You running again | Wolverine&Rogue

Un dernier regard à la carte et Rogue laissa un billet sur la table du dinner avant d’engloutir le dernier morceau de l’épaisse tarte. Il lui restait encore quatre heures de vol. Rogue avait passé la frontière canadienne un peu plus de deux heures auparavant. Elle avait survolé les grands lacs et admiré la calme majesté des montagnes. Elle a toujours aimé le Canada. La petite fille du sud qu’elle était avait souvent rêvé des hivers enneigés et des paysages glacés. Mais Rogue n’est plus une petite fille et la plupart de ses rêves enfantins sont morts, pourtant en volant à travers les paysages qu’elle observait sur le papier glacé des brochures touristiques, elle ressentait une nostalgie agréablement cotonneuse. Cependant, elle n’avait pas le temps, ni même l’envie de s’attarder.

Elle ne fuyait rien, pas cette fois. Elle était à la recherche d’un ami qui lui avait fuis. Un très bon ami, un mentor, un complice. Dès qu’elle avait appris que Logan avait claqué la porte de l’institut, tardivement donc puisqu’elle avait claqué cette même porte quelques temps auparavant, Rogue avait pris son envol. Direction le Canada, direction une cabane paumée au fin fond des bois. Elle y était déjà allée. Une seule fois. Rogue n’avait aucune idée depuis combien de temps il avait cet endroit, elle savait juste que c’était le sien. S’il était parti, c’était pour s’y terrer. Et elle était certaine de cette assertion à presque cent pourcent. Elle espérait, vraiment, qu’il y soit. La dernière fois qu’ils se sont croisés, les circonstances étaient affligeantes. Ils ne s’étaient pas battus, et elle était soulagée que la situation ne leur ait pas laissé le temps de se demander s’ils allaient avoir à le faire. Elle avait beaucoup de regrets, de frustration et de colère à propos de ce sauvetage désastreux. Elle ne songeait pas qu’elle aurait à affronter si tôt ses anciens compagnons. Elle n’avait pas rejoint la confrérie parce qu’elle détestait les x-men, elle avait rejoint la confrérie parce qu’elle voulait se battre sérieusement contre le registration act, parce que Magneto, cette fois, avait eu raison.

Elle filait à travers les courants frais, ne transportant rien d’autre que son inquiétude, le départ de Wolverine ne signifiait rien de bon pour l’institut et malgré la rancœur qu’elle avait contre Scott qui n’avait pas hésité une seconde avant de tirer sur elle, Rogue ne souhaitait aucun malheur à ses habitants, ni ne désirait voir l’équipe, leur équipe se dissoudre un peu plus sous les assauts répétés de gouvernants peureux et racistes. Mais elle n’avait aucune leçon à donner, elle avait claqué la porte la première. Elle avait fui, la confrontation et un petit ami et s’était plongée à corps perdu dans la lutte. Elle s’était gorgée des impulsions révolutionnaires des confréristes. Rogue avait la révolte dans le sang, elle l’avait toujours eu. Contre l’autoritarisme, contre ses représentants. Depuis le premier flic qu’elle avait cogné parce qu’il l’avait attrapé en train de chaparder de quoi manger, jusqu’à son statut de criminelle recherchée, elle n’avait jamais hésité à contester le pouvoir. Ce n’était pas pour rien qu’elle avait été très tôt renommé Rogue. Ce n’était pas pour rien que les ennuis lui collaient à la peau.

Elle survolait depuis quarante minutes la cime des arbres, elle n’était plus si loin. C’était ici, perdue et oubliée que ce trouvait la planque de Logan. Elle vit enfin la bâtisse et amorça sa descente. La dernière visite ici, qui avait également été la première, lui semblait remonter à une éternité. Peut-être trois ou quatre ans. Le temps des héros semblait à la fois filer et s’étirer à l’infini. Combat après combat, ils se voyaient vieillir et une année pouvait leur en sembler dix. En tout cas, c’est ainsi que le ressentait Rogue lorsque ses pieds se posèrent sur le tapis de feuille et d’herbe que recouvrait la clairière et que lui faisait face la cabane. Elle chassa ses mèches emmêlées par le vent et les heures de vol et prit une inspiration. S’il était là et elle s’attendait à le voir surgir, il devait déjà l’avoir entendu. « Logan ? » demanda-t-elle hasardeusement avant de frapper fermement à la porte. Il lui manquait ce bourrin. La nouvelle de son départ lui avait fait l’effet d’une douche froide. Elle ne l’avait pas vu après qu’elle se soit réveillée à l’infirmerie de l’institut, miraculeusement en vie après que le x-jet ait explosé. Elle avait fui aussitôt qu’elle l’avait pu. Alors que s’il y avait une personne à qui elle aurait pu parler, c’était à lui. Lorsqu’il apparut son visage s’éclaira. « Je savais que tu serais ici ! », s’exclama-t-elle victorieuse et soulagée, un sourire aux lèvres.  

