Première rencontre, prise deux [Tony & Reine]

Je dépose le pinceau sur ma table de travail. La dernière couche de vernie vient d’être appliquée sur la toile. Une toile assez considérable, ayant pour mesure environ trois mètres de larges par un mètre de haut. À cause de ses dimensions, il faut une quantité de vernie importante et de ce fait mon appartement empeste cette odeur depuis deux jours. La ténacité de l’odeur va dépendre de mon soucie à ouvrir quelques fenêtres. Comme j’ai tendance à oublier de le faire puisque travailler m’absorbe entièrement, ce n’est pas gagné. Je retourne m’assoir sur le banc de mon bureau de travail après avoir en vitesse relevé un peu le bas de l’unique fenêtre de la pièce. Je contemple l’œuvre à présent immortalisée par la couche transparente protectrice. Observer le tout fait remonter en moi beaucoup de souvenirs. La précision et la rigidité de certains traits de pinceau, la justesse des couleurs, le reflet des formes, les faisant presque bondir hors de la toile, tout cela me fait revivre ces évènements. Je revois l’armure Iron Man sortir de l’ombre pour apparaître devant moi pour la première fois. Je me souviens de la lourdeur de l’air, chargé de particules qui m’asphyxiait. Je me rappelle bien de la faible luminosité ambiante, des quelques rayons qui peinaient à s’extirper d’entres les débris, colorant le décor de teintes de gris. La texture de l’environnement d’alors me revient aussi clairement : la pierre rugueuse, le métal lisse et tranchant, le sang humide. Les températures se font aussi dualité dans ma toile. La froideur et l’hostilité des décombres contrastent d’une manière impressionnante avec la chaleur et la vivacité du rouge et de l’or de l’armure. Une paire d’yeux lumineux, d’un blanc presque pur fait office d’étoiles dans l’extrémité gauche de l’œuvre. J’ai dépeint mes émotions, mon ressentie, mes souvenirs ainsi que mes peurs dans cette toile. L’effet est assez époustouflant, je dois dire. On jurerait que l’armure elle-même est sur le point de foncer sur moi. Je souris, fière de moi. Tant que l’œuvre demeure dans l’anonymat de mon appartement, je reste confiante. Hors, j’ai l’intention de la déplacer demain. De la faire voir par quelqu’un d’autre que mon regard maternel d’artiste. Au moment de vérité, je sais que je vais paniquer. Je vais peut-être même rebrousser chemin au moment de la livraison. Garder cette représentation de l’attaque terroriste du bâtiment du Ministère de l’immigration bien au chaud chez moi. À la base, j’ai fais cette toile pour quelqu’un. C’est une commande comme une autre, mais cette fois personne ne m’a demandé de le faire. C’est moi qui aie pris cette initiative. Tant que le tout n’était pas achevé, ça restait comme lorsque je peints dans mes temps libres. Sauf que maintenant que le produit final est devant moi, je me sens bien mal de prétendre que je ne l’ai pas fait pour lui. Qu’est-ce qui m’a prit de croire que ça pourrait lui faire plaisir?

Je me lève lentement. J’ai encore un peu de raideur dans ma jambe droite. Toutefois, mon état est nettement mieux que les premiers jours suivant mon admission à l’hôpital. Une opération de trois heures a été nécessaire pour retirer de façon sécuritaire le morceau de métal de ma cuisse. J’ai eu droit à deux chirurgiens généraux qui ont extrait l’objet, un neurochirurgien qui est venu raccorder le nerf sectionné et un chirurgien plasticien pour reconstruire la chair arracher au passage par le métal. Heureusement, le fémur est intact. J’ai ensuite eu droit à deux transfusions sanguines, des traitements de physiothérapie pendant quatre jours une fois ma plaie bien refermée et surtout à un suivie très serré par un pneumologue et toute une équipe d’infirmières afin de libérer mes poumons de leur crasse. Je ne veux pas vraiment repenser aux premiers jours post-opératoires. Pas que j’avais mal, car on s’assurait de me donner assez de médicaments pour soulager ma douleur. Non, juste que d’être constamment coincé avec un masque à oxygène les premiers jours entrecoupés de traitements afin de faire sortir les tissus nécrosés par la fumée, c’était vraiment très peu agréable. Seul ce magnifique bouquet de fleurs me tenait compagnie, l’odeur apaisant mon mal. Heureusement, à présent c’est derrière moi. Je sens que mes poumons sont comme neuf grâce aux bons traitements et j’ai toujours des sensations dans ma jambe droite malgré le nerf sectionné. Tout cela n’aurait pas été possible sans le travail de mon équipe soignante. Je leur en suis très reconnaissante. Il y a toujours cette sensation d’étirement des muscles de ma cuisse et de froideur sur ma peau lorsque je touche ma cicatrice des doigts, mais j’imagine que c’est normal vue le traumatisme de ma jambe. Je suis heureuse d’aller bien et surtout de marcher comme avant. Le physiothérapeute m’a avertie d’y aller mollo durant les prochains mois, de ne pas par exemple me lancer dans un marathon. Je dois laisser le temps aux muscles de ma cuisse de redevenir solides. Sauf qu’on me demande aussi de ne pas rester immobile trop longtemps. Je fais de mon mieux pour respecter ces consignes, mais le travail des derniers jours à un peu prit le dessus sur mes bonnes intentions. Ma jambe est raide aujourd’hui. Sauf qu’il fait nuit dehors et que je n’ai absolument pas envie d’aller braver la noirceur pour dérouiller le tout. Je vais donc prendre un bon bain chaud et je file me coucher. Je ne parviens toutefois pas à fermer les yeux une seconde. Le stress de ce qui m’attend demain me garde éveillé. J’écoute le sifflement de l’air qui pénètre par la fenêtre ouverte de mon atelier.

