jambes en tailleur et fixa un point invisible par terre durant deux secondes. Voilà qui était fait. Pas de réflexion. Rien ne lui venait. Ca serait du tac au tac.

- Je recommence, je me suis mal exprimée peut-être et j’en suis désolée, parce qu’il faut que j’explique sans que tu ne te sentes encore plus mal à l’aise. Un mutant qui se débrouille, c’est ce que tu es, non ? Qui se bat pour la cause mutante, ça aussi c’est ce que tu fais ? Qui fait partie de la Confrérie qui m’a recueillie et m’a donné un but concret, dont tu fais bien partie hein ? Voilà, ça fait trois raisons. Moi j’ai besoin de ça pour respecter une personne. Peut-être que toi tu veux un leader imposant, qui sait parler comme il faut, qui s’habille avec un costar et qui paraît sérieux, ou peut-être que c’est encore autre chose le respect pour toi. Mais moi c’est le schéma que je t’ai décris avant qui me fait respecter les gens. Je me fiche de ce que tu fais voir de toi aux autres parce que moi, ce n’est pas ce que je vois en premier. J’ai arrêté de regarder les personnes comme tout le monde à douze ans, quand j’ai muté. Je vois l’intérieur, la personnalité, tu vois ? Et je n’ai pas besoin de quinze ans de fréquentation pour voir la tienne. Ca fait quoi, un quart d’heure qu’on est là ? Ca me suffit, j’ai vu qui tu étais mais pas ce que tu gardes comme secrets et comme problèmes, il faut que tu comprennes la différence.

Kassandra secoua la tête en repensant à la dernière phrase du mutant, tout à l’heure.

- Et ce n’est pas à toi de me dire si je dois te respecter ou pas. Tu serais presque entrain de me dire que je devrais avoir plus d’estime pour un attardé génétique quelconque du Parti Collectif que pour toi ? Non merci, désolé de te décevoir.

Ca, elle l’avait dit gentiment, sur un ton plus léger et presque dérisoire. Enfin elle n’était plus mal à l’aise de son côté et elle ne le serait plus en sa présence. Cependant le comportement de Kassandra à l’avenir dépendrait entièrement de sa réaction. Elle lui avait offert une chance de se rattraper. Elle ne se sentait pas la force de recommencer, son côté de Charmeuse vicieuse serait à contenir avec lui, elle le sentait.

Cependant un sentiment plus agréable émana de lui et Kassandra en fut presque surprise. Quoi ? Il avait comprit ? Genre maintenant et sans plus de prise de tête ? Ouah, c’était une avancée considérable et étonnante dont elle ne pouvait s’empêcher de s’étonner. Mais elle fut en même temps soulagée car ça signifiait qu’ils allaient pouvoir surmonter ce problème, ce qui lui paraissait impossible il y avait quelques secondes de ça. Et mieux, il semblait vraiment convaincu par ses paroles.

- Et bien, le moins qu'on puisse dire, c'est que tu as ton petit caractère. C'est une bonne chose. En même temps, je ne pense pas que tu serais ici si ce n'était pas le cas.

Ouah, une fois de plus. Clin d’œil, étirement, prise en compte d’un autre sujet de préoccupation et retour sur elle. Kassandra ne put retenir un léger sourire. Elle ne savait pas si ‘lunatique’ était le mot qui le qualifiait ou si c’était seulement elle qui l’avait changé en si peu de temps, mais dans tous les cas c’était amusant.

- Bon, je mérite ton respect et tant que tu ne joue pas à la girouette émotionnelle avec moi, je te fais confiance aussi. Message bien reçus Kassy.

Cette fois, le sourire léger de Kassandra tourna à quelque chose d’un peu plus sournois mais ce fut uniquement parce qu’il avait compris. Compris qu’elle pouvait éventuellement ne pas être complètement rose et loin de là. Il avait saisi ce qu’était la Charmeuse et semblait la mettre en garde. Très bien, elle appréciait ça. Et surtout le fait qu’il soit passé de très bas dans son estime de confrère à assez haut, désormais. La confiance était instaurée, il semblait un peu plus serein que tout à l’heure.

- Bien. On se remettrait pas au boulot maintenant ? Je veux dire, ce mec vas pas nous filer ces infos tout seul.

Que de bonnes décisions soudaines. Ces points étant réglés, Kassandra rassembla mentalement ce qu’ils avaient dit précédemment et imagina la situation.

- Tu m’as convaincue, je ne jouerai pas avec tes émotions, tu es officiellement épargné, déclara-t-elle en souriant de manière satisfaite. Oui, la mission. Le riche donateur est une bonne idée, on sera sûr d’être accueillis dans son bureau et assez rapidement. Avec sa belle-fille c’est bien aussi, je jouerai la minette facile puisque vous vous évertuez tous à me voir comme une gamine ici, c’est que je dois en avoir la tête. On rentre, on met le bazar, on se fait recevoir, je le séduit et l’éloigne pendant que tu t’occupes de son ordi. Je pense seulement lui soutirer quelques infos si j’arrive bien à le manipuler comme il faut, et éventuellement le rendre d’humeur conciliante envers les mutants.

