wish we could turn back time + gabriel

Le vent lui fouettait le visage, lui griffait la peau tant elle allait vite. Et même si elle avait le souffle court elle ne lâchait rien, rien. De toute façon, elle n'en avait pas vraiment le choix : elle devait se fondre dans la masse et s'éloigner de l'endroit où elle venait de saccager le bureau d'un membre du parti collectif au plus vite. Alors elle avait traversé la ville à toute allure, contournant les gratte-ciels comme s'il ne s'agissait que de sombres arbres. Car en fait, le vent ne lui fouettait pas le visage, ne lui griffait pas la peau. Il lui caressait les plumes et s'introduisait entre chacune d'elle, lui filait contre le duvet. Et elle ne courrait pas, elle battait des ailes.

Nova était un oiseau, depuis un petit moment maintenant.

Mais qu'importe depuis quand, elle filait droit vers Central Park. Le bureau du parti collectif qu'elle avait saccagé se trouvait dans le Queens, il s'agissait d'une branche seulement. Un bureau de quartier pourtant connu pour être très actif, parfois même visité par les hauts gradés du parti collectif et Nova l'avait prit pour cible. Cela faisait quelques jours qu'elle n'avait rien fait mis à part quelques vols à l'étalage ou à l'arraché et l'apparition d'un article dans le New York Times ventant les mérites des arrestations de plusieurs mutants, par la suite pucés comme de vulgaires animaux avait suffit pour la remettre au coeur de l'action. Elle y était allée un jour de fermeture exceptionnelle, s'était faites passée pour un agent d'entretien -un vieux mexicain d'une cinquantaine d'années, un peu bedonnant et à l'accent marqué- auprès de l'accueil toujours ouvert et avait assommé l'humain nonchalamment assis derrière le bureau. Puis elle avait rapidement saccagé les bureaux, vidant les tiroirs, jetant les papiers sur le sol et dans les couloirs. Retournant tout ce qu'elle pouvait, meubles comme décorations. Brisant écrans télé et ordinateurs. Vidant, enfin, un seau de peinture rouge dans le bureau du directeur de quartier. Et ce n'était qu'après avoir écrit à la bombe noire "racistes" et "monstres" qu'elle avait brisé une vitre et s'était changée en oiseau. La police arrivant tout juste sur les lieux alors qu'elle s'envolait par la fenêtre.

Cela avait été l'affaire de quelques minutes, quinze tout au plus. Elle avait signé d'un M et avait disparu dans les cieux auprès d'autres oiseaux. Empruntant les mêmes courants d'air qu'eux, elle s'était rapidement fondue dans la masse impressionnante de pigeons dans les rues de New-York, puis s'était dirigée vers Central Park. Elle avait besoin de se poser, la fatigue se faisait sentir et avant de partir elle avait fourré trois pages d'un registre du parti collectif dans la poche de son blouson de cuir noir. L'envie d'y lire les noms se faisait sentir.

Gabriel avait laissé la fenêtre ouverte comme toujours, un des nombreux avantages d'habiter en face de Central Park et pas au rez-de-chaussé. Si elle avait été humaine, elle aurait certainement souris. Mais à la place, Nova s'engouffra dans un bruit de battement d'ailes dans l'appartement du brun et ce n'est qu'une fois loin des fenêtres qu'elle reprit subitement sa forme humaine, devant un Gabriel pétrifié.

"Je sais..." commença-t-elle. "Tu détestes quand je fais ça, je sais, désolée !"

Un sourire se dessina sur ses lèvres, peu timide et sincère. Puis elle soupira, peinant à reprendre son souffle. Elle ne demanda même pas l'autorisation d'utiliser la salle de bain et s'y dirigea naturellement.

"Tu vas bien ? Des nouvelles du chiot de Madame Bianco ?" demanda-t-elle par dessus son épaule.

Une simple histoire de chien perdu quelques jours plus tôt que Gabriel lui avait raconté, et la scène semblait irréelle alors. Parce qu'elle s'était engouffrée dans l'appartement, en trombe, avait les mains rouges de peinture. Parce qu'elle venait de saccager un bureau du parti collectif, ce qui pourrait lui valoir d'être emprisonnée certainement, et si jamais on la trouvait on la pucerait. Parce qu'elle se comportait comme si de rien n'était.

Mais c'était pour le protéger lui.

Qu'il ne sache rien, et que personne ne sache pour lui. Nova faisait attention, elle prenait toutes les précautions. Ne jamais se montrer avec lui en public. Ne jamais parler de lui. Ne jamais rôder autour de son appartement sous sa vraie forme. Tout ça pour le protéger lui, des autres, du monde entier.

La vie s'était acharnée sur elle, nul besoin qu'elle s'acharne aussi sur lui.

Alors elle ne lui donnait pas la raison pour laquelle ses mains étaient pleines de peinture. Elle ne lui parlerait pas des papiers fourrés dans la poche de son blouson de cuir. Elle ne lui dirait pas d'où elle vient si rapidement.