La bière réceptionnée Rogue la décapsule. Elle sourit à Logan, un sourire en coin, un sourire un peu soulagé. Certaines choses ne changent pas, malgré tout le reste. « T'en as fait du chemin pour venir jusqu'ici. Ça doit être important ». Elle penche un peu la tête, nonchalante, ses cheveux tombent un peu devant son visage et elle les rabat en arrière, amusée par son ton. « J’suis venue que pour ton horrible bière » plaisante-t-elle en prenant une gorgée. Son regard balaie le refuge, alors qu’elle vient appuyer ses avant-bras sur le bar contre lequel il est appuyé. « Comment ça se passe à New York ? ». Elle boit une nouvelle gorgée, se tourne à demi vers lui. « J’sais pas. Pourquoi tu viendrais pas voir ? » Rogue l’observe, il n’y a aucune accusation dans sa voix, mais une curiosité mêlée de malice dans son regard.

Elle se souvient, ça n’a pas été facile au début. Ils ne sont pas devenus amis sitôt qu’elle eut quitté la confrérie. Il avait fallu du temps pour que leurs sales caractères respectifs trouvent à s’accorder. Elle avait eu un crush sur lui. Un truc un peu idiot, un peu mignon, un truc de gamine. C’était passé, parce que ça le devait. Elle se hisse sur un tabouret, ses jambes sont un peu raides après les heures de vols. « C’est de pire en pire. J’ai failli me faire arrêter en allant boire un café. » annonce-t-elle presque tranquillement, mais son expression est fermée, elle est inquiète. « Entre ce foutu virus qui rend tout le monde paranoïaque et le PC qui encourage presque la haine contre tout ce qui sort de leur cadre… » Machinalement elle décolle l’étiquette de la bouteille. Elle a eu du bol ce jour-là. Ils étaient mal préparés. Maintenant elle est fichée. Elle est passée d’héroïne à terroriste. Impossible de mettre le nez dehors en toute impunité. Confrériste confirmée, sa mère serait fière, songe-t-elle avec une pointe d’amertume qu’elle s’empresse d’écarter, elle n’a pas le temps de penser à Mystique. « Le climat à New York est nauséabond. » conclu-t-elle après quelques secondes.

Elle demeure un peu songeuse, puis revient sur son arrestation. « J’ai pu m’enfuir assez facilement tu sais, et il y’avait tous ses gamins avec leurs téléphones, en train de filmer la scène. Peut-être qu’ils pensent que c’est fun, peut-être qu’ils prévenaient juste d’autres flics. Je les tous haïs tellement fort à ce moment. J’avais l’impression qu’on était un genre de freakshow ». Elle avait broyé un téléphone dans sa main pour passer ses nerfs sur quelque chose, avait menacé le reste de la foule, mais c’était le cri déchirant d’Agony qui avait fait fuir tout le monde. « J’ai l’impression qu’on régresse. Les humains contre les mutants. Les mutants contre les mutants. » Tout le monde se déchirait. Cherchant des coupables et des traitres.  La confrérie et l’institut qui avait pourtant quelques fois unis leurs forces étaient à nouveaux ennemis.

Leur précédente rencontre avait cristallisé les colères et les rancœurs. Leur dernière rencontre, elle l’avait suffisamment ressassé. Elle était passée par tous les stades. Elle fronçait un peu les sourcils, le regard baissé vers le bar sur lequel elle pianotait du bout de ses doigts gantés, elle n’avait encore évoqué avec aucun résident ou ex-résident de l’institut le fiasco de la laborieuse exfiltration de Niall. Elle ne l’avait pas fait, parce que Rogue ne se sentait jamais le besoin de se justifier. Ils s’étaient pris une soufflante de la part d’Erik. Elle, y avait échappé. Mais face à son mentor, elle se sentait le besoin de se justifier, mais elle était trop fière pour lancer ce sujet-là. Et puis tout ça lui paraissait déjà lointain. Inévitable aussi, puis que c’était, selon Rogue, cette stupide confrontation qui avait mis en exergue l’état de déliquescence des relations mutantes qui s’étendait, en démontrait la présence de Wolverine loin du centre névralgique. « Pourquoi t’es ici Logan ? » demande-t-elle finalement relevant le regard pour capter le sien.