Kassandra termina son discours sur un ton quelque peu ironique. Elle imagina la scène quelques secondes. Si elle passait outre le côté repoussant de l’action, elle s’amuserait bien quand même et elle pourrait défouler ses pouvoirs tranquillement et sans retenue. Cette vision lui convenait plutôt bien finalement. Après il fallait s’attendre à des obstacles inattendus comme à chaque fois qu’on préparait un coup pas très net.

A  ses dernières paroles elle failli pouffer de la réaction de Graham. Même quand il ne le voulait pas il était comique. Il n’avait pas compris ses dernières paroles à en jauger sa réaction et le tic de ses nerfs au mot « gamine ».

- Pour commencer, je ne te considère pas comme une gamine, loin de là. Si tu avais été une gamine, tu ne serais pas ici. La confrérie ne ramasse pas de gamins pour les impliquer dans son combat. On est pas chez les X-Men ici.

Il cru à une fausse compréhension de sa part. Loin de là l’idée qu’elle s’était trompée, comment osait-il ? Non ce n’était pas dans les émotions qu’elle avait lu ça, absolument pas. Seulement dans les paroles, « tu es encore très jeune », « fort jeune »… Et encore elle ne citait que ses paroles à lui. C’était le comportement qu’on adoptait par rapport à elle qui la dérangeait, Kassandra savait bien qu’on l’estimait un minimum, pour son pouvoir, pour sa réputation. Bref, elle laisserait passer pour une fois, elle n’allait pas en remettre une couche après de si bonnes paroles échangées et une réconciliation qui tenait du miracle.

- Mais ignorer l'avantage que nous procure ta jeunesse et ta beauté serait une terrible erreur stratégique. A la guerre comme à la guerre comme on dit. Mais ne vas pas croire que, parce que je dis que tu es jeune, je pense que tu est moins compétente que n'importe lequel d'entre nous. Parce que c'est faux.

Kassandra ne put s’empêcher de sourire. Une réconciliation et des gentillesses maintenant ? Fort bien, c’était toujours appréciable. De justes paroles en plus. Elle se fera un plaisir de montrer qu’il avait raison durant cette mission, c’était aussi l’occasion de se faire vraiment reconnaître au sein de la Confrérie. Elle sentait qu’il était convaincu de sa couverture mais aussi une inquiétude. Elle inclina inconsciemment la tête sur le côté, occupée à cherche ce qui le tracassait. Son propre cas apparemment.

- Si ce plan te conviens, il me semble parfait. Je suppose que tu pourras t'en sortir si jamais ce mec entreprends quoi que se soit de vraiment déplacé envers toi... Mais si jamais, il ne faudra surtout pas que tu hésites à m’appeler hein. Dans tout les cas, je ferais au plus vite pour ne pas te laisser seule trop longtemps et surtout, pour éviter de me faire prendre. Cette situation serait... Fâcheuse... Mais je suis certain que tout se passera bien.

Quoi ? L’empathe ouvrit des yeux ronds. Des gestes déplacés ? Ca ne lui avait même pas traversé l’esprit une seconde. La Charmeuse saurait ajuster ses émotions pour qu’il n’ait pas envie de la toucher. Cette image désagréable lui vint à l’esprit sans qu’elle ne puisse l’empêcher et elle frissonna. Beurk. Non jamais il ne ferait ça, et puis elle avait de quoi se défendre. Kassandra sourit et sortit de sa poche sa fameuse lime à ongles trafiquée en arme, pour l’agiter entre ses doigts.

- Aucun souci là-dessus. J’ai les moyens de me défendre, elle en a déjà calmé plus d’un, répondit-elle en désignant la lame argentée. En plus j’aurais le temps et un endroit calme pour travailler en détail mon emprise sur les gens. Cet homme sera un parfait cobaye, mais ne t’inquiète pas, je ne l’abimerai pas. Enfin si tout ce passe bien.

Oui ça, elle n’en était absolument pas convaincue. Les missions tournaient toujours en quelque chose d’imprévu quand ce n’était pas au désastre total. Kassandra le sentait à des kilomètres avant d’y être, c’était inévitable. Et d’un autre côté ça lui plaisait. Au moins tout n’était pas toujours planifié au millimètre près. Faire un plan pour se donner bonne conscience en sachant pertinemment qu’il faudra improviser 50 à 70% de la mission, ça l’amusait. Bon elle devait avouer qu’une fois sur place dans une situation compliquée c’était moins amusant. Mais c’était comme ça qu’on apprenait. Bref. L’empathe se redressa sur son siège, prête et déterminée.

- Bon tout semble okay. On fait quoi maintenant ? C’est toi le meneur, je te suis.

