Midnight Talk [Abigail & Jackson]

Ma tête ornée d’une casquette grise est penchée comme si souvent sur mon téléphone. Concentré sur la lecture de l’article d’un journaliste, je n’ai pas touché à ma bière depuis une bonne vingtaine de minutes. La gomme que je persiste à conserver dans ma bouche malgré son absence de saveur désormais est mâchée avec un rythme mécanique. Ce journaliste est en train de démolir ma performance du week-end dernier. Je ne m’emporte plus comme au début de ma carrière lorsque je rencontre des critiques négatives. Je suis juste étonné du nombre de points d’exclamation qu’il arrive à employer sans que ça ne devienne excessif. Voilà une qualité indéniable : ce type sait écrire. Je fais glisser mon pouce sur l’écran pour m’amener à la fin de l’article. Je termine ma lecture en haussant un sourcil. Tout en mémorisant le nom du journaliste, j’étire mon bras et agrippe mon verre. Immobilisant ma gomme contre la paroi intérieure de ma joue, je bois une gorgée et recommence à mâcher par la suite. Refermant mon téléphone, je sors de ma bulle. Je me souviens alors de comment la musique est forte. D’à quel point l’ambiance est à la fête derrière moi. Un bref coup d’œil m’apprend que de nombreuses personnes se sont assises aux tables et aux banquettes. Ma capacité de concentration est vraiment à toutes épreuves pour ne pas avoir remarqué ce gros gars visiblement ivre qui rit très fort en tripotant une fille la moitié de son âge. Je fronce les sourcils en constatant que la demoiselle est tout à fait consentante et encourage même les mains baladeuses de l’homme. Je retourne à mon verre. Il est encore bien rempli. Mais ça ne me fait rien, je ne suis pas pressé. En ouvrant de nouveau mon cellulaire pour en remarquer l’heure, je sens une main tapoter mon épaule. Je tourne la tête et croise le regard d’un jeune homme qui doit à peine avoir l’âge de fréquenter ce genre d’établissements. Je lui fais un petit sourire, me doutant de ce qu’il veut. Il est visiblement nerveux, me tendant un papier froissé en tremblant un peu.

-Est-ce que je peux avoir un autographe, svp? Il me demande avec une voix que je perçois très mal à cause de la musique.

Je me penche d’ailleurs lorsqu’il me parle pour ne rien manquer et voilà que j’augmente sa nervosité. J’accepte de lui signer son bout de papier. Je le prends, ne faisant aucun commentaire sur ses doigts froids et humides qui entre en contact avec les miens lorsqu’il me tend aussi un crayon. Je m’installe sur le coin du bar et lui gribouille un petit quelque chose. En lui rendant l’autographe, il insiste pour avoir une photo aussi. Ce genre de chose est beaucoup plus voyant qu’une signature, surtout dans un bar à la lumière tamisé où le flash va se répercuter sur tous les murs. Voyant que j’hésite, il commence à me supplier.

-Mon frère est un grand fan, me dit le jeune homme. Il ne me croira jamais sans une photo.

Ce que je ne ferais pas pour l’amour fraternel. Je consens donc à une photo. Le jeune homme cache difficilement son excitation et vient se positionner plus près de moi. Il ouvre son téléphone et à la brillance d’esprit de désactiver le flash. Il étire son bras pour faire un selfie de nous deux. Je me contente de mon maigre sourire habituel. Une fois la photo prise, il regarde le résultat.

-Elle est bonne? Je lui demande en voyant son air un peu indécis.

