Tu repose là à cause d'eux, ils vont devoir en payer le prix - Libre (pour le moment à qui veux)

Ce cimetière à quelque chose d’irréel. Je ne saurais l’expliquer, mais il me donne des frissons rien qu’à y poser les pieds. Je ne suis pas très fan de ce genre d’endroit d’ordinaire. Mais là, c’est une situation exceptionnelle. J’avais besoin d’un lieu calme pour réfléchir. Réfléchir à ce qui bouleverse ma vie en ce moment. Il y a tellement d’éléments perturbateurs nouveaux, tous arrivants à peu près en même temps. Et dire que durant les trente-six autres années de mon existence rien d’époustouflant ne s’est produit. Tout était très banal. À l’exception de moi qui représentait l’anomalie dans l’équation, mais je m’arrangeais pour le faire disparaître. Il n’y a que quelques rares personnes qui savaient pour ce que je suis, pas plus tard que le mois précédent. Il y a mon frère Kane. Mais je préfère ne pas en parler. Il y a aussi Loki. Non, pour lui aussi c’est préférable que je la boucle. Alors, il y avait qui d’autres avant ma petite balade à New-York? Je crois que ça se limite à ces deux là. À présent par contre, je suis connu du monde entier via cette jolie petite puce gouvernementale dans ma chair. Le SHIELD m’a contacté, m’ayant avoué qu’il savait pour moi depuis des années. Nick Fury m’a fait une offre en personne, que j’ai toujours du mal à accepter. Les Avengers m’ont découvert aussi. Capitaine America lui-même m’a demandé de les aider si je le souhaitais. Et va savoir qui d’autres sait pour moi! Je suis soudainement devenu très populaire. Trop populaire. Et ça me fait peur. Je n’aime pas cette idée. Je la déteste vraiment.

Voilà donc mes motivations à venir traîner avec les morts. Au moins eux, ils ne risquent pas de répandre davantage de rumeurs à mon sujet. Enfin, j’espère. Le froid est mordant, mais rien de très oppressant. Il fait juste en sorte de me faire entrer la tête dans mes épaules, afin que le collet de ma veste couvre un peu plus mon cou. Le temps est nuageux, mais le ciel blanc ne rend pas le tout sombre. L’absence de soleil ce fait par contre bien sentir, surtout pour mes mains, bien cachés dans mes poches. Juste un petit tour dans le cimetière, le temps que je réfléchisse à comment gérer tant de propositions d’avenir. Après, je rentre à l’hôtel. Promis. Il est inutile de me rendre malade à rester dans ce froid alors que je n’ai personne à visiter. Pas ici en tout cas. Je laisse mon regard se porter sur les tombes en chemin. J’observe les noms et les dates. Je suis surpris du nombre de fleurs laissées au froid. Beaucoup de personnes ici sont appréciés on dirait. Ça me fait penser que je n’ai jamais fait ça pour elle. Je n’ai jamais déposé des fleurs sur sa tombe. Elle les détestait de toute façon. Pour elle, les fleurs étaient synonymes d’autres êtres à s’occuper. Voilà pourquoi elle n’a jamais eu de jardin. Enfin, c’est la déduction que j’en ai faite. Sauf que plus j’y pense, plus je me dis qu’elle aimerait peut-être avoir la présence de magnifiques fleurs pour orner sa tombe. Ça lui fera une chose sur quoi veiller à présent que chacun de ses enfants est grand. Je pense que ça pourrait lui faire plaisir.

Il n’y a aucun vivant dans le cimetière avant que j’en atteigne la dernière partie. Les tombes sont plus récentes ici. Je décide de presser le pas, comme je commence vraiment à ressentir l’impact du temps sur mon corps. C’est alors que j’aperçois cette jeune femme à genoux près d’une tombe. Elle y a déposé de magnifiques fleurs fraiches, à peine dégradé par la morsure de l’hiver. Je ralentie, soudain triste de la voir ainsi courbé. J’ose m’approcher pour lire le nom sur la tombe. La mort est effectivement assez récente et je me sens alors mal de la déranger en plein recueillement. J’aurais du la laisser tranquille à la base, poursuivre ma route sans lui accorder la moindre attention. Mais c’est plus fort que moi. Je reste planter derrière elle à fixer la tombe et les fleurs.