Elle entend toutes ses raisons, toutes ses justifications pour lesquelles il a dû fuir, mais elle ne les comprend pas. Jusqu’à ce qu’il en vienne au sujet de Scott. Elle le dévisage, comme s’il était en train d’énoncer une plaisanterie d’un goût particulièrement douteux. Sa colère contre leur ancien leader s’accroit exponentiellement. Qu’il l’attaque parce qu’elle n’est plus dans le même camp, sans même chercher à comprendre est déjà un motif suffisant pour lui en vouloir, mais faire pucer les étudiants qu’il est censé protéger, ça dépasse tout. La bouteille qu’elle tenait se brisa sous la pression qu’elle exerça, le fond de sa bière se déversa sur son jean et sur le sol. « Merde ! » Rogue jure en frottant machinalement sur la tâche. « Peut-être que tu pourrais commencer par poignarder Scott » dit-elle pince sans rire, plus choquée par cette révélation que par l’éclat de verre qui, a transpercé son gant et s’est fiché dans sa paume. Elle l’ôte presque distraitement en contournant le bar pour récupérer de quoi nettoyer. Son esprit est bloqué sur cette information : l’institut a officiellement décidé de faire pucer ses étudiants. Et puis, constate-t-elle rapidement après avoir retiré son gant, l’entaille est petite. « Il a perdu tout sens commun » dit-elle toujours incrédule.

Elle n’a jamais partagé avec Scott la même complicité qu’avec certains autres des occupants de l’institut. Un peu trop boyscout pour elle, mais elle le respectait, jusqu’à aujourd’hui en tout cas ou sa décision lui semble être la pire des trahisons. Ça lui fait mal. Elle a la certitude que l’institut est terminé, c’est douloureux, comme perdre un proche, perdre une partie des espoirs qui lui reste en l’avenir. Rogue relève son regard un peu trouble vers son ami. « Tu dois revenir. Que Scott aille se faire foutre. On a plus besoin de gens comme toi que de gens comme lui. Tous ses gamins qui vont se faire virer, ceux-là, ils vont terminer à la confrérie et ils sont trop jeunes pour se battre. Il leur faut un endroit » Tout se bouscule dans son esprit. Rogue a vécu à la rue après qu’elle se soit fait virer de chez elle. Elle sait ce que c’est que d’avoir faim, d’avoir froid, d’être perdu et d’avoir peur de ce qu’on est. Beaucoup trop de jeunes mutants le savent. C’est Mystique qui l’a sorti de là, elle est reconnaissante de cette partie-là, même si elle lui en veut pour toutes les mauvaises décisions qu’elle a prise sur ses conseils. C’est à l’institut qu’elle a pu se construire réellement. Un institut qui est désormais une succursale du gouvernement. Elle a la nausée.

Tout est devenu tellement compliqué, tellement rapidement. Mais il y a Wolverine, qui se tient comme un roc dans la tempête, qui n’a pas tourné le dos à ses principes. Ils sont où, les valeureux X-Men, toujours prêts à défendre les injustices ? Pucés et tremblants derrières leurs murs de pierre, à genoux à prier que le pire n’arrive pas sans chercher à le combattre. Elle est en colère. Non elle a la rage. Elle se lit dans l’éclat tranchant de ses yeux verts. Elle se demande ou est Marian, cette amie précieuse. Elle se demande ce que font Hank, Emma ou Ororo. Elle se demande si elle doit les appeler traîtres ou lâches.

Machinalement, elle a attrapé de quoi nettoyer ses dégâts. « Il leur faut un endroit » répète-t-elle en réfléchissant déjà à commencer organiser ça. Se demandant si elle doit mentir à Erik, se demandant… « Rémy… il est toujours là-bas ? » Impossible que Gambit ait décidé de rester, de se faire pucer, mais elle a le besoin pressant de se le faire confirmer. Elle s’en veut de penser à lui et elle sait que c’est stupide. Quand elle a fuis vers la confrérie, elle l’a aussi fuis lui. Les morceaux de verres dégringolent dans la poubelle. Il y a du sang qui coule de sa paume, elle la passe sous l’eau froide, appui de son pouce contre la petite entaille. Ses cheveux couvrent son visage, cachent son expression fermée. Rogue est impulsive et elle sait que la situation réclame plus que quelques idées échangées autour d’une bière dans la cuisine d’une cabane au fin fond du canada. Mais planter Scott et créer un abri secret. Peut-être s’inspirer des Morlocks, peut-être.