Lorsque je me décide à me lever le lendemain, je constate à quel point ma jambe est engourdie. Je fais les étirements qu’on m’a enseignés en physiothérapie et ça aide un peu. J’échauffe mes muscles en tournant en rond dans ma cuisine pendant que mes toasts se font dorer dans le grille-pain. Je déguste mon petit déjeuner debout en dansant d’un pied à l’autre. À force de faire travailler ma jambe, la sensation désagréable s’atténue presque entièrement. Je termine donc de me préparer sans relâcher de me mouvoir un peu partout. Je termine par un retour dans mon atelier. Je fixe la toile, comme pour m’assurer que rien n’a changé durant la nuit. Puis, je la retire de son support de bois, la roule soigneusement et l’enferme dans un tube de transport. Je sors ensuite à l’extérieur avec mon cadeau sous le bras. Je trouve sans problème un taxi. Le soucie c’est qu’atteindre la Tour où se cache Stark demande plus de temps que prévue. Il y a du trafique à cette heure de la journée et je profite de l’attente forcée pour amplifier involontairement ma nervosité. Et s’il ne voulait pas me revoir? S’il ne se souvenait même pas de moi? Et si le fait que je lui offre une toile en cadeau l’exaspère? Après tout, il y en a des tas de personnes qui le représentent en dessin à tous les jours. Des enfants, des admiratrices, de simples artistes qui trouvent le symbole inspirant et tellement plus auxquels je ne pense pas. Sauf que pour moi, la production de cet œuvre a davantage été une thérapie qu’autre chose. Ça se catégorise comment ça? Mon stress monte d’un cran lorsque le taxi s’immobilise à un coin de rue près de la Tour. Je tiens nerveusement le tube dans mes mains, grattant l’un de ses extrémités de mes ongles en permanence encrassés de peinture. Lorsque ma destination est atteinte, je paye et remercie timidement le chauffeur avant de m’extirper hors de son véhicule. J’hésite longtemps sur le trottoir. Sauf que je repense à ce moment où je suis sortie de l’hôpital. Où j’angoissais à mort puisque je sais que dans ce pays les frais médicaux ne sont pas payés par l’État comme au Canada. J’avais tellement peur de voir le montant de la facture et de devoir payer cette dette toute ma vie. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque la dame à l’administration m’a dit que tous mes frais avaient déjà été remboursés. J’ai passé bien près de pleurer. Je serre le tube un peu plus fort. J’inspire profondément pour me donner du courage et je passe la porte vitrée. Je suis un peu perdu, ne sachant pas où aller maintenant. Je n’ai jamais songé avant à comment faire pour qu’on me laisse le voir. J’aurais peut-être du m’en soucier. Je repère une réceptionniste et je marche donc vers elle :

-Bonjour, Loreine Marchand. Je m’introduis sobrement. J’aimerais voir Monsieur Stark.

Elle me regarde une seconde avant de se déplacer vers l’écran de son ordinateur. Elle fait voler ses doigts sur les touches. Est-ce qu’elle est en train de rechercher mon nom quelque part ou bien ce n’est que la procédure habituelle? Je me sens mal à l’aise de ne pas savoir ce qui se passe. Elle active le téléphone accroché à son oreille et je n’entends pas ce qu’elle marmonne à une personne au bout du fil. Si ça se trouve, elle appelle la sécurité pour qu’on m’éjecte hors d’ici en vitesse. Elle revient ensuite vers moi en glissant sur sa chaise à roulettes et me pointe un ascenseur :

-Monsieur Stark va vous recevoir dans ses appartements, elle me dit d’une voix neutre. Prenez cet ascenseur, il vous conduira au bon étage.

