I have often tried to be something more | Clea&Elektra

« Vous devez manger. » Par-dessous ses mèches sales et emmêlées, Elektra observe d’un œil torve l’infirmier et le bol de soupe qu’il tient. « J’ai pas faim » finit-elle par dire après un moment de silence. Sa voix est cassée, un peu rauque. « Ils vont vous intuber si vous vous obstinez » Le sourire qui étire ses lèvres gercées ne dénote que le cynisme que lui inspire cette remarque. C’est un nouveau. Elle le voit à sa détermination, les autres ont abandonné. Ils la laissent en isolement, tirent au sort celui qui devra apporter à manger, la conduire à la salle d’eau ou l’amener à son rendez-vous avec le psy qui lui a été attitré. Lui, il revient, depuis quelques jours, ou peut-être depuis ce matin seulement, elle n’a plus la notion du temps. Il a cette même étincelle dans le regard et non le morne agacement des autres. Pas non plus cette la crainte ou le dégout qui lui donne envie de leur arracher les yeux. Elle se redresse sur sa couchette, essaie de bouger ses bras endoloris dans sa camisole. « Vous pouvez me détacher ? » demande-t-elle de sa voix la plus faible, il hésite un peu, il n’est pas stupide, mais comme tous les internes il a entendu ses hurlements. Des cris de terreurs, glaçants. « Je ne peux pas. » finit-il par dire. Elle a tué beaucoup de monde, c’est ce qu’il se murmure dans le personnel. Elektra s’adosse contre le mur, elle a l’air épuisé, pas vraiment une menace. Elle ne mange pas, elle ne dort pas. « Ils parlent d’utiliser les électrochocs, vous savez. » Elle hausse les épaules, l’air profondément désintéressée par la nouvelle. « Ca le fera peut-être partir » Il a l’air embarrassé. « Le démon ? » son expression triste agace Elektra, parfois elle doute de sa santé mentale, parfois elle se fit qu’elle n’est pas mieux que la vieille folle en face qui envoi sa merde sur les infirmiers. « On vit dans un monde ou un dieu nordique à la tête d’une armée alien attaque le monde, mais on ne peut toujours pas croire que les démons existent » énonce-t-elle presque tranquille. « Vous pouvez peut-être considérer que votre esprit a inventé ça pour se  défendre contre un plus gros traumatisme. » Ah oui, cette théorie. Son psy ne cessait de vouloir lui faire parler de son enfance. De son père surtout. Ça la plongeait dans une rage noire et l’imbécile pensait tenir quelque chose. Elle fit la moue, puis après un temps de réflexion, demanda  pince sans rire : « Le dieu nordique ou le démon ? » Il s’autorisa à sourire puis tendit le bol « S’il vous plait ? » Elle acquiesça d’un signe de tête silencieux et emprunte d’une mauvaise volonté affectée se laissa nourrir de soupe fade et tiède.