Il m’affirme que oui et me remercie avant de repartir un peu plus loin. Je reste avec des doutes. Je ne lui en aurais pas voulu s’il avait voulu reprendre une autre photo. Sa main tremblait beaucoup après tout. Tant pis pour lui, ce n’est pas comme si je n’avais pas proposé. Je retourne à ma bière en me disant que je ne finirais décidément jamais ce verre. Si je me souviens bien, il y a une terrasse dans ce bar. Avec tout ce monde attroupé à l’intérieur, je pense qu’un peu d’air frais me ferait le plus grand bien. J’attrape donc mon verre et me lève du bar. En me dirigeant vers la terrasse, quelques têtes se tournent, mais je garde les yeux au sol. Personne ne vient m’importuner de la sorte. Aussitôt que je suis à l’extérieur, je me sens déjà mieux. L’écho de la musique bourdonne toujours dans mes oreilles, mais la fraîcheur de la nuit soulage ma tête du bruit. J’aperçois une poubelle. Je décide de me débarrasser de cette gomme que je mâche toujours. Je m’en sépare avec tout de même un peu de nostalgie. Je suis content de voir qu’il y a peu de personnes sur la terrasse. J’observe les formes et les lumières des bâtiments de Time Square avec une certaine fascination. Je suis familier avec cette ville que depuis quelques années. Elle me rappelle Londres par moment, comme ce soir alors que le vent frais transperce même ma veste. Je porte le verre à mes lèvres et remarque alors une présence à ma droite. La même qui justement était à ma droite, assise au bar, si ma mémoire ne me joue pas de tour. Je la regarde et lui souris lorsque finalement elle croise le mien.

-Je commençais en avoir marre de l’agitation à l’intérieur, mon accent britannique résonne avant de reprendre une gorgée.

Il semblerait qu’elle aussi trouve un certain réconfort à ne plus être au milieu du chao de l’enceinte du bar. Le calme de la nuit à quelque chose d’apaisant, je trouve. Surtout dans une ville aussi imposante que New-York. Chaque moment de quiétude est le bienvenu.

Abigail était sur la piste de danse en compagnie de quelques copines. Après leur longue journée de travail, elles avaient décidé de se rejoindre ici afin de profiter de la soirée et de se changer les idées. Et la jeune femme en avait grandement besoin! Disons simplement que la journée fut… forte en émotion. Abi avait assisté à l’accouchement d’une femme de son âge, mais il y eut des complications qui coûtèrent la vie à l’enfant. Ce fut elle qui dû lui annoncer la mauvaise nouvelle. Bon sang! Comme elle détestait dire ce genre de choses. Malgré tout, le reste du temps, elle avait essayé de garder le sourire. Au moins, sur la piste de danse, elle pouvait se défouler quelque peu et se laisser aller. La musique infiltrait ses veines, parcourait son corps et s’emparait de son être tout entier. Ses hanches roulaient, son dos se frottait contre celui d’une amie et ses cheveux s’emmêlaient sous l’agitation de sa tête.

Après quelques minutes à danser, elle décida de laisser des amies un moment pour aller se chercher quelque chose à boire. Elle se dirigea donc vers le bar, se faufilant entre les autres danseurs. Passant une main dans sa chevelure de blé, elle replaça quelques mèches rebelles avant de s’asseoir sur l’un des tabourets. « Je vais te prendre une vodka – jus d’orange s’il te plaît » dit-elle à l’adresse du barman. Abigail souffla doucement. Il faisait chaud, dis donc! Elle jeta un coup d’œil derrière elle pour voir ses copines en train de roucouler avec quelques messieurs. Un petit sourire en coin s’afficha sur ses lèvres lorsqu’elle les vit. De vraies dragueuses ces filles. Elle remercia d’un hochement de tête le barman et lui remit son argent avec son pourboire. Assise le dos appuyée contre le comptoir, elle buvait tranquillement sa boisson. À côté d’elle se trouvait un type en train de regarder son cellulaire. Il n’y avait pas de quoi attirer l’attention jusqu’à maintenant. Pourtant, étrangement, un jeune homme, probablement plus jeune qu’elle, vint lui parler et lui demander quelque chose. À cause de la musique, Abi n’arrivait pas à comprendre de quoi ils parlaient, mais… ça l’intriguait. Le type avait gribouillé quelque chose sur un bout de papier avant de prendre un selfie avec le plus jeune. C’était encore plus intriguant.

