Démasqué [Alek, Sam & Steve]

Je m’attarde. Qu’est-ce qui me retient au juste? Les maigres vacances que j’ai obtenues de mon patron se terminent bientôt. Et Foxborough me manque. Alors, qu’est-ce que je fou encore là? Je ne sais même pas où je suis d’ailleurs. J’ai pris le train et je me suis laissé porter sans vraiment faire attention. Lorsque je me suis rendu compte que j’étais le seul passager encore à bord, je me suis extirpé de là à l’arrêt qui a suivis. Faisant en sorte que je n’ai pas de point de repère en ce moment. J’aurais du rester dans le train. La ville m’étant inconnue, ma seule solution est de trouver un taxi pour me ramener à l’hôtel. Pour comble, je me suis tellement éloigné des railles en vagabondant à pieds (et en étant dans la Lune) que je ne pourrais pas dire dans quelle direction elles sont. Ce n’est pas si compliqué de retourner un train de cette ampleur dans une ville comme New-York, il me semble. Mais, à présent que l’idée d’être assis dans un taxi s’est immiscée dans mon esprit, me voilà en quête d’une voiture jaune.

Nous sommes en milieu d’après-midi. Le soleil est bien rayonnant et parfaitement visible à l’horizon. J’évite de lever la tête pour ne pas qu’il m’aveugle. Je n’ai pas pris mes lunettes de soleil avec moi. Malgré tout, il ne fait pas très chaud aujourd’hui. Je déambule dans les rues avec mes mains dans mes poches. À chaque respiration, une condensation s’échappe de ma bouche. Enfant, je prétendais que s’était de la fumée de cigarette et je me donnais un air cool. Aujourd’hui, je la regarde s’enfuir avec indifférence. Je suis à la recherche d’un foutu taxi, je n’ai pas le temps de me laisser distraire dans de la nostalgie. J’ai hâte d’arriver à l’hôtel pour faire mes valises et planifier le voyage de retour. Voyant qu’il n’y a aucun véhicule que je recherche dans les parages, je bifurque dans une ruelle pour tenter ma chance plus loin. Je regrette immédiatement mon choix en débouchant dans un cul de sac. Je grogne et reviens sur mes pas. Au moment de sortir de là, je vois à l’embouchure une paire de jambes enfouies sous une pile de papiers et de vêtements sales. Je m’arrête. Je ne l’avais pas remarqué en entrant dans la ruelle, mais il y a quelqu’un d’étendu au soleil juste là.

J’hésite à m’approcher, mais c’est plus fort que moi. J’avance lentement vers la personne et je me penche pour toucher doucement ce qui me semble être une épaule. L’être s’anime. Il sursaute à mon contact et me dévoile son visage. Il est sur la défensive. C’est compréhensible. Ce qui me frappe, se sont ses traits déchirés par la douleur. Je ne le vois pas à cause des couvertures improvisées qui le recouvre, mais j’ai l’impression qu’il est blessé. Ou malade. Mon cœur l’emporte sur ma raison.

-Je peux vous aidez, je lui dis en tendant une main vers son ventre.

L’homme recule par réflexe, mais il me fixe droit dans les yeux. Il est dans la soixantaine avancée et son regard gris est cerné de fatigue et de tristesse. Je prends mon temps, ne voulant pas qu’il se dérobe. Au bout d’un instant à me scruter, il me fait un signe de la tête et je lui réponds de la même façon. Je dépose ma main sur son corps et je relâche une vague énergétique dans ses muscles. L’effet est instantané. Il remue les jambes, comme sous l’effet de spasmes. Il respire aussi plus intensément. Il y a un sifflement familier qui se dégage de sa bouche lorsqu’il expire. Une pneumonie? Je transporte donc ma main à sa cage thoracique et je transmets une nouvelle vague. Il tousse alors à quelques reprises avant d’inspirer clairement. Je me penche ensuite un peu plus vers l’avant pour examiner son œil gauche. Je ne sais pas pourquoi, mais la pupille est plus clair que l’autre et le blanc de son œil est gorgée de sang. Les quelques marques foncés tout autour me rappelle une ecchymose. Sans trop y réfléchir je lève ma main pour frôler sa joue. Il recule le visage hors de ma portée.

-N’ayez crainte, je ne vais pas vous faire de mal, je le rassure.

Il n’aime visiblement pas l’idée de me laisser le tripoter comme ça, mais il comprend que je ne lui mens pas. Il me laisse donc effleurer des doigts sa paupière gauche et il ferme son œil un instant. Je me concentre et lui donne une bonne dose d’énergie concentrée à ce niveau. Il se dérobe à nouveau par la suite et secoue la tête en fermant fortement les deux yeux. J’attends qu’il reprenne ses esprits et lorsqu’il se calme, il ouvre ses paupières. Il est bouche bée. Je lui souris lorsqu’il me regarde avec ses deux yeux fonctionnels à présent. Il n’a pas besoin de rien me dire, je lui serre la main et voir les étincelles de reconnaissance dans son regard me suffis.