Ce fut ce même tout jeune homme qui revint jour après jour. Entrecoupant l’inhumanité admise de son traitement. Interrogatoires stériles, séances douloureuses, examens dégradants. Et il y avait cet être humain qui la considérait comme un semblable. Il lui donnait la date et l’heure. Parfois elle restait prostrée dans sa terreur, parfois elle divaguait « Tu sais pourquoi je hurle ? » l'interrogea t-elle un jour « C’est pour ne pas l’entendre. Il joue avec ma tête. » Elle pencha un peu la tête, les sourcils froncé une expression un peu douloureuse, gêné par un bruit qu'elle seule pouvait entendre. « Il veut que je pense que je suis folle, que j’abandonne. Que je m’abandonne ». » Quand elle était en état de parler, il déposait le plateau et restait un peu plus longtemps, ils discutaient de sa folie et de l'humanité. Il était jeune et idéaliste et quand il parlait elle se sentait déjà vieille et fanée. Chaque jour, elle lui demandait de la détacher. Un jour, il le fit. Il la laissa manger dignement. La première chose qu’elle fit fut de passer sa main contre sa nuque. Elle pouvait sentir la petite cicatrice derrière laquelle se trouvait l’infâme puce qu’on lui avait collée après l’avoir vaccinée. Elle mangea en silence, il l’observait avec affection. « Je suis désolée tu sais. » dit-elle lorsqu’elle eut avalé la dernier morceau de brioche un peu rance qu’on qualifiait ici de dessert. Son expression neutre était perturbante. « De quoi ? » finit-t-il par demander doucereusement, après quelques instants à se toiser en chien de faïence « Que ce fils de pute t’ait eu. » annonça-t-elle presque trop calmement, en se saisissait de son plateau. Le bord heurta son nez et elle en profita pour se ruer vers la porte, qu’elle frappa frénétiquement de ses poings. Le corps du jeune infirmier tomba mais son ombre au mur se déforma, prenant de l’ampleur. L’ombre devient grouillante, des blattes s’en échappaient, courant sur les murs et sur le sol. Elle entendit des bruits de pas précipités et se décala sur le côté.

Elle était étonnement calme. Elle avait su, au moment où il l’avait détaché. Elle avait su. Elle évoluait comme dans un très étrange rêve, elle ne ressentait rien. Aucun dégout des blattes qui courraient sur ses pieds nus, aucune terreur face à l’ombre qui s’approchait. Elle attendait jusque la porte s’ouvre. Ils étaient deux. Le plateau heurta si violemment la trachée du premier qu’il tomba à genoux les mains contre la gorge, elle repoussa le second en s’accrochant à la chambranle de la porte et en projetant ses jambes contre son torse. Il tomba à la reverse et elle profita de son élan pour courir, poussant malades et personnels qui se trouvait sur son chemin. Impassible et implacable. Elle dévalait les escaliers, sautant les marches. Fuir, fuir plus vite. Au rez-de-chaussée, ils étaient plus nombreux. Et ils avaient des armes. Pourtant elle n’hésita pas une seconde, elle s’élança sur le premier. Révélant une adresse et une puissance que ne supposait pas ses traits tirés et sa pâleur cadavérique. Elle subtilisa une arme et tira deux balles, l’une se ficha dans un genou, l’autre déchira le creux d’un bras. Elle fut dehors. Elektra courut, traversa le parc joliment entretenu de l’institution gouvernementale. Escalada le portail et courut encore, jusqu’à ce que sous ses pieds nus elle ne sente plus le goudron chaud de la route ensoleillé mais le tapis frais et inconfortable de la forêt dans laquelle elle s’enfonça aveuglément. Une forêt dense. Les ronces venaient entaillés ses jambes nues et se prendre dans la blouse beige qu’elle avait pour tout vêtement. Elle ne s’arrêta que lorsque son chemin croisa celui d’un vieil homme, un promeneur dont l’expression sereine s’évanouit face à la froide placidité de la femme à l’allure folle qui braquait son arme entre ses yeux.

Il est terrorisé le vieil homme. Il ne comprend pas. La femme face à lui est effrayante, ce n’est pas l’arme, c’est son regard. Un regard aussi noir, vide celui d’un prédateur acculé. Il prie silencieusement son Dieu. Elle sait qu’il n’est pas une menace, mais elle est épuisée. L’ombre d’elle-même. La vengeance dans le cœur, a un coup de feu de se laisser sombrer dans le plus parfait cynisme, elle le regarde sans le voir. Une seule idée tourne dans son esprit : leur faire payer à tous. Trouver un moyen, n’importe lequel, de détruire ce démon et tuer chacune des personnes qui se dresseraient entre elle et cette mission. Détruire La Bête, détruire Sa Main.