Je l’observe alors qu’elle retourne à son travail. C’était plutôt facile en fait. Je marche vers l’ascenseur précédemment indiqué. En y entrant, les portes se referment et je me décourage en voyant le nombre de boutons. C’est lequel le bon? L’ascenseur s’active tout seul, me faisant sursauter et je reste surprise par l’autonomie de cette machine. Dois-je vraiment m’en surprendre? Je suis quand même dans un lieu entièrement construit et pensé par un type qui se balade avec l’armure la plus avancée qui soit. Ça ne m’empêche pas d’être impressionné. L’ascenseur s’arrête à un étage près du sommet. Je sors lentement, toujours hésitante à venir le déranger chez lui. Les portes se referment et cela me terrifie un peu. À présent, je ne peux plus faire marche arrière. Je regarde autour de moi, toujours collé à l’ascenseur. Je fais quoi, je l’appelle? Après une seconde inspection du regard des lieux, j’entends des bruits de pas. Je lève les yeux dans la direction du son et en le voyant venir vers moi, je serre un peu plus fort le tube contenant ma toile.

Je n’avais aucune attente pour cette rencontre. Vraiment absolument aucune. Alors le voir apparaître de nulle part, s’approcher d’un bar que je viens de remarquer à l’instant et l’entendre me dire que j’ai meilleure mine aujourd’hui suffit à m’arracher un sourire. Il a décidément le don de m’avoir à tous les coups. Il fait tomber l’anxiété qui embrouille mon esprit lorsqu’il me propose un verre, puis s’en serre un. Voilà qui est une offre que je ne peux refuser. On a beau être le matin, j’ai besoin de la chaleur de l’alcool pour me redonner tout mon courage.

-Oui, je veux bien, merci, je lui dis en sonnant beaucoup trop polie.

Pourquoi je suis si intimidé en sa présence? Est-ce à cause que la toile que je transporte est si lourde depuis que je suis débarqué du taxi? Ou bien c’est seulement le contexte même de cette rencontre? Je suis face à l’homme qui m’a sauvé la vie. Il ne semble pas se prendre la tête avec ça. J’aimerais bien être aussi détaché des choses. Je deviens émotionnelle toujours trop rapidement. Je me défige et avance vers lui pour cueillir mon verre. Je ne lui demande même pas ce qu’il m’a servit. Plus c’est fort et plus ça va me calmer. Je prends une gorgée et laisse le temps au liquide de faire son œuvre avant d’enfin le regarder. Il ne porte pas d’armure cette fois. Il est pourtant plus bâtie que je le pensais. Il est un peu plus grand que moi, ce qui n’est pas très difficile. Il est séduisant à bien y penser. Je prends une nouvelle gorgée pour empêcher ma tête de divaguer vers ce genre de réflexions et je dépose mon verre sur le bar. Je suis venue pour lui faire une livraison, alors je compte bien la faire. Je prends le tube dans mes deux mains et le tend dans sa direction. Quelques explications s’imposent il me semble, alors je racle ma gorge engourdie par le scotch et lui dis :

-Je sais que ce n’est rien à comparer de ce que vous avez fait pour moi, mais je tenais à vous faire un cadeau en remerciement.

L’emploi du verbe « faire » dans la phrase est intentionnel. Je l’ai fabriqué son cadeau après tout. S’il ne l’a pas déjà remarqué, mes mains portent encore les marques de la peinture et du verni de la toile. C’est subtil comme résidu, mais même lorsqu’on frotte, il est toujours difficile de tout nettoyer lorsqu’on passe ses journées dans les pots de différentes couleurs. Il a de la chance, il ne voit pas l’état de mon tablier. J’ai tendance à m’essuyer directement dessus lorsque je travaille alors il porte toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sur son tissu. Je lui laisse le tube, l’aidant à l’ouvrir comme le couvercle est capricieux parfois. Au moment de tirer sur la toile pour l’extraire, je le coupe dans son geste :

-Désolé pour les dimensions, j’avais une vision un peu trop imposante, je pense.