Je me relève et sort de la ruelle avec l’intention de trouver un moyen de transport cette fois. Plus de distraction. Sauf qu’au moment de tourner à gauche pour quitter cet endroit, je tombe face à face avec deux hommes. Je m’arrête, tellement surpris de leur présence. Deux grands gaillards, l’un à la peau noir qui m’est vaguement familier et l’autre tellement imposant que j’écarquille les yeux. Ce qui me fait peur c’est leur regard sur moi. Je sais qu’ils m’ont vu soigner le sans-abri. Je n’ai pas de preuve, mais je le sens. C’est évident. Qu’est-ce que je suis supposé faire à présent? Me sauver? Leur expliquer la vérité? Leur mentir? Je n’en ai aucune idée.

 
Oui, c’est confirmé, je suis effectivement dans la merde. Sous le regard hostile du plus baraqué des deux, je lève instinctivement les mains. À peine à la hauteur de mon visage, afin de ne pas trop attirer l’attention. Un coup d’œil rapide me confirme que nous sommes seuls aux alentours, donc si j’évite de crier, tout va bien aller. Enfin, je l’espère. Je regret immédiatement d’avoir remué lorsque la voix du plus grand tonne. J’en sursaute légèrement, confirmant ma soudaine nervosité autant à mes deux opposants qu’à moi-même. Je ne peux m’empêcher d’afficher un air confus en l’entendant. Une seconde… Il sait que j’ai un pouvoir. Mais surtout, il a peur de moi… Mais pourquoi? S’il y a un mutant inoffensif dans ce monde, c’est bien moi. Mon pouvoir n’est absolument pas offensif (je le sais, parce que je l’ai testé). Le seul acte un peu létal que je pourrais accomplir c’est de trop donner d’énergie à quelqu’un et de le tuer, j’imagine (ça je ne l’ai jamais testé). Par contre, même si je voulais le faire maintenant, ma réserve d’énergie est très basse à cause de l’aide apporté au sans-abri. Et puis de toute façon, ils sont deux. Je suis coincé dans tous les cas.

Mes yeux bifurquent vers l’homme de couleur lorsqu’il ouvre la parole. J’en avais presque oublié sa présence à cause du regard autoritaire de son compagnon sur moi. Il me confirme dans mon impression d’être dans le pétrin, mais le fait qu’il insiste pour que je leur parle de mon pouvoir me fait froncer des sourcils. Pas parce que je n’ai pas envie de me contraindre à leur demande. Mais tout simplement parce que je ne vois aucune objection à le faire. Je déglutie et ose leur répondre en chuchotant presque :

-Je suis Alek Young. Je pense que vous savez déjà que je suis un mutant. Par contre, vous n’avez pas à me… à me menacer pour que je vous dise tout ce que vous voulez savoir. Je ne suis pas dangereux. Je suis une bonne personne. Je veux aider les gens. Et je le fais.

Je m’arrête, s’entend ma voix devenir trop inaudible à cause du stress. Je me racle la gorge en vitesse, toussant par la suite. Une fois ma voix éclaircit, j’inspire profondément. Puis, sentant mes mains de plus en plus moites, je me dépêche de les instruire davantage sur mon pouvoir :

-Je guéris les gens. En leur donnant de l’énergie. C’est comme ça que mon pouvoir fonctionne. Mon corps produit sans arrêt cette énergie que je dois impérativement donner à un autre être vivant sinon je tombe malade, comme à cause d’une overdose. Cette énergie est bienfaisante : elle soigne les blessures, même très graves, elle guérit des maladies et elle rend la personne plus forte. Suffisamment forte pour résister à une balle si je lui donne la bonne quantité d’énergie. La seule personne que je ne peux pas aider, c’est moi.

Je fais une grimace et cesse de parler. Je ne sais pas quoi dire d’autre pour les convaincre de mon aspect inoffensif. Je pourrais leur pointer la ruelle d’où je sors, peut-être qu’ils n’ont pas vue le miracle que j’ai accomplis il y a quelques minutes. Sauf qu’une part de mon cerveau se souvient alors que le vieil homme s’en est allé juste avant que je tombe face à face avec ces deux là. Bye bye ma preuve. Je ne vois donc qu’une seule solution : les utiliser comme cobaye afin de leur montrer que je ne mens pas. Sauf que j’ai comme l’impression à les observer qu’ils n’accepteront pas que je touche à qui que se soit. Comment leur démontrer toute l’utilité (et la non-dangerosité) de mon pouvoir alors? Je ne sais vraiment pas quoi faire. Je n’ose même pas remuer alors la tension que cela crée dans mon corps commence à me faire souffrir. J’ai toujours les mains stupidement levée, comme de peur qu’il me tire dessus si je cligne des yeux de travers. Pourquoi il a fallut que je vienne à New York pour commencer?