Le vent balaie ses cheveux sales et emmêlés. Droite et immobile, elle frémit à peine quand, surgit du néant une femme se dresse soudain. Comme si elle s’y attendait, sa main se resserre contre le métal de l’arme, la jointure de ses doigts est blanche tant elle est crispée dessus. Elle est belle,  semble douce cette femme mais surtout, elle n’a pas peur d’elle. Ce dernier point la sort de son étrange léthargie, ça l’inquiète. Elle recule quand la femme commence à parler. Elle connait son prénom. Il y a longtemps que personne ne l’a prononcé avec une telle douceur. Elle l’écoute, la dévisage. Dans son regard passe un éclat de colère, bien sûr qu’on lui fera du mal. Ca n’arrête pas, ça ne s’arrêtera pas tant qu’elle n’aura pas tué jusqu’au dernier des larbins de cette foutue bête. Elle a fini d’être une esclave inconsciente. Alors bien sûr qu’on lui fera du mal, elle rendra coup sur coup. Elle se jettera dans la gueule du loup si elle est persuadée de pouvoir la lui transpercer au passage.

Le vieil homme s’éloigne, après que la femme ait parlé, ait utilisé un don jedi. Elektra a un rictus, le dernier magicien qu’elle a rencontré l’a trahit. Elle sent un picotement dans son esprit et un écho venu du passé la sermonne. C’est la voix de Stick qui lui dit qu’elle ne sera jamais capable de fermer son esprit. « Sors de ma tête » sa voix est un souffle glacé, elle baisse les yeux vers cette main et les relèvent immédiatement vers son visage. Elle est méfiante, elle a peur, mais elle n’a pas tiré. Cette femme, elle s’en souvient. Clea Strange. Si Clea est une des très rares personnes, peut-être même la seule qui se soit montrée bienveillante envers elle, Strange est l’une des trop nombreuse personne a l’avoir jeté en pâture aux fauves. « Tu ne te souviens pas de moi mais je ne te veux aucun mal, Elektra. Je peux te conduire loin d’ici, là où personne ne te retrouvera. Je peux t’aider. Fais-moi confiance. » Machinalement ses doigts viennent se poser contre la cicatrice à l’arrière de sa nuque, son sourire est une grimace de colère « Qu’est-ce que tu me veux alors ? » demande-t-elle sèchement. « Ils m’ont pucé, comme une chienne. » elle crache les mots avec dégout. « Ils savent déjà ou je suis, c’est juste qu’ils ne sont pas encore là. » Il n’y a que le bruissement des feuilles et les pas lourds du vieil homme qui s’éloigne et qu’elle perçoit parfois encore entre deux arbres. Elle guette le bruit d’une escouade ou le vrombissement d’un moteur. Elle les tuera tous. Tous ceux qui veulent la remettre en cage. « Ou peut-être que si. » termine t-elle, accusant implicitement cette femme surgit de nulle part, surgit du passé.

Elle ne veut pas faire confiance à cette main tendue. Elektra ne supporterait pas une nouvelle trahison, elle préfère se murer que de croire en une hypothétique bienveillance. Pourtant elle se souvient. Le velours du tissu du canapé, le sucre du bonbon, le parfum délicat des orchidées. Sa gentillesse. Elle était si petite alors, une enfant qui avait déjà du sang sur les mains, déjà traitée comme une guerrière. Mais au creux de cet immense canapé, un gout chimique de cerise trop sucrée dans la bouche et face à l’expression affable de Clea, elle s’était autorisée un sourire. Un instant fugace de légèreté comme si elle s’était souvenue à cet instant ce que c’était que d’être une enfant. Un coup d’œil à Stick et la petite Elektra s’était renfrognée à nouveau. Elle ne savait pas pourquoi ils étaient venus ici et elle ne le comprit qu’à cet instant, au milieu de cette forêt. Elle avait toute les pièces depuis longtemps mais elle n’avait jamais pris la peine de les assembler. Elle n’avait pas eu le temps, trop occupé à fuir à mourir et à fuir encore. Stick l’avait amené aux Strange pour savoir ce qu’elle était. Puis il l’avait abandonné à une famille en recherche d’un enfant à adopter, pour qu’elle soit cachée, dans une famille honteusement riche pour qu’elle ait la meilleure des éducations. Qu’il ne la tue pas dans l’instant était la seule preuve de l’affection véritable qu’il avait eu pour elle enfant et le fait qu’il essaie de la tuer plus tard n’était que le signe d’un retour à la raison. Elle ne l’en haïssait pas moins, mais aujourd’hui elle le comprenait enfin. C’est un début. Elektra baisse l’arme, mais n’en demeure pas moins méfiante, prête au moindre geste brusque à attaquer ou à s’enfuir.