Je retire ma main sur la sienne, ne voulant pas ralentir le dévoilement plus longtemps. Je l’observe alors qu’il tire la toile du tube, reprenant ce dernier au passant pour lui donner ses deux mains afin de dérouler l’œuvre. Je sens la nervosité revenir, alors je saisis mon verre en bouée de sauvetage et je bois un coup lorsqu’il commence à dérouler. J’évite d’intervenir. Je dois le laisser découvrir la toile de ses yeux et commenter après sinon j’allais encore plus gâcher le moment. Je demeure donc silencieuse, sans le quitter les yeux. Il est évidemment incapable de dérouler l’œuvre entièrement comme ses bras ne peuvent s’écarter de trois mètres de large. Je trouve donc utile de lui apporter mon aide. Je prends l’une des extrémités et recule afin de terminer de dérouler. L’Iron Man qui se dévoile ainsi complètement est tellement plus animé et impressionnant face à l’authentique personnage. Seulement la tête de l’armure sur mon œuvre est au moins trois fois plus grande que celle de Stark. Le regard blanc froid et la solidité de chaque détail du métal que j’ai peint accentue l’impression que cet Iron Man fictif impose le respect. Je me retourne vers Tony et je ne sais pas vraiment quoi dire de plus que ce qu’il doit déjà se douter :

-C’est mon boulot, je lui dis. Sauf que cette fois la commande était un peu spéciale. J’espère que ce n’est pas inapproprié.

La toile est quand même tout sauf discrète. Et pas seulement à cause de sa grandeur, mais aussi de par la justesse et l’éclat de ses couleurs qui reflète mon souvenir de la rutilance de son armure au soleil. C’est probablement trop.

Durant un instant, je cherche l'origine de la voix féminine qui réponds à Tony lorsque je lui tends son cadeau. Il n'y a personne d'autre que nous deux dans cette pièce, je le sais très bien. La voix qui semble porter le nom de FRIDAY est pourtant aussi réelle que n'importe quelle intonation humaine. Ce pourrait-il que cette voix soit en réalité son armure? Il parle donc tout bonnement à sa création et elle lui réponds, comme deux bons amis. Je trouve cela fascinant à vrai dire. J'en viens même à me demander si FRIDAY me répondrait si je lui posais une question. Mais, je n'ai pas le temps de faire le test. Stark est déjà en train d'ouvrir son cadeau et moi de stresser à mort à cause de cela. Je l'observe avec une telle attention, même lorsque je l'aide à dévoiler l'entièreté de la toile. J'espère sincèrement qu'il va apprécier. Lorsqu'il m'informe qu'il l'adore et qu'il se met aussitôt à la recherche d'un endroit où l'accrocher, je sens mon cœur se réchauffer. Je souris, faisant disparaître les quelques doutes qui persistaient sur ma venue ici aujourd'hui. Je ne pourrais pas être plus heureuse. Il trouve une place sur un mur, mais l'espace est déjà occupé par un autre tableau. Je reconnais l'artiste en question et retiens un rire lorsqu'il l'arrache de sa place. Je respecte le travail de chaque peintre, ça n'a rien à voir. C'est juste que cette situation à qu'en même quelque chose de drôle et c'est cela qui me fait prendre le tout en riant plutôt qu'en m'outrageant. La place qu'il a choisit me semble effectivement appropriée. Le mur est neutre, il est également suffisamment grand pour supporter une œuvre de cet ampleur. La toile, une fois montée sur un support et accrochée, ne sera pas non plus comprimée par une restriction du mur, celui-ci se continuant encore longtemps avant d'être troué d'une ouverture. Non, je pense qu'il a vraiment bien choisit.

-C'est très bien là, je lui souris.

Il revient ensuite vers moi et vers le bar. Je reprends mon verre dans une main et accepte d'aller m’asseoir avec lui dans de très confortables canapés. J'y prends place en orientant mon corps dans sa direction. Il est déjà très gentil de m'inviter à rester, même après la raison de ma venue accomplis. Je bois une nouvelle gorgée et cela contribue à détendre mes muscles encore un peu. Son commentaire suivant me fait pencher la tête de côté. Il ne saisit pas l'art moderne, comme plusieurs personne. Je ne le prends pas mal. En fait, je trouve le sujet pertinent. Je dépose mon verre sur la table basse en imitant son geste et je le regarde :

-Sur le papier je suis peintre, oui. Mais, j'aime me dire que ce que je fais c'est d'inventer des réalités. De représenter des sentiments, des souvenirs, des idées. Pour cette toile, j'ai simplement fermé les yeux et j'ai cherché dans ma mémoire l'émotion que j'ai ressentie ce jour-là. La vision de cet armure m'est venu et je l'ai laissé m'habiter jusqu'à en saisir les contours. Après, il ne m'a suffit que de suivre cette image pour la peindre le plus fidèlement possible. Ma toile est aussi concrète parce que le souvenir l'est. Lorsque vient le temps de peindre une pensée plus chaotique et insaisissable, il en résulte parfois  une représentation plus abstraite. J'aime bien ce genre de chose puisque l'émotion est toujours pure, jamais mise en second plan par la représentation de réalités connues de tous. Le but du jeu pour l’œil extérieur est de tenter de deviner l'émotion qui s'est emparé du peintre au moment du geste. Je ne suis pas la meilleure à ce jeu-là.