Elle se demande si il y a un reproche dans sa voix. Il a dit 'la confrérie', il n'a pas dit 'vous'. Elle était là pourtant, lors du sauvetage de Niall. Même si elle avait accouru impulsivement dans le but de temporiser, elle n'avait pas évité l'affrontement. Elle s'était chamaillée avec son ex et s'était fait broyer les jambes qu'elle n'avait intact que grâce au pragmatisme de celui-ci. Pas de quoi être fière. Elle baisse les yeux, même s'il ne semble y avoir aucun reproche, elle se sent mal quand même, la colère retombe un peu sous le coup de l'humilité. Elle est cependant soulagée d'entendre que Rémy a disparu, elle ne l'imaginait pas soutenir la politique de Scott. Elle se demande où il est, puis se morigène de s'être seulement posé la question. Il n'a aucun compte à lui rendre. Il n'en a plus en tout cas, elle a bien veillé à le lui faire comprendre et elle n'a pas été des plus tendre. Elle hausse les épaules pour chasser ses idées et pour répondre à Logan "Rien de durable, une désactivation qui ne change rien aux plans du gouvernement." Du bricolage qui ne change pas grand-chose pour le moment. Mettre à mal les renseignements, les induire une erreur, une petite résistance face à la masse d'anormaux qui continuent de se faire pucer volontairement ou non.

Elle relève la tête et éteint le robinet. Est ce qu'elle va bien ? "Ma...." commence t-elle avant de se rétracter pour changer sa formulation "Mystique est de retour" elle a tellement l'habitude de la désigner en tant que mère, que même après toutes ses années à la blâmer pour ses choix égoïstes elle n'arrive pas à se défaire de cette appellation. Elle lui en veut toujours et ça lui pèse, encore plus depuis qu'elle est venue la voir pour faire la paix. "Peut-être que je fuis la confrérie aussi" avoue t-elle à demi, elle n'a pas envie de croire en une réconciliation. "Je suis venue parce que tes beaux yeux me manquent" plaisante t-elle, un sourire doux aux lèvres, la nostalgie d'une époque pas si lointaine flotte dans son regard "Nos conversations me manquent"  Elle n'a pas à la confrérie la complicité qu'elle avait avec les x-men. Bien sur, il y a Magneto, mais c'est compliqué, ça l'a toujours été, dans le regard des autres et dans son reflet dans le miroir. "Ne plus faire équipe avec toi me manque." Elle s'adosse au bar et le regarde de côté. "C'est un peu mélodramatique, non ?" s'amuse t-elle, ce n'est cependant pas moins vrai. Ca semblait plus simple avant, même quand c'était compliqué, au moins ils étaient unis, avec leurs querelles et leurs désaccords, mais unis. Ce n'est plus le cas et rien ne sera plus jamais pareil et c'est dur à admettre.

Un visage amical, une bière, même mauvaise, elle se sent déjà un peu mieux, même si lui manque cruellement les effets de l'ivresse qui lui sont désormais inaccessible pour cause de métabolisme dopé. Elle regrette un peu cette époque de pseudo normalité qu'elle a vécu suite à la disparition totale de ses pouvoirs. Une vie tranquille dans un pavillon, une vie trop tranquille et elle avait sauté sur la première opportunité pour récupérer ses pouvoirs bien qu'ils soient lourds. Elle préfère être l'intouchable que l'inutile. "Rentre à New York." dit-elle, son visage est tourné vers lui, elle observe son profil. Il n'a pas changé depuis leur première rencontre. Pas physiquement en tout cas. "Il n'y a rien ici, on a besoin de tout le monde là-bas". La situation dérape, les manifestations anti-mutantes prennent de l'ampleur, comme si c'était quelque chose contre lequel ils pouvaient manifester.  Tous, le poing levé à réclamer la non-existence de toute une frange de la population. Parfois, elle avait juste envie d'y poser une bombe, de céder à la haine la plus primale pour leur donner quelque chose à craindre, quelque chose contre lequel vraiment s'offusquer et qui ne soient pas des fantasmes apocalyptiques vendus par des politiciens véreux dans l'espoir d'obtenir un nouveau mandat. "J'ai besoin de toi" ajoute-t-elle doucement. Parce qu'elle peut lui parler, ils se comprennent, ne se jugent pas, elle ne pèse pas ses paroles quand c’est lui. Ils se ressemblent un peu : impulsifs, intransigeants, fuyards. Des électrons un peu trop libres pour ne pas agacer, pour ne pas susciter la méfiance.