‘Je ne suis plus une enfant Clea’ pensa-t-elle sans le dire, son expression toujours revêche. Elle ne veut pas la blesser, ni même la combattre, elle veut juste qu’elle parte. Elle se sent vulnérable face à elle, ses mots doux et sa gentillesse presque maternelle et ça lui était intolérable. Elle n’était plus une enfant, ni un animal sauvage ayant besoin d’être apprivoisé. Elle devait juste avancer, ignorer cet obstacle, avancer et préparer une revanche envers ses ennemis, abattre un démon, elle n’avait pas de temps pour la douceur d’un sourire ou une aide bienveillante. Les laisser venir et les massacrer pour apaiser dans la violence et le sang la rage et la honte qui la consumait. « Je n’ai pas peur. » affirma-t-elle d’un ton glacial, trompeuse dans sa certitude « Je suis furieuse. » ajouta t-elle. Dans son regard brulait une folle flamme destructrice. « Je les veux morts. » Tous ceux qui lui avaient fait du mal, tout ceux qui lui avait imposé un destin, il n’y avait plus de place dans son cœur pour autre chose que la haine et la revanche et elle sentait Clea tenter de repousser tout ça, la ramener sur un chemin plus sain lui offrir peut être même un repos, un temps calme.

L’idée s’infiltre : se laisser aider juste une fois, se laisser aider sans manipuler, accepter une main tendue. Puis vole en éclat tranchant, déchirant le tissu du rêve pour la ramener à une réalité dans laquelle le son de moteurs puissants annonce l’arrivée de ses gardiens. Elle fait volteface, prête à les affronter, peu importe combien ils sont. Que risque-t-elle après tout ? La mort ? Elle connait le chemin pour Helheim, cette fois-ci elle ne laisserait personne la ressusciter elle s’arrangerait pour que son corps ne soit plus récupérable. Elle relève son arme mais c’était sans compter Clea qui la saisit elle ouvre la bouche pour probablement lui crier dessus, lui ordonner de la lâcher, mais ses morts meurent dans sa gorge quand elle sent la désagréable sensation d’une téléportation.

Le décor a changé et Elektra tombe au sol, déséquilibrée, malade de ce déplacement magique. Elle prend une inspiration pour tenter de calmer la nausée, les mains crispées sur le tapis. Le révolver a rebondit plus loin. Elle relève la tête vers Clea, furibonde derrière ses mèches emmêlées qui retombent anarchiquement sur son visage : « Et qu’est-ce que va dire Stephen ? » demande-t-elle, cynique. Elle a reconnu cet endroit, ce lieu de son enfance, le manoir des Strange. Pour le moment le docteur n’est nulle part visible et c’est tant mieux. Un cliquetis la surprend et elle tourne la tête pour voir arriver un chien un peu pataud, le son est celui de ses griffes sur le plancher. L’absence d’agressivité chez l’animal la fait se désintéresser de lui. « Tu m’as téléporté avec ma puce. Qu’est-ce que tu vas faire quand ils vont venir toquer à ta porte pour embarquer ton mari pour trahison. » Elle se redresse, péniblement, le chien s’est approché pour la renifler, elle sent la colère, elle sent le désespoir. « Pas qu’il ne le mérite pas. » Sa voix claque sèchement. Le chien a baissé ses oreilles il s’est reculé en jetant à sa maitresse des regards inquiets, pas assez brave pour s’interposer, pas assez lâche pour fuir. Elektra ne veut pas faire de mal à Clea, pas physiquement, sa colère n’est pas adressé contre elle, mais contre tout le reste.