-Je suis désolé pour votre perte, j’entends ma bouche dire.

Je ne voulais pas parler, mais mon empathie à pris le dessus. Pr contre, je suis sincère. Je regrette vraiment qu’elle souffre autant. Si seulement je pouvais l’aider d’une quelconque manière, je le ferais. Mais la mort nous rend tous impuissant.

Je regarde cette jeune femme dans les yeux. Je peux percevoir très nettement sa tristesse et ça me ramène tellement de souvenirs d’un moi assombrie par la perte. Ma mère à toujours été très proche de moi, elle m’a supporté dans mes choix de vie. Elle ignorait que son fils était plus que ce qu’elle pensait, qu’il n’était pas normal. Sauf que je lui ai dis après, je lui ai avoué il y a cinq ans en allant la visiter à sa tombe. C’est bien tard pour le faire, mais je me devais de lui dire à haute voix. Je regrette de ne jamais de son vivant lui avoir dit. Il y a bien d’autres choses que je regrette, mais me tourmenter avec cela ne ferait qu’empirer ma peine, j’en suis sur. Je préfère me souvenir de ma mère, de nos bons moments en commun que de penser à tous ce qu’on aurait pu ou du faire. Ça n’a pas été simple d’en arriver à cette étape du deuil. Donc, je peux parfaitement comprendre pourquoi cette jeune femme à les yeux si embrouillé par la souffrance. J’hoche d’abord la tête à ses paroles. Puis, en m’exprimant tout doucement, presque comme pour ne pas déranger les gens qui reposent sous terre, je dis :

-Oui, je suis passé par là. Je sais comment il est ardu de vivre avec la perte d’un être cher. J’ai perdu ma mère il y a bien des années. Et malgré tout ce temps, j’ai toujours un serrement au cœur en pensant à elle. Sa présence me manque.

Je lui souris tendrement pour ne pas qu’elle se démoralise. Je sens qu’elle est assez forte pour surmonter ce malheur et bien d’autres dans l’avenir. Je regarde un instant la tombe où elle prenait place. La pierre est dépourvue du blanc de la neige. Elle est luisante d’une drôle de façon, presque comme si elle s’illuminait sous un soleil. Hors les nuages ne peuvent permettre ce phénomène. J’en déduis donc qu’il s’agit de l’humidité sur la pierre qui absorbe la lumière projetée par la neige. Ça où bien cette tombe s’est réchauffée à cause de la présence de cette femme et l’eau qui y coure est agité par une vie nouvelle. Je souris en voyant une goûte d’eau tomber de l’une des pétales des fleurs qu’elle a déposé :

-Ce sont vraiment de magnifiques fleurs.

Je la regarde alors. J’aimerais que mon pouvoir puisse soulager un esprit en peine. Sauf qu’il n’agit que physiquement. C’est vraiment dommage puisque j’aurais aimé libérer cette jeune femme de sa souffrance. Cela me semble inapproprié de la toucher pour faire volatiliser sa fatigue, mais il est possible d’envisager une main réconfortante sur son épaule. J’y vais donc tout naturellement, afin de peut-être de la sorte l’aider à porter à deux un poids qui lui fait s’affaisser ses épaules. Un nouveau frisson me rappelle qu’il fait toujours aussi froid. À son visage rougit, elle doit être dehors depuis un moment déjà :

-Je crois qu’il serait préférable de rentrer pour vous réchauffer un peu. Je peux vous accompagnez à un taxi si vous voulez.

Je fais cette proposition pour ne lui éviter de faire le chemin hors du cimetière seule, avec toute sa tristesse qui accablerait ses pas de la sorte. Lui offrir un peu de compagnie pourrait la distraire de ses souvenirs douloureux. Je sais que personnellement, je n’aime pas être seul face à ce genre d’émotion négative. Je ne la forcerais pas non plus à partir si elle n’en a pas envie. Je poursuivrais mon chemin hors du cimetière si elle décline mon offre.