J'observe le mur à présent vide sur lequel Tony compte accrocher ma toile. Je m'imagine comment les gens vont réagir en la voyant ainsi accordé au décor des appartements de Stark. Ce qui m'importe c'est l'opinion de ce dernier. Rien de plus. Je reprends mon verre à présent presque vide en lui disant :

-Mais toi aussi tu es un artiste. Iron Man est venu d'une vision. Tu as créé de toutes pièces l'armure et tu l'as fait naître comme lorsque j'ai peins la toile. Le processus n'est pas si différent. Et en plus tu lui as donné une voix propre.

Je songe à cette FRIDAY. Je me mets à regarder un peu partout comme pour m'assurer qu'effectivement elle n'est pas quelque part dans la pièce. Je termine mon inspection par une sorte de petite écran digitale  à gauche de l’ascenseur que j'ai pris pour venir ici. Serait-il possible que l'âme d'Iron Man dépasse l'armure et que Stark l'ai étendu cet édifice en entier? Et si c'était elle qui m'avait fait monter jusqu'ici sans que j'appuie sur aucun bouton? Voilà qui soulève encore plus de question.

-Si je lui parle, je demande à Tony en le regardant, est-ce qu'elle va me répondre?

FRIDAY n'obéit peut-être qu'à lui. Ça ne me surprendrait pas. L'armure est sa propriété privée, il ne désire peut-être pas qu'on communique avec elle. Mais si j'en avais la possibilité, je ne sais pas de quoi je discuterais avec elle. J'ignore à quel point elle est intelligente, à quel point elle connaît des choses. Étant une création de Stark qui ne fait pas les choses à moitié, je me doute que le niveau de culture de FRIDAY doit être supérieur au mien. Supérieur à nous deux simples humains peut-être. Voilà qui pique encore plus ma curiosité.

Je souris lorsque FRIDAY m’affirme elle-même qu’elle me répondra si je lui parle. Je ne sais trop où regarder pour qu’elle voie que j’ai compris. J’imagine qu’elle est un peu partout dans cette pièce et que je n’ai pas besoin de la chercher. Je cesse donc de promener mon regard pour le concentrer sur Tony. Je l’écoute me répondre sans l’interrompre. Je connais sa vie vaguement, comme toute personne ayant un t’en soit peu d’intérêt pour les potins. Sa vie est publique, la célébrité obligeant. Mais, cela ne révèle pas tout. On parle de Stark comme d’ayant été celui qui vendait des armes, puis de celui qui fut capturé dans ce pays lointain et hostile. Enfin, de l’homme ayant réussi à s’arracher des griffes de ses ravisseurs en usant de sa tête et de ses compétences pour donner vie à son premier prototype de l’armure. Je connais les grandes lignes. Mais pour moi et comme pour beaucoup, l’histoire reste floue. On parle surtout des scandales qui ont suivi lorsqu’on mentionne la naissance d’Iron Man. De la fermeture de la manufacture d’armes de Stark Industries, des premières interventions héroïques de l’armure un peu partout dans le monde, de la fameuse conférence de presse où il a prononcé devant l’Amérique entièrement la phrase « Je suis Iron Man ». Oui, ça tout le monde en a entendu parler, même si j’étais au Canada en ce temps-là. Sauf qu’il a raison, il a conçu son armure pour survivre. Et lorsqu’il me parle de l’interface et de son prédécesseur, je suis aussi d’accord avec le fait qu’il est un génie. Une personne ordinaire n’aurait pas accomplis tout ça. Une personne ordinaire ne consacrerait pas non plus sa vie à aider les autres comme il le fait. Il était quelqu’un avant Iron Man, mais il est une autre personne maintenant. Du moins, c’est l’impression que j’ai. Je suis persuadé que le créateur d’armes d’autrefois n’aurait jamais volé à mon secours comme l’homme en face de moi aujourd’hui. Quelque chose a changé et l’a fait réfléchir à ce qu’il voulait être. Il a choisit cette voie et sans cela, je serais morte à l’heure qu’il ait. Je réalise alors que je le fixe sans dire un mot depuis beaucoup trop longtemps. Je me réveille et reprends mon verre aussitôt :

-Désolé, je lui dis en souriant, un peu gênée. Je réfléchissais à ce qui t’es arrivé. À comment ta vie est différente à présent.