Sa tête tourne un peu, elle a déjà expérimenté la téléportation elle sait que ça va se dissiper, ça n’en est pas moins désagréable. Elle toise Clea, chasse de son visage les mèches qui obstruent sa vision, elle sait au fond d’elle que celle-ci veut vraiment l’aider et elle a probablement besoin de cette aide mais elle n’est pas prête à l’accepter, pas prête à croire cette femme et ne pas imaginer le pire. La captivité et l’interrompu flot d’informations et d’événements qui se sont abattus sur elle ces derniers mois ont eu raison du peu de confiance qu’elle pouvait offrir, tout le monde est un ennemi potentiel. Le gentil aide-soignant, le bon docteur qui l’a pourtant aidé, la femme de celui-ci. Pourtant, elle tend à la croire, peut-être parce qu’elle est épuisée, qu’elle veut croire qu’il y a endroit en ce monde ou aucun démon, aucun suppôt du gouvernement ne peut l’atteindre. Celle-ci n’allait pas la séquestrer si elle tentait de partir, elle en était presque certaine, mais Elektra n’avait pas fait un pas vers la sortie ou même fait mine de la chercher, son regard n’avait quitté Clea que pour regarder son chien. « Il est où ?» elle parle de Stephen, s’attend à le soir surgir du néant à tout moment, elle se tourne un peu, elle a repéré un certain nombre d’objet qui peuvent tenir lieu d’arme tout à fait efficace pour faire gouter à ce traitre l'impact de ses actes, le poison de sa haine.

De repos. Il y a tellement de rage qui pulse dans ses veines, qui brulent ses muscles de se perdre dans une violence revancharde, qu'elle ne sait pas si elle pourra trouver le sommeil avait d’apaiser cette haine qui l'irradie. La haine qui la fait tenir debout droite, la haine qui lui a permis de se trouver un but pour ne pas simplement se laisser aller à une folie tentante dans sa cellule. S'abandonner. Abandonner.  Une part d'elle à envie de croire en ce que Clea lui dit, une petite part infime qui a les échos de l'enfance. On l'a trop trahit cependant et le dernier traitre en date est ici, elle n'a plus la force de croire, ni même l'envie. Elle entend Clea lui faire la morale, mais elle s'en moque, elle est en colère contre un paquet de gens et tous l'ont mérité, un paquet de sales personnes et quelques d'héroïques égoïstes, ceux qui font leur job sans se demander ce qu'il se passe une fois qu'ils sont rentrés.

Elle toise Clea, elle remarque qu'elle est enceinte, Elektra sourit mais il n'y aucune joie chez elle, un cynisme froid. Elle n'a jamais pensé aux enfants, c'était tellement loin de sa vie, puis on lui a annoncé qu'une prophétie débile annonçait qu'elle devrait être génitrice pour un être qui la tuerait en naissant. Un être qui mènerait à l'apocalypse. Son regard passe de son ventre tendu à son visage. Ceci ne lui arrivera jamais. Ceci ne doit pas lui arriver. Elle plantera un saï dans son ventre plutôt que de donner naissance. Soudain il y a un bruit à l'étage, Elektra s'élance dans le hall, attrape au passage un lourd chandelier qu'elle serre dans sa main, elle est rapide, agile, elle ne pense à rien. Elle veut juste le confronter, jaillir, l'attaquer, elle ne réfléchit plus, elle n'est que pulsion. Ses pieds nus silencieux sur le tapis, quand la magie la heurte de plein fouet. Clea tombe sur son dos, littéralement et Elektra peu encline à se laisser maitriser une fois encore par qui que ce soit, la repousse un peu brutalement. Elle entend le fracas des livres sans le voir. Elle s'en fout, elle court l'esprit obnubilé par la présence nouvelle, celle de Strange, ou celle d'un renfort quelconque. Elle veut se battre, elle veut s'enfuir. D'un coup, elle ne contrôle plus ses jambes et pousse un grognement de rage en chutant dans l'escalier, se rattrapant d'une main à la rampe.