Je suis heureux de la voir sourire. Elle a un très beau sourire, même s’il se mêle à sa tristesse, le rendant évidemment moins éclatant que s’il avait été de pure joie. Mais quand même, j’apprécie cette manifestation sur son visage. Ça me réchauffe le cœur dans cette journée d’hiver. Les petits instants de bonheurs sont la voie vers une guérison aussi ardue. Je ne dis pas que c’est uniquement cela. C’est tellement plus complexe en vérité. Mais reprendre goût à la vie, en apprécier la beauté et la simplicité de cette dernière, c’est souvent le remède à bien des souffrances. Il est inutile de se tracasser avec ce qu’on ne peut changer, ça je l’ai appris difficilement tout le long de ma vie. Autant avec le décès de ma mère qu’avec l’apprivoisement de mes pouvoirs. À chaque fois que j’ai lâché prise, que j’ai cessé de m’en faire à propos de ces deux éléments dans mon existence, j’ai alors réellement sentie un changement s’opérer en moi. Et je ce n’est pas une chose aisée à faire en étant moi. Parce que je suis du genre anxieux lorsque les choses ne fonctionnent pas à mon goût. Je me blâme moi avant de blâmer un autre. Je suis toujours la cause de mes tords. Dès que je fais la paix avec moi-même, les choses se règlent plus naturellement. Il faut faire confiance en la vie. Et la mort fait partie du cycle de la vie.

Cela me soulage qu’elle accepte ma proposition, puisqu’il me semble que le vent se lève depuis quelques minutes. Je lui souris lorsqu’elle me relève son nom. Je cherche rapidement dans ma mémoire si je connais des Gabrielle, puisque le nom me plaît, mais je ne vois rien qui m’indique que j’en ai déjà croisé une. Je l’invite à m’accompagner vers la sortie du cimetière, tout en me présentant :

-Je suis Alek, c’est un plaisir que vous connaître Gabrielle.

Nous marchons donc, mais sans nous presser. J’ai toujours se sentiment de calme qui m’habitude quand je suis dans un lieu aussi sacré. Même si notre but est de partir pour échapper au froid, nous prenons notre temps. Nous avons encore plusieurs minutes à faire avant d’atteindre la sortie. Je ne sais pas exactement combien, puisque je n’ai pas remarqué le temps que j’ai mis à rejoindre la jeune femme. Sauf que cela nous donne amplement le temps de poursuivre notre conversation. Au lieu de la questionner sur sa perte récente, je décide d’en révéler un peu plus sur ma situation, afin de l’aider je l’espère dans son deuil :

-Je n’ai pas pu lui dire au revoir, je crois que c’est ce qui m’a fait le plus mal. J’étais indépendant lorsque c’est arrivé, je vivais déjà dans ma maison actuelle à Foxborough. Alors, je l’ai appris des policiers, via un coup de téléphone. J’étais seul à ce moment là et je me suis écroulé sous le choc. Ça m’a prit des heures avant de trouver la force de me relever. Mais, je savais que je devais le faire, pour elle. Tout est arrivé tellement vive. Un bête accident de voiture. Il y avait de la glace sur la route pour rejoindre la maison de mes parents. Elle a été distraite et a perdue le contrôle de son véhicule. Les médecins ont dit qu’elle est morte sur le coup. Ça me rassure, puisque je n’aurais pas voulu qu’elle souffre. Je lui dis d’ailleurs lorsque je vais la voir. C’est idiot, mais je lui parle toujours autant qu’avant. Ça me fait du bien de lui dire des détails anodins de ma vie. Ça me donne l’impression qu’elle est encore là de la sorte, j’imagine. Mais, je sais qu’elle est encore avec moi. Je ne me serais pas rendu aussi loin dans la vie si elle ne m’avait pas aidé un peu de là-haut.