Kassandra sentit bien une prise de distance face aux armes de la part du mutant. Elle comprit qu’il n’aimait pas toutes ces choses et même par extension, qu’il m’aimait pas la violence physique. Elle rangea sa lima à ongles pour qu’il se calme, ce n’était qu’une démonstration, rien d’autre pour le moment. Ce qui lui valut un sourire franc de la part de Graham. Ouah, décidemment la journée prenait un caractère assez exceptionnel. Ce dernier se leva pour marcher. Par conséquent l’empathe le suivit vaguement du regard avant de porter son attention à la pièce qui les entourait. Elle n’avait pas vraiment eut le temps de l’inspecter depuis qu’elle était arrivée.

En tout cas, la Confrérie semblait vraiment avoir des problèmes de logement ; ou est-ce cette tendance à se tapir dans des endroits à l’aspect peu recommandable lorsqu’on fait des coups en douce ? C’est vrai qu’ils étaient considérés comme des « terroristes ». Encore un mot d’humain face à une situation où les mutants les dépassaient encore largement. Ca les amusait de toute façon. En tout cas les politiques et les gens haut-placés qui riaient des attaques mutantes pour ensuite retourner ça contre eux. Ils plaçaient les humains comme victimes en ventant leur situation non-évoluée, et les montaient contre les autres. Ils pensaient tranquillement dans leur bureau alors que les gens se tapaient dessus dehors sous leur building.

Cette pensée énerva encore Kassandra qui remua dans son fauteuil comme pour la chasser. De toute façon même elle essayait, le problème respirait bel et bien dehors et venait salir chaque émotion qu’elle percevait à l’extérieur. Avant on sortait dans la rue en se demandant si le gar qu’on croise n’est pas armé ou violent, mais maintenant beaucoup se demandent simplement si celui d’en face est un mutant et quel genre de pouvoir il peut détenir. Ils étaient des bêtes de foire, une personne malade avec un gros problème et qui peut même devenir dangereuse. Décidemment, elle ne pouvait pas ignorer ce problème durant une seconde. Graham reprit.

- Par contre, si on se fait malgré tout pincer, je compte sur toi pour faire usage de ton don pour nous ménager une porte de sortie. Et si j'ai des ennuis de j'enverrais deux sms d'affilé sur ton téléphone. Donc il faudra que tu puisse l'entendre ou le sentir vibrer. Je t'en enverrais trois si j'ai besoin d'une diversion. C'est à peu près le moyen le plus rapide que j'ai de pouvoir te faire passer rapidement des informations.


Kassandra hocha la tête en notant les informations mentalement. Elle sentit aussi qu’il comptait beaucoup sur elle, ce qui fut une sorte d’encouragement pour elle. La solution des sms lui semblait vraiment facile, et l’empathe s’imagina une seconde comment on pouvait percevoir la clarté du monde technologique de la même manière qu’elle voyait l’émotionnel. Non elle n’en avait aucune idée en réalité.

- Deux pour les ennuis, trois pour une diversion, okay. Et oui il sera dans ma poche intérieure, fit-elle en désignant sa veste. Pas de problèmes pour le don, c’est plutôt l’inverse généralement, j’hésite rarement à l’utiliser.

Lorsqu’elle demanda ensuite ce qu’ils devaient faire, cela fit sourire Graham qui se tourna vers elle. C’est vrai que pendant un instant Kassandra avait paru une gamine trépignant sur son fauteuil. Mais elle n’y pouvait rien, c’était sa première vraie mission avec la Confrérie et elle en était fière. Pour une fois qu’elle se réjouissait de quelque chose.

Graham lui indiqua qu’il leur fallait encore du temps et les épaules de la jeune femme lui tombèrent un peu. Il lui parla de Candy et elle sentit que ce n’était pas une personne, par rapport aux sentiments qu’il éprouvait quand il prononçait son nom. En effet, elle comprit rapidement que c’était une machine avant qu’il ne déclare carrément que c’était un ordinateur. Et c’est lui qui leur donnerait de faux papiers. Mouais ils étaient obligés d’en avoir. Elle aurait pu donner envie aux gens là-bas de les laisser passer sans avoir à montrer ou prouver leur identité, mais c’était mieux de prévoir ce point au cas où il y aurait d’autres problèmes à gérer en même temps.

Un jour ou deux avant la mission ? Elle se demanda comment elle vivrait, dans les rues, à la fac en sachant qu’elle allait bientôt faire quelque chose de peu légal. Peut-être la même chose qu’avant avec un sentiment plus confiant en sachant qu’il y avait des gens qui l’encourageaient derrière. Mais tout à coup, Kassandra se redressa à la mention de « Porsche ». Sérieusement, ils allaient voyager dans une Porsche ? L’empathe était aux anges. C’est une voiture qu’elle avait toujours admiré et avec notamment, des inventeurs de son pays, bref quelque chose de plus merveilleux encore qu’un milkshake.

- Des questions ?

Kassandra fit non de la tête. Il lui semblait que tout était clair et au point. Il ne restait plus qu’à attendre un ou deux longs jours avant de commencer sérieusement. Elle se leva de son fauteuil en reprenant son gobelet à présent vide qu’elle avait prévu de jeter en sortant.

- Alors à demain ou après demain ? demanda-t-elle satisfaite d’avoir tout de même bien avancé.