Lorsqu’elle le vit s’éloigner, Abigail décida de le suivre. La curiosité était un vilain défaut, mais on ne pouvait pas lui en vouloir de prendre de l’air, n’est-ce pas? Elle attrapa sa veste qu’elle enfila malgré la chaleur intérieure avant de se diriger sur la terrasse, son verre toujours en main. Une fois à l’extérieur, elle ferma les yeux et profita de la caresse du vent sur son visage. L’air frais lui faisait définitivement du bien! Et puis, cela lui permettait de se rafraîchir un peu après une danse endiablée. Réajustant sa veste sur ses frêles épaules, elle tourna la tête en direction de l’homme qui semblait populaire de ce qu’elle avait vu précédemment. Leurs regards se croisèrent et un sourire illumina le visage d’Abigail. « Vous n’êtes pas le seul, croyez-moi. Il commençait à faire chaud aussi! » Elle se mit à rire doucement avant de s’asseoir sur une table non loin de lui, croisant ses longues jambes. Elle l’observa un moment, portant son verre à ses lèvres. « Vous n’êtes pas d’ici, je me trompe? » Ce n’était pas un reproche, mais plutôt une constatation. Son accent lui était parvenu à l’oreille. Il était probablement européen, voir britannique. Dans tous les cas, il n’était pas de l’Amérique. Et puis, il fallait bien débuter la conversation d’une manière ou du autre, non? «  Moi, c’est Abigail, mais vous pouvez m’appeler Abi. »

J’approuve d’un hochement de la tête sa remarque sur la température à l’intérieur du bar. Avec la quantité de corps qui danse et qui sociabilise, il n’était pas très étonnant de constater une telle chaleur. Au moins, l’air frais de la nuit est une vraie bénédiction face à cet inconvénient. Elle prend place à une table pas très loin d’où je suis. Je reste debout, accoté à la rambarde, mais je positionne mon corps pour lui faire face. Je ne suis pas asociale. Je sais me montrer amicale, même lorsque je suis épuisé au lendemain d’un Grand Prix. En fait, surtout dans ces moments-là puisque mon corps est comme une épave. Une épave n’a rien de menaçant ou même de très actif. Elle me demande si je suis de New-York. L’évidence me semble assez flagrante, mais je ne peux retenir un sourire.

-C’est l’accent ou la tenue qui vous a mis la puce à l’oreille, je lui demande.

En effet, en plus d’avoir un parlé tout ce qu’il y a de plus londonien, la plupart de mes vêtements sont de style anglais. La veste que j’ai sur le dos en est le meilleur exemple. La découpe rappelle celle des vêtements portés par les mannequins à la mâchoire proéminente des défilés de mode. Je ne suis pas vraiment du genre à faire attention à ce que je porte, mais l’un de mes sponsors adorent m’offrir toutes sortes de vêtements pour que je me montre un peu élégant dans la vie de tous les jours. Je ne partage pas ce besoin, mais je ne peux pas nier que cette veste qu’ils m’ont offerte il y a deux mois est très confortable. Elle se présente ensuite à moi et mon sourire s’agrandit.

-Enchanté, Abi. Je suis Jackson.

Je n’ai pas de surnom qui mérite vraiment que je lui recommande de prendre à la place pour le moment. Mes amis m’appellent Jack. Probablement parce que plus c’est court et plus c’est mieux. Mais si je lui nomme mon vrai surnom, alors là elle va se demander qui Diable en a eu l’idée. Le Téméraire, ça fait un peu prétentieux comme surnom, je trouve. Mais bon, ce n’est pas comme si je l’avais choisi, à l’instar de bien des surnoms. J’observe son visage sous la faible luminosité. Ses cheveux sont d’un blond très doux, malgré l’obscurité qui les teinte. Les traits de sont visages sont également harmonieux et agréables à regarder. Elle est définitivement très belle. Caché sous ma casquette, elle ne peut pas voir grand-chose. Je décide donc de prendre place à sa table et de retirer ce qui dissimulait mes cheveux bouclés. Je passe une main entre eux pour les discipliner un peu et je dépose la casquette sur la table, à côté de mon verre de bière.

-Et je paris que j’ai en face de moi une vraie New-Yorkaise.

Son accent à elle est tout ce qu’il y a de plus américain typique. Non pas qu’il s’agisse d’une mauvaise chose, mais c’était assez caractéristique, même pour un néophyte. J’ai l’habitude de converser avec des gens ayant toutes sortes d’accent : des Espagnols, des Français, des Italiens, des Allemands, des Australiens et bien plus. Le monde de la F1 en est un de grande diversité. Les courses se font à travers le monde, rejoignant toutes les cultures ou presque. J’ai l’habitude du dépaysement. Je prends une gorgée de ma bière en sentant déjà le froid extérieur en changer la température. C’est une bonne chose. Ma longue hésitation à boire mon verre avait finit par réchauffer le contenue. L’alcool est meilleur froid.