Elle dévisagea Clea, pour qui se prenait-elle ? Sa mère. Elle n'est pas une petite fille. "Tu m'as téléporté ici. Qu'est ce que tu voulais ? Qu'on prenne un thé en parlant du temps d'avant ?" Sa voix est basse, douceureuse, elle sait que ça ne sert  rien de se débattre, sa magie est puissante. Elle tremble un peu, c'est la rage, elle pleure un peu, c'est la peur. "J'ai tellement de rage en moi que je pourrai te tuer Clea." avoue t-elle sourdement, c'est de ça qu'elle a peur, devenir un monstre. "Des semaines que je suis enfermée dans une pièce qui doit faire la taille de ton placard à chaussure" crache t-elle en regardant autour la vaste et luxueuse demeure. "Je ne veux pas de repos, j'ai pas le temps de me reposer. J'ai une puce dans la nuque et  un démon dans mon ombre"  Elle saigne un peu à la lèvre, sa mâchoire a heurté le sol plutôt brutalement quand elle est tombée. Elle a mal, mais elle a mal plus ou moins partout. "Tu veux que je me calme ?" Elle a un rire sinistre et dégage ses mèches qui sont à nouveau retombées devant son visage. "Comment ?" Les jointures de ses doigts sont blanches autour du chandelier, il y a quelques secondes elle a entendu des bruits de pas, ceux de Strange. Il est dans ce qui doit être un couloir, elle n'a aucune idée de s'il a entendu la conversation, elle s'en fout. Elle se fout de tout sauf de sa haine. Peut être qu'elle veut que Clea la haïsse aussi. Elle ne veut plus de promesses de mieux, la dernière fois qu'elle a essayé d'y croire elle en est morte. Encore quelques pas, vivement elle pivote et lance avec une précision son lourd chandelier en direction du nouvel arrivant. Elle a visé fort, elle a visé la tête, elle suit du regard sa progression tournoyante avec une satisfaction presque palpable.

Le chandelier le heurte, moins fort qu’elle ne l’aurait voulu, Clea accourt et ça, ça énerve Elektra. Tout est prompt à nourrir la rage qu’elle a au fond du ventre et qu’elle contrôlait le temps de sa captivité. Ne pas se laisser bouffer par elle, ne pas donner au démon ce qu’il voulait était plus important que ses sentiments, plus important qu’elle. Sauf qu’elle est face au responsable de sa captivité et elle n’est pas encore prête à interagir avec le traitre qui l’a mis en cellule. « Il a fait ce qu’il pensait être le mieux pour toi, tu étais malade, que t’attendais-tu à ce qu’il fasse ? Qu’il te laisse mourir… » « Ca aurait peut-être été mieux », Elektra n’écoute pas le reste, elle est incapable de rationaliser les derniers événements et que Clea le lui demande la frustrait, parce qu’elle ne voulait pas blesser Clea, mais elle voulait vraiment qu’elle se la ferme. Tout est prétexte à accroitre sa colère, Stephen qui joue les martyrs et Clea les saintes protectrices. Les injonctions à se calmer et les raisonnements moralisateurs. Elle les fusille du regard tous les deux, toujours coincée par ce sort, appuyée sur un bras elle tremble de rage. Une rage qui n’est plus tout à fait la sienne. Le bon docteur a raison, la Bête est toute proche, elle la sent planer, gratter à la porte de son esprit. Elle entend les paroles de Clea et elles ne font qu’alimenter ses frustrations, la Bête susurre, elle ronronne, elle balaie le sort de Clea et soudain Elektra est debout. Elle ploie, son regard rougeoie d’un éclat surnaturel.  « Pas tout de suite fille d’Umar » crache-t-elle, ce ne sont pas ses mots et sa voix même porte l’écho d’une autre, plus désincarnée, ancienne et monstrueuse. La Bête n’est pas là, mais le lien qu’elle a patiemment tissé pendant la captivité d’Elektra lui permet de parler à travers elle, d’inciter ses actions. Toutefois, il y a ces sorciers qui pourraient la blesser et La Bête ne peut pas prendre de risque. Pas plus que celui de perdre le contrôle qu’il a réussi à grappiller. Il faut qu’elle quitte ce lieu, fuir. Fuir, tout le lui hurle, mais elle reste statique, les poings serrés, les ongles plantés dans les paumes.