Je bois une gorgée, osant le regarder à nouveau :

-Mais, je maintiens l’opinion que lorsque tu as conçu ton armure, la première je veux dire, qu’elle est née d’un sentiment puissant. Ton instinct de survie ta poussée à le faire, c’est vrai. Mais si tu n’avais pas pensée à le faire, personne ne l’aurais fait pour toi. Être un génie, c’est de créer des choses dont personne n’avait même jamais songé avant. La beauté n’a rien à voir là-dedans. L’essentiel était là. Le cœur de l’armure y était. Même si tu as perfectionné ta création par la suite, elle n’a jamais vraiment dérogé de l’idée d’origine. Tu voulais survivre, tu voulais sortir et pour cela il te fallait être plus fort et plus résistant. Quoi de mieux qu’une armure faite sur mesure.

Je parle trop. Je parle beaucoup quand je bois un peu. Et pourtant je n’arrête pas de boire. Je suis en train de prendre la dernière gorgée de mon verre en ce moment. Il doit me trouver bizarre de lui parler autant. Surtout de lui-même. Mais bon, des deux, c’est lui qui a la vie la plus palpitante. Cela ne me dérange pas que la conversation s’oriente vers lui. Il doit en avoir l’habitude de toute façon. Il me propose de parler directement avec FRIDAY, sur quoi je ne sais pas vraiment comment réagir. Ce n’était qu’un accès de curiosité que j’avais eu, rien de bien important. Sauf que je pouvais tout de même essayer.

-Et bien, est-ce que tu as des sentiments, par exemple? Je dis en fixant inutilement le plafond.

C’est une machine, alors j’imagine qu’elle n’est pas conçue pour ça. Je dois me couvrir de ridicule à l’heure actuelle, mais FRIDAY n’a pas n’importe quel père après tout. Elle ressent peut-être des choses, mais pas comme nous. Sa vision du monde est ce que j’aimerais comprendre. Est-ce qu’elle tient à Tony, comme lui semble tenir à elle et à son prédécesseur? L’attachement est-il réciproque? Si oui, comment peut-on qualifier cette relation? De l’amitié? Tout cela est tellement abstrait pour moi, mais il y a une chose que j’ai envie de demander à l’homme derrière la machine cette fois :

-La première armure, est-ce que tu l’as encore? Est-ce que je pourrais la voir?

J’ai envie de me faire ma propre opinion du reflet de la période la plus sombre de sa vie. De voir avec mes yeux son œuvre de génie. Et pour cela, je pense qu’il n’y aura pas meilleur miroir que la première armure elle-même. S’il l’a toujours bien sûr.

Le sujet ne cesse de me fasciner. Je n’aurais jamais imaginé confronter une interface aussi intelligente. Une interface tout court pour être honnête. Cet homme vivait vraiment dans un monde hors du commun pour côtoyer ce genre d’invention quotidiennement. Je souris à nouveau à FRIDAY, même si je sais que c’est très humain comme comportement. Si elle interprète les émotions des gens qui sont sous sa surveillance, alors elle comprend que parler avec elle me rend heureuse. Pas comme un enfant qui découvre un nouveau jouet merveilleux, juste comme je l’aurais été si on m’avait répondu de vive voix.

-Je vois, je lui réponds. C’est déjà très bien.

En effet, avoir une compréhension de la psychologie de l’être humain était très pratique pour elle. Elle pouvait ainsi répondre davantage aux besoins des gens ou saisir leurs réactions, l’homme étant trop souvent guidé par ses émotions. Je me contente sans peine de cette réponse. Pour moi le simple fait qu’elle existe et qu’elle ait sa libre pensée m’impressionnait. J’étais tellement novice dans l’univers de Stark. Il ne faut pas m’en vouloir. Un rien m’émerveille.