Un espoir naît en moi lorsque l’homme au bouclier semble comprendre que je ne suis pas une menace et qu’il me le confirme en parole. Je me sens soulagé durant un bref instant. Trop bref, puisqu’un véhicule nous intercepte. Des hommes armés jusqu’aux dents y descendent en trombe et nous mettent en joue. Si avant je ne n’avais pas une bonne raison de lever les mains, à présent j’en ai vraiment une bonne. Sauf que je me fige sous la peur de ce qui est en train de se passer. Je perds un peu contact avec la réalité, terrorisé par ceux qui nous menacent. Je vois le plus musclé des deux jetés son bouclier sur les agents du SWAT. Cela a pour effet de déclencher une bataille. Son compagnon se met alors à se battre à ses côtés. Je me recule instinctivement hors des affrontements. Je ne suis pas un soldat. Je n’arrive même pas à frapper correctement quelqu’un sans me faire mal. Je suis vraiment inutile dans ce combat. Sauf que je me sens obligé d’agir. Les hommes qui nous attaquent semblent cibler le certain Rogers (le gars au bouclier), mais ils sont clairement tous contre nous. Étant derrière mes compagnons (si je peux me permettre), je ne suis pas visé par des coups ou des balles. Pas encore. Puisque même si l’affrontement semble aller dans notre sens, j’ai comme un mauvais pressentiment. La seule façon que je pourrais aider c’est en rendant l’un des deux suffisamment fort pour qu’aucune balle de fusil ne puisse l’atteindre. Je dois inévitablement choisir l’un des deux, puisque mon corps n’a pas encore eu le temps de produire assez d’énergie pour remplacer celle que j’ai donné au sans-abri. Je dois choisir, vite. Comme l’homme à la peau foncé est le plus loin de moi, je m’avance vers Rogers. Un agent me met en joue mais il est subitement mis K.O. par le collègue de l’homme au bouclier. Je touche alors l’épaule de ce dernier et je lui donne tout ce qui me reste. Je lui dis, essoufflé :

-Plus rien ne pourra t’atteindre à présent, n’est plus peur de leurs armes.

Je recule en titubant et tombe à genoux. Ouf, j’y suis allé un peu fort, mais il fallait que je nous assure une protection contre ces attaquants. Je relève la tête pour observer Rogers en action. L’effet reste temporaire, mais je doute que le combat va s’éterniser avec l’avantage que je lui ai donné. C’est alors que l’un des soldats du SWAT parvient à m’atteindre à me mettre en joue. Son regard croise le mien et je sens mon cœur s’arrêter sous la terreur. Je suis trop vider de mes forces pour prendre mes jambes à mon cou. Je suis à sa merci.

Oui, nous étions vraiment dans la merde jusqu’au cou. Affaiblis par la transmission d’énergie à l’homme au bouclier, je me retrouve à la merci de tous. Heureusement, les deux autres me sauvent les fesses tellement de fois que je n’arrive pas à les compter. Autant l’un que l’autre font des pieds et des mains pour me sortir de cet enfer. Le plus baraqué ordonne à son ami de me faire évacuer des lieux, le laissant derrière. Je n’étais pas inquiet pour son sort, pas avec l’énergie que je lui ai donné et qui lui garantie encore une immunité complète pendant des heures. Même s’il est seul contre cent hommes armés, il ne tombera pas. Sauf que son collègue est hésitant à le laisser. C’est compréhensible, il ne peut pas réaliser qu’il n’est plus en danger de mort. Il peut toujours être capturé, mais au moins il ne sera pas blessé durant la manœuvre. Je tente de dire à celui près de moi qu’il peut faire confiance en Rogers, que l’aide que je lui ai donné il y a quelques instants peu lui permettre un tel désavantage de force. Sauf que la situation s’empire. D’autres agents du SWAT débarquent avec des intentions plus qu’hostiles. Des hélicoptères se mettent de la partie afin de terminer de nous encercler. Je ne vois alors plus aucune issue possible.