Elektra lutte. Elle est épuisée, il ne faut pas qu’elle cède à ses impulsions. La demeure des Strange est naturellement protégée contre les invasions d’ordres magiques. Elektra est une faille par laquelle La Bête s’infiltre, mais elle ne lui laisse pas assez d’espace, la tentation d’abandonner est puissante mais ne vient pas d’elle. Un moment elle oubli le couple de sorcier, elle a besoin de se concentrer, sur autre chose que la voix, sur autre chose que les émotions exacerbées et factices. Elle avait tenu bon ce n’était pas pour échouer ici, pas maintenant qu’elle était libre et qu’elle pouvait envisager une revanche. Travailler à un plan pour se sortir de l’absurde prophétie de quelques satanistes illuminés quitte à ce que ça passe par une opération définitive. Elle ne s’était jamais vue élever des enfants dans une banlieue pavillonnaire et bien que son esprit se rebelle contre le fait de ne pas avoir le choix, force est de constater que la maternité n’est pas quelque chose qu’elle s’imagine regretter. Ce n’est cependant qu’une partie du problème. La Bête ne la lâchera pas, elle la harcèlera, elle tuera le peu de personne qu’elle considère comme proche. Il faut la bloquer, pas la tuer, on ne tue pas ce qui n’est pas vivant. Tandis qu’elle réfléchit, se concentre sur des faits, tente mécaniquement de chercher des solutions, elle n’a même pas eu conscience de retomber, même pas eu mal quand son coude a heurté une marche. A demi adossé contre le mur, une jambe pendante en travers des marches, l’autre pliée dans un angle peu naturel, pantin désarticulé, elle reprend conscience de son environnement. Un instant son esprit s’est dissocié, un instant de relative lucidité et maintenant elle réalise qu’elle a mal partout, qu’elle est dans un état pathétique. « J’ai besoin d’une douche » elle regarde face à elle, les moulures de la rampe, le retour à la conscience est profondément désagréable.

Elle ne veut pas les regarder, elle a peur de ne pas se maîtriser, elle ne sait même pas si elle peut se relever sans que ses jambes ne la lâchent, une main crispée contre une marche, l’autre contre le tissu de sa chemise d’hôpital tachée de sang et de poussière. Elle n’ose même pas bouger, elle tremble, le choc, l’épuisement physique et morale. Si elle bouge tout vas s’effacer, si elle bouge elle va se réveiller dans sa cellule, c’était un rêve ou un cauchemar elle ne fait plus bien la différence. Elle souffle. C’est pas un épisode psychotique, elle a trop faim pour que ça soit un épisode psychotique. La bête n’est plus là, elle ne l’entend plus, elle l’a repoussé, les protections magiques ont forcément joué mais elle l’a repoussé, elle a repris le contrôle, c’est un petit espoir, infime pour le moment mais elle l’inscrit dans ses plans.