Je cesse de parler, ma bouche monopolisée par un grand sourire. J’ai simplement laissé les paroles coulées, sans vraiment avoir réfléchis à comment elles allaient sortir ou à quoi dire tout court. J’ai juste laissé mon cœur parler. Je ne me suis pas exprimé sur ce sujet depuis une éternité et je suis heureux de le faire à présent je dois l’avouer. Surtout devant Gabrielle, même si j’ai du mal à me convaincre que c’est ce qui va la guérir. Si seulement je pouvais faire plus pour elle.

Chaque personne à une façon différente de vivre son deuil. Pour mon père, se fut le mutisme et le déni. Pour mon frère Kane, se fut l’absence de réaction. Comme si pour lui, elle n’avait jamais existé. Pour moi, c’est plus compliqué. J’ai été proche d’elle, certes. Mais, pas autant que je l’aurais voulu. Une part de moi m’a gardé éloigné d’elle pour ne pas l’exposer à la réalité de mon pouvoir. Ma mère ne disait rien, mais je sais pertinemment qu’elle l’avait remarqué. Elle devait se dire qu’un jour je me déciderai à lui parler de ce qui me trouble. C’est l’une des raisons qui à rendu mon deuil pénible et long à cicatriser. Ajouter à cela ma très grande empathie… disons que j’ai pleuré beaucoup. Seul. Par contre, j’y ai survécue. Je suis passé au travers alors que je ne l’aurais jamais cru possible au départ. Voir Gabrielle retenir ses sentiments me rappelle l’enterrement de ma mère. Ce jour là, je scrutais le visage de chacun et j’ai constaté que tous n’osait pleurer. Pourquoi? Pourquoi retenir son chagrin? Je ne le comprends toujours pas même après tout ce temps. Sauf que je ne peux pas en vouloir à cette jeune femme d’adopter le même comportement défensif. Elle souffre terriblement et tente de remonter la pente. Elle y parviendra, je le sais au fond de moi, juste à la regarder marcher près de moi. Malgré le silence qui s’est installé après mes paroles, je perçois ses reniflements discrets. Dommage que je n’ai pas de mouchoirs, j’aurais pu lui en tendre un. Je respecte sa tristesse, me contentant de la regarder avec chaleur pour qu’elle sache que je suis prêt à entendre ses mots si elle en ressent le besoin. Sauf qu’elle ne parle pas. Je ne lui en veux pas vraiment. Je saisis sa difficulté à le faire. Voilà pourquoi je ne la force pas ou je ne l’ignore pas. Je reste attentif à ses besoins et chaque pas s’accompagne d’un peu plus de compassion dans mon cœur.

En relevant les yeux, j’aperçois au loin la sortie du cimetière. Je n’avais pas réalisé que nous avions fait toute la distance aussi rapidement. Il me semble que ça m’a pris une éternité pour me rendre à elle et voilà que c’est déjà la fin. De grands vents accompagnent notre approche de la sortie et je pose une main dans le dos de Gabrielle pour presser notre progression. Une fois à l’extérieur de la terre saine, je regarde à gauche, puis à droite pour localiser un taxi. Nous avons de la chance, il y en a un qui tourne justement le coin de la rue, à la recherche de clients. Je lève mon autre main pour lui faire signe d’approcher, sa comparse frictionnant le dos de la jeune femme pour lui apporter un peu de chaleur. Le conducteur semble nous voir et il se dirige vers nous. Je pousse doucement Gabrielle vers l’avant, m’assurant d’un regard qu’elle va bien. Une fois le véhicule stationné près de nous, j’ouvre la portière et invite la jeune femme à y prendre place. Je lui souris lorsqu’elle est assise dans l’habitacle :

-Ne perds pas espoir. Un jour, tu vas surmonter ta peine. Je te le promets.

Je la regarde ultimement avec compassion et je referme la portière pour que le chauffeur puis démarrer. Je recule de deux pas et observe le taxi repartir. Mon cœur se serre dans l’espérance qu’elle va retrouver la paix avec sa vie. Puis, je souris pour moi-même et part en quête d’un taxi de mon côté.