En apprenant que ses premiers modèles d’armure sont soit détruits, soit noyés quelque part, je suis légèrement déçu. Après tout, la production de ses armures doit être importante, puisqu’il a besoin constamment d’au moins l’une d’entre elle à disposition pour les urgences. Il doit donc en avoir une réserve bien gardée par l’œil vigilant de FRIDAY. Combien exactement, je n’ose lui demander. De ce fait, il ne doit pas s’embarrasser des vieux modèles. Il demande alors à l’interface de me faire voir des plans des premières représentations d’Iron Man. Mon regard est attiré vers la table basse lorsque trois hologrammes bien différents se matérialisent devant moi. Pour m’aider, FRIDAY a eu la délicatesse de m’indiquer les noms de chacun et de les mettre en ordre de naissance. Je remercie Tony d’un sourire lorsqu’il me resserre un peu de scotch. Je me permets ensuite de m’approcher des représentations. Mark II et III sont assez semblables à ce qu’on a l’habitude de voir comme image pour Iron Man. Plus sobre et brouillonne peut-être, mais la silhouette reste la même. Je m’attarde ensuite sur le premier né. Je n’avais jamais vu ce modèle avant. Il faut dire que c’est celui ayant servit pour l’évasion. Il n’était pas conçu pour plus à mon avis. Cette armure est robuste, aux formes simples et de conception défensive surtout, à première vue. Il faut prendre en compte dans le processus de création la contrainte de l’environnement, la limite de temps pour tout construire et les matériaux à disposition. Tout cela a été calculé au préalable par l’esprit de génie à côté de moi. Comment il a fait pour penser à tout et réussir ainsi son pari de s’extirper de là? Je pense que personne d’autre n’aurait été capable de reproduire cet exploit en pareilles circonstances.

Je retourne à ma place en observant encore une fois l’ensemble des trois frères que j’ai sous les yeux. Il y a une évolution nette. Évolution qui doit être encore plus marquée avec son armure la plus récente, soit celle qui m’a sortie des décombres du gratte-ciel. Enfin, je le regarde lui. Est-ce qu’il réalise à quel point ses créations sont importantes? Le voit-il que sans tout ça je ne serais pas devant lui en ce moment? J’ai un sourire au moment de briser le silence :

-Elles sont magnifiques, je lui dis. Toutes les trois.

Je prends une gorgée de scotch, me sentant rougir sans trop que je ne sache pourquoi. Il doit avoir l’habitude des compliments sur son travail. Mais bon, je tenais à lui en faire quand même. Je poursuis mes paroles :

-Le but de ma visite consiste aussi à te remercier pour tout ce que tu as fais pour moi. Pour le sauvetage évidemment. Mais, pour les fleurs et pour les frais médicaux aussi. C’était très généreux et attentionné, surtout à une parfaite inconnue. Je suis aux États-Unis depuis moins d’un mois, je n’aurais pas eu l’argent pour payer une telle somme.

Je me réfugie une fois de plus dans mon verre. Je dois y aller mollo. Je ne voudrais pas perdre mes facultés devant lui. Sauf que je n’y peux rien. Je suis toujours nerveuse et intimidée par cette rencontre. Boire me distrait et me permet de détendre mes muscles qui ne cessent de se durcir. L’alcool m’aide aussi à être plus volubile et probablement moins ennuyante, mais pas plus pertinente pour autant. Ce n’est pas de sa faute si j’ai besoin de cette béquille pour lui parler. Je suis nulle avec gens, même ceux que je connais bien. Ce n’est pas mon truc les autres. Je suis surtout du genre à m’enfermer dans mon atelier durant des jours sans parler à personne pour peindre une toile gigantesque représentant un robot rouge et or. Ça n’a rien de personnel. J’observe les hologrammes encore un peu. Je fronce les sourcils en songeant qu’aussi merveilleux ses armures peuvent être, cela le catégorise comme personne visée par cette étrange loi du Parti Collectif. Et si je me souviens bien, Stark a prit position en faveur de celle-ci. Je n’ai pas vraiment d’opinion par rapport à cette loi puisqu’il n’y a pas plus humaine et imparfaite que moi, mais je ne peux m’empêcher de me faire du souci pour Tony, lui qu’on a mis en avant-plan de cette histoire :

-Fait attention à toi avec cette nouvelle loi. Tu es une bonne personne et je ne voudrais pas qu’il t’arrive malheur. Je ne veux surtout pas te dire quoi faire, mais il y a tellement de mauvaises personnes dans ce monde qui pourrait te faire du mal à cause de ça. Bats-toi pour tes idées, mais intelligemment.

Ça sonnait mieux dans ma tête. Mon but n’est pas de lui faire la morale. Je veux juste qu’il ne se mette pas les pieds dans les plats et qu’on tente de le tuer pour ça. Il a beau avoir ses armures et sa technologie, il n’est pas immortel pour autant.