Le dénommé Sam me tire hors de portée des fusils de nos ennemis. Je me laisse faire, ayant de toute façon les jambes trop molles pour lui opposer la moindre résistance. Il remarque lui aussi que nous sommes coincés comme des rats. Il ne veut par contre pas abandonner avant de s’être battu jusqu’au bout. Il me pousse vers une poubelle tout près, afin que je m’y cache un moment pour éviter de mourir d’une balle, j’imagine. Je m’exécute immédiatement, m’accroupissant derrière l’objet métallique. Je vois Sam agripper une barre en métal au sol et l’utiliser comme arme pour neutraliser quelques gars. Leur nombre est sans cesse croissant et malgré leur lutte, le combat ne prend semble-t-il jamais fin. Qu’est-ce que je peux faire concrètement? Par instinct, ma production énergétique s’est activée et j’en ai à nouveau une certaine quantité à offrir. Pas autant que je voudrais pour assurer une immunité à Sam comme je l’ai fais pour Rogers. Mais, je peux lui donner assez de force pour poursuivre son opposition au SWAT aussi longtemps que nécessaire. Je dois tenter le coup. Ces deux gars-là me protègent avec leur vie sans même me connaître. C’est la moindre des choses de leur redonner en échange. Surtout que je suis vraiment très inutile en ce moment, caché derrière ma poubelle. J’observe les deux combattre un instant. Rogers est le plus engagé dans les hostilités, tout près des camions ayant amené les soldats. Sam est sur le trottoir, à mon niveau. Sauf que pour l’atteindre, je vais devoir m’extirper de la sécurité de mon bouclier improvisé et courir sur quelques mètres jusqu’à lui. Je risque de me faire descendre dans la manœuvre d’aller comme dans celle de retour. Sauf que lui aussi il court le même risque ainsi à découvert. J’inspire profondément et m’élance hors de ma cachette en direction de Sam :

Derrière la poubelle qui me sert de cachette, j'observe les affrontements avec un nœud dans l'estomac. J'ai l'adrénaline dans le plafond et j'halète tellement je suis stressé. La situation ne va qu'en empirant et j'aimerais bien pouvoir fuir tranquillement et oublier tout ça à vrai dire. Je me sens également de plus en plus étourdis. Je n'ai pas l'habitude de transmettre autant d'énergie en un si court laps de temps. Cela semble dommageable pour mon système. Vu la situation critique, je chasse cette pensée de mon esprit. Je vais avoir amplement le temps de me préoccupé de l'état de mon corps lorsque nous serrons tirer d'affaire. Si cela arrive avant que les agents du SWAT ne nous tue.

Rogers semble avoir l'idée de nous faire évacuer en réquisitionnant l'un des fourgons que les agents ont utilisés pour arriver sur les lieux. Je me sens nerveux en voyant Sam revenir vers moi. Il faut bouger, agir pour sauver nos fesses. Je le suis donc en tentant de ne pas être un boulet pour lui. Heureusement, la route a été bien ouverte par l'homme au bouclier auparavant, nous permettant d'arriver à la hauteur du véhicule en un rien de temps. Rogers est devant nous, tentant de se débarrasser du conducteur, toujours à son poste pour prévoir une éventuelle fuite d'urgence de nos ennemis, j'imagine. Il tente de le neutraliser, mais est plutôt surpris par la riposte du conducteur. Une partie du poids de mon allié me tombe dessus, mais j'arrive à l'empêcher de chuter complètement et ce grâce à une force que je ne me soupçonnais même pas. Pendant ce temps, Sam prend les choses en main et met K.O. notre opposant. Aussitôt, nous nous engouffrons à sa suite dans le fourgon et il démarre.

Tout s'agite aux alentours aussitôt que nous décollons. Les agents du SWAT se mobilise pour ne pas nous laisser nous enfuir aussi facilement. Dans les airs, les hélicoptères cessent de faire du sur-place et nous suivent à la trace. Si seulement nous pouvions avoir sous la main une arme pour nous en débarrasser. Pas que je désire tuer qui que se soit. Seulement, nous devons trouver un moyen de rendre notre fuite discrète si on veut espérer avoir une chance de nous en sortir. En apercevant au loin des barrages policiers, je retiens un juron. Je m'agite sur mon siège et regarde par derrière dans l'espoir d'y voir notre salue. Quel n'est pas ma surprise en constatant qu'il y a plusieurs armes à feu entre les sièges et l'accès à l'arrière du fourgon. Je ne sais pas s'ils sont chargés, mais voilà peut-être notre chance :

-Regardez, je m'exclame même si je sais qu'ils sont concentrés sur la route barrée devant.

Je me lève pour atteindre les armes et je vois une sorte de valise grande taille sous le siège que j'occupais tout récemment. Je me risque à ouvrir le contenu, toujours avec l'espoir qu'il s'agit de notre moyen de faire face à nos ennemis et de les vaincre une bonne fois pour toute.

Je montre ma trouvaille au deux autres, doutant de son utilité.