J'aime cette idée qu'aider son prochain est normal pour lui. N'ayant jamais été porté vers les autres, je comprends encore mal la conception de dévotion totale. Je suis vraiment très égoïste parfois et on me l'a souvent reproché, surtout en contexte de travail. J'aime opérer seule et ça semble déranger les autres. Pour moi, il n'y a pas de quoi en faire tout un plat, mais je me force bien souvent à me plier à ce genre de choses afin d'éviter qu'on me vire d'un projet. Mes efforts ne m'épargne jamais de passer pour la fille qui ne sait pas travailler en équipe. Mais qu'est-ce que je peux bien faire contre cela? C'est la vérité après tout. Alors qu'il me dise ça réussit à me faire sourire encore une fois. Il est sincère dans ce qu'il dit. Il ne prétend pas être un héros, il en est un. Mon sourire devient encore plus grand lorsqu'il m'apprend que l'armure qui m'a sauvé était à son tout premier vol. Cela aurait pu être inquiétant avec la création de n'importe qui d'autre, les problèmes techniques pouvant frapper n'importe quand lorsqu'une machine est fraîchement sortie de l'usine. Hors, avec Tony ce n'est même pas un risque à envisager. Je sais qu'il fait les choses toujours bien. Il n'est pas un génie pour rien.

-J'espère que ça été concluant, je lui dis en sachant déjà la réponse.

Sa réplique à ma demande de faire attention à lui dans le contexte actuelle de la loi me déroute quelque peu. Il a une telle confiance en lui. C'est tellement plus que ce que je n'aurais jamais. Je n'insiste pas davantage, ne voulant pas révéler davantage mon anxiété de le voir blessé. Je pense qu'à présent je vais toujours regarder la télévision avec une petite inquiétude au cœur. Stark m'a offert une seconde chance de vivre ma vie ce jour là. C'est peut-être son acte héroïque ou bien le fait qu'aujourd'hui j'ai appris à connaître l'homme derrière le masque, mais tant qu'il sera Iron Man, je ne cesserais de me faire du soucis pour lui. En sachant que je n'ai pas le droit de lui demander de faire plus attention à lui qu'il ne le fait déjà, je dois éviter de trop penser à tous les risques auxquels il s'expose à tous les jours. Il le fait pour une raison noble. Et ça me rend fière qu'il le fasse. Parce qu'il y a tellement de gens qui ont besoin de secours et qu'il a les capacités de contribuer à le faire. Non, c'est simplement un sentiment égoïste comme si souvent dans mon être. Je cherche instinctivement à le protéger alors que des deux, c'est lui qui à les armures pour combattre. Peut-être que ce sentiment passera. Peut-être pas. Sauf que je ne pense pas que je puisse y faire grand-chose aujourd'hui. J'ai déjà été très audacieuse en lui avouant que j'avais peur pour lui. Je ne peux rien faire de plus pour le moment. Il réussit à me faire rire cette fois en me conseillant d'éviter les décombres. Il n'a même pas à s'inquiéter à ce propos, j'ai retenue ma leçon.

-Je vais faire attention, c'est promis. Je lui dis en me levant.

Je pense avoir suffisamment abusé de son temps. Il a déjà été généreux au-delà de mes espérances en me laissant m’asseoir, boire et parler si longtemps avec lui. Il m'a même montré ses armures et cela me fait chaud au cœur qu'il l'ait fait. Je pense toutefois que si je persiste à rester, je vais vraiment développer une trop grande inquiétude vis-à-vis de lui. En fait, plus je vais le connaître et moins le masque de l'armure sera visible pour moi lorsque je vais voir des images d'Iron Man. Pour moi, ce sera Tony que je vais voir affronter autant de dangers au péril de sa vie. C'est mieux de s'arrêter là pour aujourd'hui.

-Merci pour le scotch, je dis en terminant mon verre.

Je le dépose sur la table basse en ne sachant pas où le mettre d'autre. Je marche ensuite en direction de l’ascenseur en jetant un nouveau coup d’œil à l'endroit choisit par le milliardaire pour accrocher ma toile. Cela me donne d'ailleurs une idée :

-Si jamais tu as d'autres murs vident, ça me fera plaisir de te peindre ce que tu voudras.

Ce n'est pas de la publicité gratuite, je suis même prête à faire les œuvres bénévolement. Peindre est la chose que j'aime le plus faire en ce monde alors c'est déjà bien que souvent on me paye pour le faire. Mais pour Iron Man lui-même, je n'aurais aucun mal à créer des toiles sans ambition de paiement. Surtout en sachant à présent que ça lui fait plaisir.